Rapport Bernasconi : la participation citoyenne ou le 3e champ de la démocratie

Le rapport « Rétablir la confiance des Français dans la vie démocratique (1)» a été remis au Premier ministre en février 2022 par Patrick Bernasconi. L’objectif de la mission était de réfléchir aux scénarios d’évolution institutionnelle permettant à la participation citoyenne de trouver sa place dans nos institutions.  Cycle délibératif national, continuum de la participation, formation de l’administration… l’ancien président du Conseil économique, social et environnemental (CESE) revient sur les ambitions et les propositions du texte.

Missions Publiques. Quel est l’objectif du rapport et sa pertinence aujourd’hui ?

Patrick Bernasconi. L’intérêt pour le sujet vient de mon expérience en tant que président du Conseil économique, social et environnemental. Dans le projet de mandature, nous avions cette volonté de nous ouvrir davantage aux populations qui n’étaient pas représentées dans l’instance et de sortir de l’entre-soi. Nous avons donc expérimenté plusieurs exercices : des pétitions sur des plateformes citoyennes, des tirages au sort et la Convention citoyenne pour le climat. Cela nous a permis de mieux cerner ce qu’est la participation citoyenne et d’en mesurer les conséquences et les attentes.

Parallèlement, je voyais le sujet monter dans la société française, avec une vraie envie de débattre et un appétit à participer davantage à la décision publique. Un exercice comme le Grand débat national, qui a recueilli près de 2 millions de contributions sur la démocratie, l’organisation de l’Etat, la fiscalité ou encore la transition écologique, l’a également montré. Et à travers les différents tirages au sort, nous avons pu mesurer l’implication des citoyens. Ces exercices participatifs sont très variés, d’ampleur différentes selon l’échelle. Leur qualité est aussi très variable.  Enfin, il est aujourd’hui impossible d’ignorer les facteurs d’abstention et de défiance des citoyens à l’égard des institutions. En Europe de l’Ouest, la France affiche le troisième score moyen de confiance vis-à-vis des institutions le plus faible, après l’Espagne et l’Italie, avec une moyenne de 20% de confiance (2). Si l’abstention est un phénomène qui touche tous les pays européens, la France se caractérise par la forte défiance de ses citoyens à l’égard des institutions.

L’objectif de ce rapport est donc d’essayer de proposer une structuration de ce champ et de lui trouver une place à côté de la démocratie représentative sans fragiliser cette dernière mais en la renforçant. Pour cela, il était nécessaire d’évaluer tous ces dispositifs, d’en mesurer la profondeur et de les analyser.

 

Missions Publiques. Les propositions de votre rapport sont plutôt « institutionnelles », au sens où elles sont pensées avec les institutions existantes ou « institutionnalisées ». Sont-elles, de votre point vue, susceptibles de répondre à la défiance des Français-e-s vis-à-vis de la démocratie représentative ?

Patrick Bernasconi. La mission s’est attachée à formuler trois catégories de propositions : optimiser et améliorer les dispositifs participatifs existants, tant à l’échelle locale que dans certaines politiques publiques (santé, environnement) ; structurer juridiquement et opérationnellement un champ autonome de la démocratie participative; créer un véritable « cycle délibératif national » portant sur des politiques publiques touchants aux grandes transitions afin d’associer participation citoyenne et délibération des corps intermédiaires.

Nous ne voulions pas présenter un « big-bang », mais bien faire des propositions concrètes, et les articuler avec nos institutions représentatives, préserver les prérogatives du gouvernement et du législateur et amener une cohérence entre tous ces processus. Ces propositions ne vont pas résoudre à elles seules la question de la défiance. En revanche, elles peuvent contribuer à redonner confiance. Je ne suis pas un adepte de la démocratie directe, qui n’est jamais à mon sens très éloignée de la dictature. Pour moi, notre démocratie est bien représentative car il y a un vote. Si les gens ne l’utilisent pas, c’est de leur responsabilité. Qu’il y ait besoin de l’expression des citoyens pour éclairer la démocratie représentative, c’est indéniable et le seul rendez-vous des élections ne peut suffire. Mais si vous n’avez pas un process quasi-industriel de ces différentes formes participatives, elles ne parviendront pas à produire des délibérations et des propositions de qualité. Il est aussi nécessaire d’aller plus loin sur les évaluations de ces démarches et la reddition des comptes. Aujourd’hui, trop souvent, dans les exercices participatifs, la phase amont ou la phase aval est maltraitée.

© Cese

Missions Publiques. Sur ce point, vous préconisez la mise en place d’un « véritable continuum de la participation » pour remédier à la mauvaise qualité des débats en amont des concertations nationales en matière environnementale… et un cycle délibératif national pour « améliorer la confiance » entre représentés et représentants.

Patrick Bernasconi. Les projets d’infrastructures d’ampleur ont de plus en plus de mal à voir le jour.  La lenteur d’exécution de ces projets après la phase d’autorisation, ainsi que la prolifération de contentions voire des occupations illégales s’expliquent en partie par cette mauvaise qualité du débat en phase amont. L’idée est donc de créer un chaînage vertueux entre les différentes étapes avec un garant de la concertation qui serait présent lors de la phase amont et pendant l’enquête publique.

Le cycle délibératif national est une proposition qui découle de l’analyse que nous avons réalisée du grand débat national et de la Convention citoyenne pour le climat. Dans ces deux expérimentations, c’est la sortie du processus qui a été le plus dysfonctionnelle faute d’avoir pensé une véritable méthodologie de reddition des comptes ainsi qu’une bonne articulation avec les institutions de la démocratie représentative, à commencer par le Parlement. Nous recommandons, entre autres, de combiner une séquence participative à large spectre avec une séquence délibérative plus qualitative, à formation plus restreinte ainsi qu’un ensemble de garanties procédurales et méthodologiques, notamment en matière de reddition des comptes. En ce qui concerne les thématiques susceptibles de faire l’objet d’un tel cycle délibératif, il faudrait que le Gouvernement et le Parlement (avec soit un seuil de députés et de sénateurs, soit une initiative de chaque assemblée) puissent déclencher l’exercice. Le CESE aura, quant à lui, la faculté de faire des propositions de thèmes aux pouvoirs publics. Quand un cycle délibératif sera déclenché, il y aura donc un grand débat public à caractère participatif ; une double délibération en formation restreinte, par des citoyens tirés au sort et par les représentants des corps intermédiaires, au sein d’un CESE rénové ; une transformation de l’orientation politique issue de la phase participative en projet de loi si l’initiative du cycle a été prise par le Gouvernement et en proposition de loi, si celle-ci émane du Parlement. Le tout sous la supervision de la Haute autorité de la participation citoyenne (qui remplacerait la CNDP et qui serait garante et non plus organisatrice des exercices participatifs).

"Tout plan ou tout projet de loi de programmation à caractère économique, social ou environnemental envisagé par le Gouvernement pourrait faire l’objet d’une obligatotion de participation citoyenne.

© Cese

Patrick Bernasconi

Ancien président du Conseil économique, social et environnemental (CESE)

Missions Publiques. Vous évoquez la reconnaissance d’un droit à la participation, les droits et devoirs des citoyen-ne-s et la valorisation de l’expérience acquise durant ces exercices… toutefois, vous n’allez pas jusqu’à la création d’un « statut » de citoyen-ne participant-e. Pourquoi ?

Patrick Bernasconi. Nous ne sommes peut-être pas allés assez loin sur certains sujets mais on ouvre des portes et c’est une aide à la réflexion. On peut tout à fait imaginer, demain, donner un statut un peu plus important au citoyen lorsqu’il est sollicité, sur le modèle du juré d’assise. La mission n’a pas préconisé une obligation de participation afin de préserver la bonne délibération qui repose sur la bonne foi et la bonne volonté des citoyens impliqués. Nous ne sommes pas complètement mûrs juridiquement sur le sujet (suppression de certains droits etc.) même si cela aurait eu le mérite de régler les histoires de critères et de représentativité de la population française. En tout cas, c’est une vraie réflexion à ouvrir.

Nous proposons, par ailleurs, un corpus de devoirs, en miroir du corpus de droits, pour les principes les plus structurants, dans la loi et pour le reste, dans une charte de déontologie à construire avec les acteurs. Enfin, sur le volet des indemnités, pour aider les plus petites collectivités et les services déconcentrés de l’Etat dans le développement de leur action participative, nous proposons la création d’un « fonds de la participation citoyenne » géré par la Caisse des dépôts pour leur permettre de couvrir les coûts afférents aux démarches participatives.

 

Missions Publiques. Vous parlez d’un « troisième champ de la démocratie » comme celui de la démocratie sociale. Mais comment faire pour que la culture de la participation infuse plus largement dans l’administration ?

Patrick Bernasconi. Il nous semble en effet intéressant d’introduire la participation des citoyens au processus de décision publique comme troisième champ de la démocratie. Concrètement, cela signifie que tout plan ou tout projet de loi de programmation à caractère économique, social ou environnemental envisagé par le Gouvernement pourrait faire l’objet d’une obligatoire de participation citoyenne, situé suffisamment en amont de la décision pour la rendre effective et de façon suffisamment souple pour laisser au Gouvernement toute latitude quant aux modalités de participation.

Ensuite, nous avons tiré la conclusion que la culture de la participation citoyenne faisait encore trop défaut dans la plupart des administrations publiques, de l’Etat comme des collectivités. C’est pourquoi, nous recommandons d’intégrer un module sur l’association des citoyens à la décision publique dans les cursus des écoles de service public et de construire avec les associations d’élus un cycle de formation sur la participation citoyenne locale des élus locaux. Cet enseignement de la délibération doit aussi se faire à l’école, via des simulations d’exercices délibératifs, en partenariat avec l’Education nationale et les collectivités.

Les dispositifs participatifs demandent du temps mais c’est une des clés de réussite. Et malheureusement, nous sommes confrontés à des temps de réactions très courts et des décisions ultra-rapides. Or la participation et la délibération, c’est un peu comme la négociation, il ne faut jamais aller trop vite.

 

(1) Les travaux se sont déroulés entre septembre 2021 et décembre 2021. La mission s’est appuyée sur un état des lieux des différents dispositifs participatifs ou délibératifs en France, une typologie des acteurs de la participation et une analyse qualitative et quantitative de l’impact des démarches participatives sur la qualité des décisions publiques et le fonctionnement de la démocratie. Lire le rapport
(2) Cevipof, 2021 

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