Débat citoyen APF France handicap : croiser les regards et interpeller

APF France handicap (1) est une association de défense et de représentation des personnes en situation de handicap et de leurs proches. Dans le cadre de la présidentielle, l’association initie un débat citoyen sur « la protection sociale : quel modèle pour demain ? ». Patrice Tripoteau, directeur général adjoint, nous explique ce qu’il attend d’une démarche qui aura la particularité de faire se croiser les regards entre personnes en situation de handicap, aidants ou proches et citoyens hors du champ du handicap.

Missions Publiques. APF France handicap est présente sur tout le territoire et agit pour l’égalité des droits, la citoyenneté, la participation sociale et le libre choix du mode de vie des personnes en situation de handicap et de leur famille. Quelles sont les actions de l’association et quel est l’état des lieux du handicap aujourd’hui en France ?

Patrice Tripoteau. Le plus classique et visible des handicaps, ce sont bien sûr les personnes qui se déplacent en fauteuil roulant, mais les situations de handicap recouvrent plusieurs autres réalités avec des handicaps plus ou moins visibles. Par exemple, beaucoup de nos adhérents sont atteints de sclérose en plaques ; d’autres ont des troubles cognitifs associés à une déficience motrice ou d’autres des déficiences visuelles ou auditives. Notre association, qui historiquement représentait des personnes avec un handicap moteur, s’ouvre à d’autres type de handicap comme l’autisme. Si nous utilisons le terme « en situation de handicap », c’est parce que le handicap est l’interaction entre un facteur personnel (lié à une maladie, à un accident, congénital…) et l’environnement de la personne (social, familial, accessibilité des espaces publics, des transports…). Aujourd’hui, la France compte 12 millions de personnes en situation de handicap et 8 millions de personnes qui sont leurs proches. Toutes ces personnes, souvent invisibles car discriminées et marginalisées, sont des citoyennes et citoyens qui exercent majoritairement leur droit de vote.

Notre action – avec nos 20 000 adhérents – est donc de défendre ces personnes via une approche par les droits et de lutter en parallèle contre l’isolement et les discriminations. Nous accompagnons au quotidien 30 000 personnes de la petite enfance au grand âge dans tous les départements en France métropolitaine (et en Guadeloupe depuis janvier 2021) avec nos établissements et services médico-sociaux et sanitaires.

« Aujourd’hui, la France compte 12 millions de personnes en situation de handicap et 8 millions de personnes qui sont leurs proches. Toutes ces personnes, souvent invisibles car discriminées et marginalisées, sont des citoyennes et citoyens qui exercent majoritairement leur droit de vote.

Patrice Tripoteau

Directeur général adjoint
APF France handicap

Missions Publiques. A ce propos, vous menez de nombreuses actions de plaidoyer (2) et dans le cadre de la présidentielle, vous avez déjà produit plusieurs notes politiques avec vos revendications et des propositions concrètes. Cette année, et vous êtes la première association à le faire, vous avez décidé de lancer un débat citoyen avec une forte représentation des personnes en situation de handicap…

Patrice Tripoteau. Depuis de nombreuses années, en particulier lors des campagnes électorales, le sujet du handicap est peu présent dans le débat politique. Les propositions des principaux candidats et candidates sont souvent très générales, partielles et ne répondent pas aux attentes des personnes en situation de handicap et de leurs proches. Les notes que nous réalisons dans le cadre de la présidentielle 2022 (3) répondent aux préoccupations majeures de ces personnes et nous attendons des candidates et candidats qu’ils prennent en compte le handicap dans leurs communications publiques et dans leurs programmes, pour une France réellement inclusive et solidaire.

En outre, nous avons décidé d’aller plus loin en initiant une démarche inspirée d’une convention citoyenne, dans le sens où nous allons avoir recours au tirage au sort. Notre « originalité » réside dans le fait que la composition des 104 membres de ce débat citoyen sera issue pour moitié de nos adhérents (et donc en grande partie en situation de handicap) et pour moitié de citoyennes et citoyens hors du champ du handicap et de notre association avec des critères de représentativité (égalité femmes/hommes, répartition géographique, catégories socio-professionnelles).

Depuis plus d’une vingtaine d’années, nous renforçons notre travail sur la démocratie participative. Comment permettre à des personnes en situation de handicap de participer aux orientations de notre association ? Comment participer au plaidoyer et aux actions de plaidoyer ? Ce débat citoyen est donc une étape supplémentaire dans notre réflexion car nous souhaitons l’ouvrir à des personnes non adhérentes. Toujours en droite ligne avec nos convictions : chaque citoyenne, chaque citoyen, doit pouvoir participer à l’élaboration des politiques publiques.

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« Nous souhaitons d’abord expérimenter une démarche de démocratie délibérative. Ce débat citoyen peut nous éclairer et nous permettre très certainement de réinventer notre manière de penser certaines problématiques.

Missions Publiques. Les consultations citoyennes se multiplient et avec elles, la question – légitime – de leur impact. Qu’attendez-vous de ce débat citoyen ?

Patrice Tripoteau. Nous souhaitons d’abord expérimenter une démarche de démocratie délibérative. Ce débat citoyen peut nous éclairer et nous permettre très certainement de réinventer notre manière de penser certaines problématiques. Nous avons d’ailleurs prévu des temps d’échange entre les citoyens et le conseil d’administration de l’association. Bien entendu, notre deuxième attente est d’éclairer, grâce à ce travail, l’ensemble de la société française en participant au débat national. C’est un moyen de replacer les associations, souvent reléguées au second plan, au centre du débat citoyen.

Pour garantir la transparence du processus, nous avons fait appel à votre agence pour nous accompagner sur le plan méthodologique. Nous allons faire aussi appel à des éclairages et des apports extérieurs d’actrices et d’acteurs divers afin que les citoyens puissent nourrir leur réflexion et confronter leurs idées. Et enfin, le sujet de la protection sociale touche très directement le quotidien de l’ensemble des Françaises et des Français, ce qui nous semble déterminant pour aboutir à un avis pertinent et des réflexions sur le modèle social que nous souhaitons pour demain. Ce que nous proposons aux 104 citoyens du débat, c’est à la fois un cheminement collectif et une délibération démocratique : une discussion sereine de ce qu’on veut pour la société, en débattant plutôt qu’en combattant.

« La crise a montré l’importance d’une protection sociale forte et la nécessité de justice sociale afin de ne laisser personne sur le bord de la route, quelles que soient les situations (précarité, handicap, personnes âgées, jeunes…).

Missions Publiques. Revenons justement sur le choix du thème de la protection sociale. Après plus d’un an de crise sanitaire, vous sentez que la solidarité nationale est aujourd’hui de plus en plus questionnée.

Patrice Tripoteau. L’Etat se désinvestit peu à peu, tendant à se défausser sur les solidarités familiales et/ou interpersonnelles. Les collectivités locales sont, quant à elles, contraintes de compenser cette défaillance de l’État avec des budgets de plus en plus réduits, ce qui engendre des inégalités de traitement sur le territoire. Dans le dernier baromètre de la confiance politique du Cevipof, il est intéressant de noter que 85 % des Françaises et des Français se disent fiers de leur système de protection sociale. Pour 84 %, c’est un atout pour l’économie française, pour 75 % une contribution à la redistribution des richesses et à la croissance. La crise a montré l’importance d’une protection sociale forte et la nécessité de justice sociale afin de ne laisser personne sur le bord de la route, quelles que soient les situations (précarité, handicap, personnes âgées, jeunes…).

Pour nous, c’est à la fois un axe stratégique fort et un des points développés dans notre contribution au « monde d’après » (4). Les personnes en situation de handicap sont particulièrement touchées par cette question de la protection sociale. Elles peuvent donc apporter leur contribution au débat public sur ce thème avec une réflexion croisée avec d’autres citoyens pour approfondir le sujet dans toutes ses dimensions. En effet, cela concerne le thème de la santé mais aussi le sujet de la précarité et de la pauvreté, de l’autonomie, etc. Contextuellement, le thème est opportun : après plus d’un an de pandémie, la santé est devenue une préoccupation majeure, l’assurance chômage et des retraites sont à nouveau à l’agenda politique… Alors que l’on entend régulièrement parler de sécurité, nous choisissons de débattre de ce qu’est « protéger » au sens large dans notre société.

(1) Créée en 1933, APF France handicap est connue jusqu’en 2018 comme l’Association des paralysés de France. Elle rassemble aujourd’hui 85 000 acteurs impliqués au quotidien dont 35 000 usagers, 21 000 adhérents, 15 000 salariés et 12 500 bénévoles.
(2) Accessibilité, emploi, santé… la collection de notes politiques et de plaidoyers (femme, enfants, prison) est disponible sur le site.
(4) Contribution d’APF France handicap à la réflexion sur le monde d’après : Demain, une société plus juste, apaisée et durable fondées sur les droits humains
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