" Rendre accessible les prises de décisions aux personnes marginalisées"

Lauren Lolo est élue municipale et co-fondatrice de « Cité de Chances », une association qui promeut l’engagement citoyen des jeunes de banlieues, en les accompagnant dans la vie citoyenne. Défenseuse des droits des minorités de genre, elle sera présente à notre hackathon sur l’égalité des genres dans la tech. Retour sur le parcours atypique de cette militante de Clichy-sous-Bois qui se retrouve catapultée dans le 16e arrondissement de Paris à 16 ans.

Missions Publiques. Vous avez été élue au 1er tour aux élections municipales de 2020 à Fosses, dans le 95. Vous êtes donc une jeune conseillère municipale et co-Fondatrice de l’association « Cité de Chances ». Racontez-nous votre parcours.

Lauren Lolo. J’ai grandi à Clichy-sous-Bois, tristement célèbre pour avoir été le décor du film oscarisé Les Misérables et emblématique du mal-logement dans les banlieues parisiennes. A l’âge de 16 ans, j’ai été hospitalisée dans le 16e arrondissement où j’ai intégré un autre lycée. Quelle a été ma surprise quand je me suis retrouvée entourée de lycéens d’une toute autre classe sociale, qui suivaient les débats télévisés et qui s’intéressaient à la chose publique. Je me suis alors demandée : pourquoi, moi, je ne m’y intéresse pas ? Pourquoi je ne fais pas partie de ces chaines de décisions et eux, si ?

Très vite j’ai compris qu’il n’y avait pas assez de jeunes de ces mêmes classes sociales que moi et j’ai rencontré Brandy Boloko, co-fondateur de CDC qui a grandi à Sarcelles (95) et avec qui j’ai fondé « Cité des Chances ». Nous voulions faire de l’éducation à la citoyenneté par la pratique et se saisir de « la chose publique ».

Pour ce qui est de mon engagement en tant que conseillère municipale, j’ai fait un service civique à la mairie de Fosses dans le 95 en banlieue parisienne. C’était la première fois que je posais les pieds dans une mairie autrement que pour refaire ma carte d’identité ou pour un papier perdu. J’ai donc rencontré le maire de l’époque et très vite j’ai voulu tout bousculer. J’ai décidé à la suite de ce service civique de me réorienter, non plus en droit comme je l’avais prévu, mais en sciences politiques.

Mais c’est sur un heureux malentendu que j’en suis là aujourd’hui ! J’étais conseillère régionale des jeunes d’Ile-de-France et tout naturellement le maire de Fosses m’a demandé de « rejoindre l’équipe pour les élections ». J’ai pris cela comme une invitation à renforcer l’équipe déjà en place, sur les efforts de communication principalement. Et un jour, la directrice de campagne m’a appelée en me rappelant le délai de signatures pour les listes de campagnes. J’ai compris que le maire m’avait en réalité invité à être sur les listes électorales à ses côtés ! C’était un grand moment de prise de conscience ! Aujourd’hui, mon expérience de terrain auprès des jeunes avec « Cité des Chances » nourrit mes prises de décision au sein du conseil municipal.

Missions Publiques : Quel regard portez-vous sur la démocratie participative ?

Lauren Lolo. Le fait d’impliquer les citoyens dans le process de décision est l’ambition qui m’a poussée en politique et dans le milieu associatif dès le départ. Aujourd’hui, les dispositifs participatifs que l’on connait, comme la Convention citoyenne pour le climat, sont des mécanismes que j’aimerais beaucoup que l’on se réapproprie à l’échelle municipale. Le problème majeur auquel nous nous confrontons est le manque de temps pour que les citoyens et citoyennes puissent prendre plusieurs jours, sans être rémunérés, pour se déplacer et participer à une assemblée. Car l’engagement citoyen prend du temps, et je refuse de tomber dans la simplicité et la rapidité des consultations en ligne.

Les citoyennes et citoyens que j’essaie de mobiliser aujourd’hui sont souvent des femmes, et souvent des femmes avec enfants. Ce sont aussi des jeunes et qui dit jeunes aujourd’hui dit petits boulots à côté des leurs études, ce qui rend presque impossible pour elles et eux de se déplacer et prendre du temps sur leur emploi du temps déjà chargé. S’occuper de la collectivité est aujourd’hui devenu un luxe. Moi-même qui suis élue municipale, je suis étudiante en même temps, je suis entrepreneure et je suis de plus en plus prise par le temps.

En ce sens je suis tout à fait favorable à votre tribune au sujet d’un statut du citoyen engagé pour infuser plus largement le droit à la participation et pour donner une chance égale à toute personne souhaitant participer. Ce statut permettrait de libérer le temps nécessaire pour que les citoyens et citoyennes puissent s’investir sans contrainte sur une période donnée.

Mais n’oublions pas que cet engagement citoyen palie un service public défaillant ! Finalement, les députés sont payés avec nos impôts, ne serait-ce qu’avec la TVA. Dans nos quartiers, des bénévoles organisent des maraudes avec leurs propres sous alors qu’ils paient déjà les services publics pour le faire.

"Je suis tout à fait favorable au statut du citoyen engagé pour infuser plus largement le droit à la participation.

Lauren Lolo

Conseillère municipale à Fosses (95) et co-fondatrice de la « Cité des Chances »

Missions Publiques : Pourquoi avoir accepté d’intervenir à notre Hackathon sur l’égalité des chances dans la tech ?

Lauren Lolo. Le hackathon Equals EU sur l’égalité des gens dans la tech est un souffle d’intersectionnalité qui fait du bien ! La justesse de vos propos au sujet de la représentativité dans les prises de décision m’a convaincue d’accepter : que ce soit en politique ou dans la tech, il y a peu de jeunes femmes noires de 24 ans, issues de milieux populaires et qui travaillent à côté pour arrondir leurs fins de mois. Ce manque de représentativité, il existe à toutes les échelles qu’elles soient municipales, régionales, nationales et européennes. Employés et ouvriers représentent la moitié de la population active et comptent pour dix fois moins parmi les députés à l’assemblé nationale. Les jeunes députés de moins de 25 ans sont trop peu nombreux, et si l’on étudie leur profil, ce sont des jeunes qui n’ont jamais été soumis à des problèmes de précarité étudiante et qui sont donc moins légitimes pour porter haut la voix des jeunes qui galèrent. En 2021, seuls 19,8 % des maires sont des femmes, 11,4 % des présidents de conseils communautaires sont des femmes, 20,2 % des présidents des conseils départementaux et 31,6 % de ceux des régions. Enfin, les femmes dirigent plus souvent les petites communes que les grandes : en 2021, 22,4 % des maires des communes de moins de 100 habitants sont des femmes, contre 18,8 % dans les communes de plus de 1 000 habitants. [1] Le nombre de personnes racisées et en situation de handicap est ridicule. Mieux vaut en sourire qu’en pleurer…

Le hackathon est un moyen parmi d’autres de rendre accessible des prises de décisions par ces personnes souvent marginalisées. Le fait de mettre en place une garderie, de faire attention aux pronoms des gens peut pallier le manque de représentativité de la société dans des secteurs comme la tech longtemps dominé par des hommes blancs et âgés. Le fait aussi de faire attention aux membres du jury, de préciser que seules les femmes pourront diriger une équipe, va permettre d’avoir des innovations qui sont les plus inclusives possibles parce qu’on est les plus légitimes de savoir de quoi on parle.

Missions Publiques : Quels sont les plus gros freins dont vous aimeriez que les participantes et participants du hackathon s’emparent ?

Lauren Lolo. Pour moi, les questions de légitimité et d’équité sont phares. A « Cité des Chances », je me suis rapidement rendu compte que le déterminisme social est une chose intériorisée, pas forcément consciente. Je me suis retrouvée engagée en politique parce qu’on m’a dit « tu en es capable ! Vas-y ! ». Il y avait un décalage foudroyant entre l’intérêt qu’on avait pour la politique et la légitimité qu’on nous octroyait pour donner notre avis. Avant de passer par tout ça, je n’avais pas mon mot à dire parce que je n’y connaissais rien. Et ça c’est vraiment quelque chose que les jeunes ont tendance à penser : il faut être expert en je ne sais quoi pour pouvoir parler politique. Il y a les gens habilités à…et les autres. Ensuite il y a cette méfiance, ces jeunes qui nous disent « de toute façon ils sont tous pareils, je n’ai pas envie d’être comme eux et ils ne me ressemblent pas », je leur réponds « si tu ne te sens pas représenté, présente-toi ! ».

En matière d’équité, j’aimerais voir des propositions d’adaptation et de démarches intersectionnelles réelles. Comment adapter les process bureaucratiques à des personnes sourdes et muettes ? Comment adapter le temps de parole de ces personnes ? Comment penser à toutes les catégories de populations possibles et comment se tenir à l’exigence de l’intersectionnalité ? La question de l’éloignement géographique, aussi, l’inclusion des Outremarins sont également des problématiques dont j’espère, les participantes se saisiront.

En réalité, j’ai de l’espoir pour le domaine de la tech car je pense qu’il y a moins de freins institutionnels à ce niveau. L’innovation de manière générale peut toujours régler un certain nombre de problèmes notamment au niveau de l’accessibilité. Moi qui ai un handicap depuis 2014, la livraison de courses à domicile m’a changée la vie ! Cette démocratisation pendant la pandémie de Covid-19 peut faire tomber des barrières et inclure des personnes par d’autres moyens. Je pense aussi que derrière un écran, beaucoup de barrières peuvent tomber. Sur les réseaux sociaux, je vois des femmes qui parlent politique mais qui n’osent jamais aller sur des plateaux TV pour s’exprimer. J’ai plus d’espoir dans la tech que dans la politique.

A celles qui n’osent pas franchir le pas, je leur dis : « Présentez-vous ! » Car pour peser dans une décision, il faut être à plusieurs, et plus on sera nombreuses à parler du vécu des femmes et des personnes à la marge, plus on pourra les défendre et avancer dans la prise de décision. Osez !

[1] Source : collectivités locales.gouv.fr https://www.collectivites-locales.gouv.fr/files/Accueil/DESL/2021/BIS/BIS%20%C3%A9lus%20locaux%202021.pdf

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