Pub et paris sportifs : retour sur les ateliers citoyens

L’Autorité nationale des jeux (ANJ) a mis en place un cycle de réflexion sur la régulation de la publicité dans les paris sportifs. Pour inclure les citoyens dans la réflexion, deux ateliers citoyens que nous avons accompagnés à Villeneuve d’Ascq et Marseille, ont été organisés. Marketing digital, rôle grandissant des influenceurs sur les réseaux sociaux auprès des jeunes… Isabelle Falque-Pierrotin, présidente de l’ANJ, revient sur les résultats de cette consultation et sur la plus-value de la participation citoyenne sur le sujet des jeux d’argent.

Missions Publiques. Vous êtes la présidente de l’Autorité nationale des jeux (ANJ) depuis juin 2020, date à laquelle cette autorité publique a été créée. Quel est le rôle de l’ANJ et de votre présidence ?

Isabelle Falque-Pierrotin. L’ANJ a pour mission de réguler les opérateurs de jeux d’argent de façon la plus homogène possible selon les types de paris, les types d’opérateurs (en monopole ou en concurrence), le réseau physique ou en ligne. C’est une avancée majeure opérée par le législateur en 2019 car auparavant la tutelle du secteur était éclatée entre plusieurs acteurs publics.  Tout ceci afin de renforcer la protection des joueurs et le respect des objectifs de la politique de l’Etat en matière de jeux d’argent, notamment la lutte contre l’addiction.

Mon rôle, en tant que présidente de cette nouvelle autorité, a été d’abord de constituer une équipe, composée de profils variés afin d’être en mesure de mettre en œuvre les nouveaux pouvoirs de l’Autorité ; je crois beaucoup à l’action collective et à la fertilisation des talents. Ensuite de définir une vision stratégique, permettant à cette autorité de construire pas à pas ses briques de base et ses priorités d’intervention. Nous avons par exemple, fait de la lutte contre l’offre illégale, comme les casinos en ligne, une de nos priorités. Enfin, il faut mettre en place une relation constructive avec les opérateurs qui opèrent sur un marché qui n’est pas comme les autres. En effet, le jeu d’argent est porteur de risques pour le consommateur qui ne doivent pas être minorés et ils justifient un encadrement strict par la loi. Mon rôle est de faire comprendre à ces opérateurs que l’ANJ n’est pas opposée au marché et à sa dynamique mais que celle-ci ne doit pas fragiliser le modèle français de jeu récréatif qui est à la base de l’ouverture du marché à la concurrence en 2010.

 

Missions Publiques. Pourquoi avoir voulu travailler sur les pratiques des opérateurs de jeux d’argent en matière de publicité ? En proposant des ateliers citoyens dans votre démarche, quel était l’objectif ?

Isabelle Falque-Pierrotin. La publicité est l’outil par excellence des opérateurs pour différencier leurs offres. Il ne s’agit pas de condamner cet outil. Nous avons cependant constaté pendant l’euro de Football en juin 2021 que la pression publicitaire avait atteint un niveau inédit, suscitant la mobilisation de l’opinion publique et du monde politique, et ce d’autant que certaines campagnes semblaient cibler en priorité les jeunes et les publics vulnérables. Face à cet émoi et afin de ne pas prendre de solutions à chaud, notamment les plus radicales, nous avons souhaité lancer une consultation publique de l’ensemble des parties prenantes concernées.

Nous avons ainsi consulté le grand public via un questionnaire en ligne, les opérateurs de Jeux d’argent et de hasard, les professionnels de la publicité, du sport, du milieu du soin. L’objectif était de bien comprendre et mesurer l’impact publicitaire en matière de jeux d’argent et de hasard, en particulier en matière de paris sportifs, d’identifier les risques en matière d’addiction, le rôle de la régulation et les solutions envisageables. Concernant le grand public, il nous est apparu utile d’avoir un travail assez fin avec des joueurs et des non-joueurs afin de bien comprendre leurs attentes, les risques qu’ils ressentent et les solutions qu’ils recommandaient. Prendre le temps de les faire réfléchir sur un sujet qui, pour certains, ne semblait pas les concerner au premier abord a été une expérience fort enrichissante. Beaucoup ont réalisé au terme des ateliers citoyens que l’on était face à un enjeu de société qui concernait la plupart des familles françaises et qu’une mobilisation de tous était nécessaire.

Comme je l’ai dit plus haut, la consultation auprès du grand public a permis d’associer les non-joueurs au débat, dans les ateliers citoyens. La publicité est une thématique très large qui intéresse tout le monde et ceci dépasse les seuls joueurs, et ce qui a fait la richesse des échanges. Les participants ont pu aussi en savoir plus sur les pratiques des joueurs, et notamment des plus jeunes ; quelques mineurs aussi ont participé aux ateliers. Par ailleurs, ce sont aussi majoritairement des non joueurs ou joueurs jouant très rarement (67%) qui ont répondu à la consultation proposée en ligne.

"Le grand public n’est pas technicien, il ne va pas élaborer des solutions techniques mais il va nous aider à identifier des pistes de travail.

Isabelle Falque-Pierrotin

Présidente de l’ANJ

Missions Publiques. La publicité pour les jeux d’argents a un impact important sur les publics vulnérables comme les jeunes joueurs. Avant cette démarche, avez-vous eu conscience de la puissance des réseaux sociaux et des influenceurs ? Quelles propositions ont émergées pour y répondre ?

Isabelle Falque-Pierrotin. La consultation publique et les études spécifiques que nous avons diligentées sur le sujet ont révélé l’importance de la publicité digitale. En fait, dans les dernières années, le secteur des jeux d’argent s’est emparé du numérique et plus de 40 % du marketing digital est fait à partir des leviers numériques. Ceci explique aussi pourquoi la publicité est particulièrement efficace et influente auprès des jeunes qui sont massivement en ligne et sur les réseaux sociaux.  Les opérateurs constituent ainsi autour de leur marque et de leurs produits des communautés, mobilisable à tout moment. A ce titre, les influenceurs ont un rôle capital à jouer. Ils animent les communautés via des vidéos, des publications diverses qui utilisent tout le vocabulaire urbain et les références de style qui plaisent aux jeunes ; et ils entretiennent le rêve autour du jeu et de l’argent facile. C’est très efficace pour capturer l’attention des joueurs. En outre, certains de ces influenceurs sont très populaires chez les mineurs et ils introduisent de fait le jeu d’argent comme un élément naturel de l’environnement de vie des mineurs.

Les propositions qui ont émergé consistent à sensibiliser les opérateurs aux risques de ces influenceurs et à souhaiter qu’ils ne recourent qu’à des professionnels « responsables », conscients de leur rôle dans l’écosystème des opérateurs ; à ce titre, leur adhésion à la charte de l’influence responsable de l’ARPP (Autorité de régulation professionnelle de la publicité) semble indispensable. Elles visent aussi à recommander aux opérateurs de ne pas faire appel à des influenceurs dont l’audience mineurs est importante ; nous avons ainsi considéré que l’influenceur en matière de jeux d’argent et de hasard ne pouvait pas avoir une audience de plus de 16 % auprès des mineurs.

De façon plus générale, nos recommandations consistent à renforcer la protection des mineurs et des publics vulnérables, à diminuer quantitativement la pression publicitaire sur tous les supports et à mieux faire valoir les messages de prévention qui sont aujourd’hui assez pu accessibles ou même lisibles. Nous invitons les opérateurs à signer avec nous une Charte digitale, recapitulant leurs engagements en matière de publicité digitale. Le choix que nous avons fait est donc de responsabiliser les opérateurs sur de nouvelles pratiques, plus protectrices des joueurs, considérant que leur intérêt bien compris, l’image de leurs marques passe par cet ajustement.

 

Missions Publiques. En quoi la participation citoyenne est une plus-value dans l’élaboration de constats et la rédaction de propositions ? Pensez-vous continuer à consulter les citoyens sur vos prochains travaux ?

Isabelle Falque-Pierrotin. La participation citoyenne est sur le sujet des jeux d’argent une plus -value essentielle dans la fixation d’un diagnostic et l’élaboration de recommandations. En effet, le jeu est une pratique très populaire qui irrigue toutes les couches de la société et il est important d’en bien comprendre les leviers intimes avant de réguler. D’ailleurs, dans notre consultation publique, il est apparu que le retour du grand public confirmait largement les analyses des professionnels ou celles que nous avions développées en interne. Bien sûr, il ne s’agit pas de vérité scientifique ou de statistiques.  Mais, sur un sujet de société, la consultation publique permet de mieux appréhender le pacte social, d’identifier les questions, les enjeux. Le grand public n’est pas technicien de la question, il ne va pas élaborer des solutions techniques mais il va nous aider à identifier des pistes de travail. Le sujet de la prévention qui n’est pas technique, est par exemple revenu très souvent dans les propositions formulées par les citoyens.

L’enjeu déterminant dans un tel process est la préparation des débats et l’écoute des participants. Dans notre cas, ces deux points ont été bien travaillés et je crois que la participation citoyenne a été une réussite, apportant une légitimité supplémentaire à nos propositions.

Oui, nous continuerons à mobiliser de tels outils dans le futur, en fonction des sujets.

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