La tech et le genre, un combat multiculturel

C’est en plein confinement qu’Amalia Salle, chorégraphe, et que Xuan-Vi Tran dit « Vi », développeuse, décident de créer VibZ une application de cours de danse avec des chorégraphes du monde entier. Un pari qui allie à la fois créativité, inclusion et accessibilité. Rencontre avec Vi qui interviendra à notre Hackathon EQUALS EU sur l’égalité des genres dans la tech.

Missions Publiques. Quelle est la genèse de ce projet ?

Xuan-Vi Tran. Cette idée de génie n’est pas la mienne, mais celle d’Amalia. J’étais salariée dans une agence de publicité marketing et en parallèle je prenais des cours de danse avec Amalia, ma chorégraphe de l’époque. Je lui ai proposé de refaire ses créas et quelques années plus tard, on ouvrait un studio de danse. Mais le Covid-19 est arrivé, chamboulant tous nos plans. Confinées, on s’est décidé à lancer une appli qui permettrait aux gens de danser avec leur chorégraphe depuis chez eux : le tout en réalité augmentée.

Cette idée vient du fait que beaucoup de personnes souhaitent danser avec des chorégraphes qui souvent ne sont pas dans le même pays et vivent dans les capitales. L’accessibilité à ces cours n’est pas une évidence, et en ce sens, l’appli est un moyen de casser les barrières géographiques mais aussi économiques car elles permettent aux danseurs et danseuses d’être proches de leurs profs sans avoir à payer un billet de train ou d’avion pour le.a rejoindre.

Aujourd’hui, la moitié de nos utilisateurs.rices sont francophones et viennent de France et de Belgique; l’autre moitié vient de pays étrangers : des Russes, des Indiens, des Américains et des Brésiliens.

Missions Publiques. Vous dites que cette appli est un « moyen de casser les barrières géographiques et économiques ». Le pari était risqué surtout pour une pratique dite « vivante ». En quoi cette appli est-elle finalement inclusive ?

Xuan-Vi Tran. Si c’est effectivement une avancée en matière d’accès, c’est aussi un moyen de casser des barrières psychologiques. Quand vous allez à un cours de danse, vous vous retrouvez face à de grands miroirs, à des gens que vous ne connaissez pas et qui scrutent chacun de vos gestes. Même si parfois le contact humain nous manque à travers le numérique, l’application nous permet de rétablir une confiance en nous, de ne pas craindre le jugement de l’autre, et d’affirmer notre identité comme on le souhaite. Beaucoup des jeunes qui ont installé l’application ne peuvent pas affirmer leur identité publiquement, que ce soient des jeunes garçons qui veulent danser en talons ou des filles qui veulent pratiquer la danse un peu ghetto et underground… Iels pourront le faire sans jugement, sans la peur du regard des autres et dans un cadre totalement safe, à l’abri des regards et sans avoir peur des agressions qu’iels peuvent subir en dehors. J’ai remarqué récemment que je ne voyais plus autant de personnes en studio et souvent on me répond : « je ne peux plus supporter autant de monde, la proximité je n’y arrive plus ». Même si on peut perdre le contact humain, on le retrouve ailleurs, et on trouve un autre moyen de faire du lien et de réconcilier ces personnes avec des points d’attaches comme la danse. Il faut apporter de l’innovation et de l’adaptabilité aujourd’hui.

"Je veux voir le pouvoir de la diversité au travail et constater que la prise de décision peut être saine.

Xuan-Vi Tran

Développeuse – Application VibZ

Missions Publiques. Vous interviendrez en tant qu’experte au hackathon sur l’égalité des genres dans la tech le 5 mars prochain. Comment voyez-vous votre intervention ?

Xuan-Vi Tran. C’est une promesse de vrais échanges de codes, de façon de faire et de visions. Souvent, les femmes et + se demandent si elles sont légitimes. L’image de la femme qui fait un métier à responsabilité n’était pas quelque chose qu’on montrait beaucoup dans mon cadre familial et j’ai envie de leur faire passer le message qu’il ne faut pas avoir honte de vouloir faire les choses différemment de ce qu’on a connu dans notre culture et notre éducation. J’aimerais partager mon retour d’expérience à ce sujet.

C’est aussi une opportunité pour chacun.e d’affirmer son identité au travers de leurs hard skills bien sûr mais aussi par le biais de leurs soft skills. Le temps contraint du hackathon sera un peu stressant et les projets vainqueurs seront forcément ce.lles.eux qui auront fait appel à des qualités organisationnelles. J’ai envie de voir la force de la diversité à l’œuvre et de voir que la prise de décision est saine.

Missions Publiques. Vous êtes diplômée d’Epitech (métiers de l’informatique et du numérique) qui a inauguré en septembre dernier un Observatoire sur la féminisation des métiers du numérique. Quel est votre portez-vous sur ce sujet ?

Xuan-Vi Tran. Aujourd’hui, seulement 37 % de lycéennes envisagent de s’orienter vers une école d’informatique ou d’ingénieur. Quand j’ai fait Epitech, on était à peine une dizaine de filles pour 500 garçons en début d’année, et à la fin du parcours nous étions 3 pour 300 garçons.

L’une des principales raisons de cet effondrement est liée à nos représentations de l’informatique et de celleux qui la font. Les métiers de l’informatique sont incroyablement stéréotypés : la geek à lunettes, associable et passionnée, derrière son écran qui joue à des jeux vidéo est une image à laquelle on a toutes et tous été assujettis. Pourtant, ça n’a rien à voir avec les métiers de l’informatique !

Quand on me demande : « quelle femme vous a inspirée dans le monde de la tech ? », je suis incapable de répondre parce que seuls des noms d’hommes me viennent à l’esprit. J’ai aussi connu des femmes qui ont porté de grandes responsabilités dans le monde de la tech mais qui ne se sont jamais considérées comme telles parce qu’elles étaient « cheffes de projet » et non développeuses. Pourtant, c’est toute une ingénierie de savoir cadencer des équipes, de communiquer etc. Il faut communiquer un maximum sur les métiers de la tech, au-delà de la question de genre : l’informatique, ce n’est pas faire que des lignes de codes. Ça touche aussi la data, la chefferie et l’ingénierie de projets.

Mais je le répète, ce n’est pas qu’un combat de femmes ni qu’une question de genre. C’est un combat multiculturel et non réservé à une élite. Si les mêmes profils dirigent toujours le monde de la tech, on ne va pas aller très loin. Pour faire preuve de créativité dans la tech, il faut savoir être ouvert d’esprit et échanger avec un maximum de points de vue. C’est d’ailleurs plus amusant de discuter avec des personnes qui ont des visions et des perspectives totalement inverses aux nôtres. On le voit chez VibZ, c’est toujours lorsque les membres de l’équipe ne sont pas d’accord qu’on finit par faire émerger une idée innovante à montrer au marché. Et c’est valable à la fois pour la tech et pour tous les autres sujets.

Les métiers de la tech ne sont pas réservés aux hommes blancs. Ne restons pas enfermés dans des schémas et des codes. Ce sont des métiers pour toutes et tous, personnes non-genrées et tous les genres.

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