« Dépendre de la solidarité familiale est aberrant »
A 28 ans, Stéphanie vit séparée de son conjoint. Un choix ? Pas vraiment. S’installer en couple l’empêcherait en effet de percevoir l’AHH, l’allocation adulte handicapée (1). C’est l’une des motivations qui la pousse à franchir les portes, virtuelles, du débat citoyen d’APF France handicap sur la protection sociale de demain. « Je serais totalement dépendante financièrement de mon conjoint, qu’on soit mariés ou non. J’aimerais que les politiques comprennent qu’être en situation de handicap n’est pas un choix. C’est aberrant aujourd’hui qu’on dépende de la solidarité familiale à ce point, en entretenant la précarité et en s’appuyant sur celles et ceux qui sont déjà aidants au quotidien ».
« J’aimerais que les politiques comprennent qu’être en situation de handicap n’est pas un choix. C’est aberrant aujourd’hui qu’on dépende de la solidarité familiale à ce point. »
– Stéphanie
Un autre phénomène : les personnes en situation de handicap sont, pour la plupart, contraintes d’être locataires à vie. « Ce n’est pas avec 900 euros par mois que je peux envisager sereinement de faire des enfants et que je vais pouvoir accéder à la propriété ». Nourrie par son expérience de vie, Stéphanie porte un objectif bien précis. Elle plaide pour que la société dans son ensemble se sente concernée par la problématique globale de la protection sociale. « Je suis citoyenne avant d’être une personne en situation de handicap ».
« Un meilleur dialogue entre les secteurs du social et du sanitaire »
Caroline est enseignante chercheuse en soins palliatifs et accompagnement de fin de vie. Survivante d’un accident grave étant jeune fille, mariée à un époux qui a traversé trois cancers, elle connait les hôpitaux, et les hôpitaux la connaissent. Son métier-passion, elle le pratique depuis maintenant 20 ans par engagement. 20 ans qu’elle partage, écoute et accompagne des professionnels en formation qui se questionnent sur le mieux et le possible pour alléger les souffrances de leurs patientes et patients et de leurs proches à accompagner jusqu’à la fin de la vie.
« La protection sociale ne peut plus être autant financées par le fruit du travail ou des taxes sur les petites entreprises. Beaucoup sont déjà étranglés. »
– Caroline
Caroline connait bien l’association APF France handicap. Sollicitée il y a quelques années pour animer un groupe éthique sur la prise en charge de la douleur et la communication avec les personnes en situation de handicap, elle revient aujourd’hui pour participer au débat citoyen. Pour elle, il est important de créer un meilleur dialogue « entre les personnes du secteur sanitaire et les personnes du secteur social parce que nous n’avons pas tous le même discours ou les mêmes approches dans la prise en charge globale de la personne ». Son message ? « La protection sociale ne peut plus être autant financées par le fruit du travail ou des taxes sur les petites entreprises. Beaucoup sont déjà étranglés. ». Aujourd’hui, elle se dit qu’elle devrait partir à la retraite mais encore faudrait-il trouver le relais.
« Enrichi par le dialogue avec les autres »
Originaire du Var, David est un idéaliste de 43 ans qui rêve d’une France meilleure, plus humaniste et solidaire. Il espère même pouvoir se présenter aux élections présidentielles de 2022. Son collectif de campagne : « Vers l’humanisme » parce qu’on « n’entend plus suffisamment parler d’humanisme en politique aujourd’hui, et c’est sans doute la solution à tous nos problèmes ».
« On n’entend plus suffisamment parler d’humanisme en politique aujourd’hui, et c’est sans doute la solution à tous nos problèmes. »
– David
Pour lui, le débat citoyen organisé par APF France handicap est une opportunité « d’apprendre comment les gens réfléchissent, parce que si on veut combattre certaines idées il faut comprendre le pourquoi ». Son projet pour l’avenir : construire collectivement une alternative au capitalisme qui « épuise à la fois les êtres humains et la nature ». De la revalorisation des métiers occupés par des femmes, à un revenu universel en passant par la prise en compte du vote blanc ou l’investissement massif dans les domaines de l’écologie et de la santé, son programme est « enrichi par les discussions avec les participantes et participation de sa table, que l’on soit alignés ou non ».
« On a tout à gagner à être dans le droit commun »
Denyse est en situation de handicap depuis plus de 40 ans, après un AVC survenu pendant le congé maternité de son deuxième enfant. Elle a d’abord repris partiellement le travail avant de devoir arrêter, les voyages n’étant plus compatibles avec sa vie. Et malgré ses diplômes en sciences de l’économie et son expérience en banque, elle n’a plus trouvé d’emploi, « de place pour se recycler » selon ses mots.
« J’ai toujours apprécié la démarche participative car on avance ensemble. »
– Denyse
Cela fait 30 ans qu’elle est bénévole à APF France handicap car elle ne conçoit pas de rester chez elle. Depuis 2007, Denyse est élue-conseillère à la section locale de l’association de Loire-Atlantique. Cela consiste à adapter et à décliner les valeurs et les politiques du conseil d’administration national au niveau départemental et en l’adaptant au contexte local. En plus de son engagement associatif, elle est largement présente à la MDPH (maison départementale des personnes handicapées) et plus particulièrement dans la Commission des lois et de l’autonomie. Au-delà du sujet sur la protection sociale et de la question «public/privé » qui l’intéresse, elle a dit oui au débat citoyen car « j’ai toujours apprécié la démarche participative car on avance ensemble ». Elle attend de cette expérience des « propositions constructives à proposer aux candidats » et une « mise en avant de ce sujet dans la campagne » même si elle regrette que les gens ne s’en préoccupent pas plus. Pour elle, partir des personnes en situation de handicap permet de révéler des problématiques sociétales plus larges et d’avoir des propositions qui profite à toute la population. C’est pour cela qu’il faut élargir à tout prix le débat et sortir de l’entre-soi : « On a tout à gagner à être dans le droit commun. Le but n’est pas de mettre en avant des personnes car on est un collectif. J’ai toujours préféré la collégialité, c’est important d‘avoir tout le monde avec soi ».
« J’ai envie que le groupe soit écouté »
Sylvain est enseignant en activités physiques adaptées pour APF France handicap dans un établissement médico-social en Savoie. Ce qui le motive, c’est de valoriser les capacités des personnes en partageant des activités qui génèrent du plaisir. D’abord sceptique, il a accepté de participer au débat citoyen organisé par l’association sur la protection sociale.
« Il faut pouvoir lever les freins à la pratique d’une activité physique ou sportive régulière, y compris en développant l’offre sportive inclusive profitable à tous. »
– Sylvain
Sylvain travaille depuis 3 ans chez APF France handicap. S’il a accepté de participer au débat citoyen de l’association, c’est parce qu’il croit en la force du collectif et des projets conduis en équipe. Sa motivation est de parvenir à une société plus inclusive et solidaire. Pour lui, cette participation est importante pour nourrir ses connaissances sur son domaine d’intervention, pouvoir écouter des spécialistes, et aussi échanger sur le thème de la protection sociale avec les sportifs qu’il accompagne.
En premier lieu sceptique : « La participation citoyenne ? J’étais un peu réticent, je doutais de l’efficacité de ces démarches. C’est pour cela que je n’ai pas formulé d’attentes très exigeantes pour ne pas être déçu », il s’est quand même laissé séduire par la richesse de l’expérience « J’ai quand même envie de m’y mettre à fond et de m’impliquer. J’ai envie que le groupe puisse être écouté par quelques candidats aux élections présidentielles 2022. Et qu’une ou deux propositions puissent être retenues ». Sylvain souligne également sa sensibilité écologique qu’il retrouve dans les débats « Les participants ont conscience du lien fort entre l’environnement et la santé ».
L’enseignant de 35 ans est animé par son combat pour l’égalité d’accès aux loisirs sportifs et pour que les effets bénéfiques des activités physiques et sportives soient connus et reconnus « Il faut pouvoir lever les freins à la pratique d’une activité physique ou sportive régulière, y compris en développant l’offre sportive inclusive profitable à tous ».
« Les gens ont tellement de connaissances ! »
Toulousaine de 56 ans et juriste de formation, Catherine est assureur au service corporel contentieux d’une compagnie d’assurance. Depuis 30 ans, elle approche au quotidien la problématique du handicap à travers ses dossiers de victimes d’accidents de la circulation, d’accidents de la vie privée ou d’accidents médicaux.
« La protection sociale est un sujet permanent. La repenser ne fait pas écho à une crainte de l’avenir mais bien à une idéologie de défense des droits des gens. »
– Catherine
Avant cette démarche, Catherine ne connaissait pas APF France handicap. Cela ne l’a empêché d’accepter de participer au débat citoyen : « je n’ai pas hésité, j’ai dit oui tout de suite ! ». Faire partie de cette aventure lui permet de témoigner de la nature des difficultés rencontrées lorsque ces vies sont ainsi brisées mais aussi de souligner le parcours du combattant auquel ces personnes doivent souvent faire face : pour obtenir des informations et de l’aide concernant leurs nouveaux besoins liés au handicap. Elle fait également le lien avec la vie politique et économique du pays : « La protection sociale est un sujet permanent. La repenser ne fait pas écho à une crainte de l’avenir mais bien à une idéologie de défense des droits des gens ».
Catherine est inquiète : « Depuis 30 ans j’ai vu l’évolution du régime, de la mutuelle, des déserts médicaux, de la médecine du travail : la situation est dramatique ! ». Pour elle, notre système de protection sociale est essentiel et précieux, mais nécessite un recadrage et un dépoussiérage afin d’ajuster au mieux les dépenses publiques pour notamment créer de nouveaux métiers liés à l’accompagnement du handicap. C’est pour ces raisons qu’elle mise beaucoup sur la démarche et la mise en œuvre des propositions sur le plan politique. Ses premières craintes étaient d’avoir des débats orientés pour favoriser certaines mesures. Finalement, il s’agit d’un texte dans lequel elle retrouve une qualité des débats et de riches interventions toutes aussi variées « Je suis vraiment épatée et ravis de l’implication des participants. C’est une très bonne découverte, j’apprends beaucoup. Les gens ont tellement de connaissances. Et les débats ont été riches d’informations, d’émotions, et bravo pour le choix et la qualité des intervenants !».
« Accomplir un acte citoyen collectif »
A 56 ans, Stéphane est aujourd’hui représentant du Conseil d’APF de département (CAPFD) du Morbihan et pour la Région Bretagne. Il vit depuis sa naissance avec une infirmité motrice cérébrale (IMC). Un handicap qui ne l’a pas empêché d’être actif, bien au contraire. Informaticien de formation, il a d’abord travaillé en activité industrielle puis dans un service multimédia pour personnes en situation de handicap dans un établissement et service d’aide par le travail (ESAT).
« Pour répondre aux incertitudes de demain et préparer les générations futures, nous devons apporter des réponses et solutions collectives tout en se basant sur nos expériences personnelles. »
– Stéphane
C’est à la suite d’un voyage organisé par la délégation départementale du Morbihan en 1989 que Stéphane devient bénévole à l’APF France handicap. C’est dans cette association qu’il trouve un épanouissement personnel et du sens à son engagement. Et ses précédentes activités professionnelles lui permettent d’apporter une vraie plus-value à l’association et aux nouveaux adhérents.
Convaincu que la protection sociale est une affaire de tous, Stéphane participe fièrement au Débat citoyen d’APF France Handicap, pour accomplir dit-il un acte citoyen et un partage d’idées. Pour lui, ce sujet est plus qu’important au vu de la période d’incertitude dans laquelle nous vivons, notamment pour les générations futures « nous appartenons tous à une classe minoritaire avec chacun nos préoccupations quotidiennes, c’est pour cette raison que nous devons essayer d’y apporter des réponses et des solutions collectives ».
Ravi de cette expérience démocratique avec « des échanges constructifs faisant appel aux vécus de chacun », il espère les candidats à l’élection présidentielle tiendront compte des propositions.
« C’est bien beau de râler dans son coin, mais c’est mieux d’essayer ! »
Anaïs est une maman de 3 enfants qui habite près de Toulon. A 35 ans, elle est en reconversion professionnelle après une RQTH (reconnaissance en qualité de travailleur handicapé) à la suite de deux hernies discales. Responsable en grande distribution pendant 15 ans, formée sur le tard, Anaïs « regrette presque d’avoir eu cette RTH qui est plus un obstacle qu’autre chose. J’ai comme une étiquette ‘boulet’ au-dessus de ma tête et cette reconnaissance m’a finalement fermé beaucoup de portes ». Pleine d’entrain et dotée d’une grande volonté, elle a finalement trouvé une formation pour devenir coiffeuse qui devrait démarrer dans quelques mois.
« J’ai accepté de participer au débat citoyen d’APF France handicap, car je me suis dit que pour une fois, nous, les citoyens, pourrions peut-être proposer de nouvelles choses. C’est bien beau de râler dans son coin, mais c’est mieux d’essayer ! »
– Anaïs
Difficulté de trouver un interlocuteur compétent, difficulté à avoir une personne au bout du téléphone, des aides financières certes mais non humaines et des longueurs administratives sans nom pour obtenir des réponses, des amies infirmières sous payées… c’est tout ça qu’Anaïs voulait partager. De la démarche, elle a aimé les échanges et le changement de perspectives en découvrant les problématiques des autres participants. Elle a également apprécié l’intervention de l’économiste Pierre-Yves Geoffard et son « ton juste » pour décrire l’état de la société et ses perspectives.
L’avis citoyen reflète bien, selon elle, la nature des débats. « Cela peut paraître utopiste mais il est complet. Après tout, si on n’ose pas, si ne propose jamais, rien ne se mettra en place. ». La protection sociale est un sujet global « notre avis n’est pas partisan mais je crains qu’on nous réponde qu’il n’y a plus d’argent à la suite de la pandémie de Covid ». Anaïs aimerait que les candidats aient pourtant le courage de se pencher sur le sujet du rééquilibrage des dépenses et que les prestations soient réévaluées. A titre personnel, que retient-elle de cette expérience ? « Malgré les galères, tous gardent le sourire ».
« Sans devenir spécialiste du sujet, on en ressort avec plus de connaissances »
Thierry, 59 ans, est consultant à Rouen dans le domaine de la formation et conseiller en stratégie et développement d’entreprises. Depuis la pandémie, il n’a pas beaucoup d’activités. « Passé 50 ans, c’est plus difficile » déclare cet homme aux multiples vies qui a un temps vécu à l’étranger.
S’il a accepté de participer au débat citoyen d’APF France handicap, c’est pour des « questions philosophiques ».
« Notre société souffre du manque de nuances, c’est presque devenu un gros mot quand on regarde les plateaux télé et les journaux des chaînes d’info. J’ai souhaité apporter ma pierre à l’édifice, me sentir utile, humain, dans un monde où j’en ai l’intime intuition l’Homme peut ne pas être un loup pour l’Homme ».
– Thierry
La protection sociale française est, selon, lui un modèle où l’on apprend le vivre-ensemble et qui est censé réduire les inégalités pour peu qu’on ne tombe pas dans « l’assistanat ». Pendant les échanges avec les participants, Thierry a préféré rester sur la réserve, ne pas imposer son point de vue et « ouvrir le débat plutôt que le fermer ». « Cela m’a ouvert des horizons. J’imaginais certaines situations, comme le mille-feuille administratif, mais j’ai pris conscience de l’ampleur de ses conséquences comme le non recours aux droits ».
Les débats l’ont aussi conforté dans l’idée qu’une partie des solutions ne peut venir uniquement des Etats et qu’il faut une dimension internationale comme des taxes sur les flux financiers. A ses yeux, la démarche participative est « enrichissante » car « sans devenir spécialiste du sujet, on en ressort avec plus de connaissances et plus d’éléments pour pouvoir nuancer le sujet et ne pas le prendre de façon simpliste ». Même s’il regrette certaines propositions un peu anecdotiques voire individuelles, il pense que l’avis citoyen est « une base de travail » qui offre des perspectives. Il souhaite des mesures concrètes et une prise de conscience plus large au niveau de la population. Est-ce que cela suffira à « développer une prise de conscience chez nos dirigeants » ? Il faut l’espérer car « il y a la matière pour celles et ceux qui voudront bien s’en saisir ».
L’interview de Patrice Tripoteau, directeur général adjoint d’APF France handicap