En septembre 2022, nous accompagnions la première Assemblée citoyenne locale sur le climat et la biodiversité d’Est Ensemble(1). A Missions Publiques, on se demande toujours ce que devienne les participantes et participants de ces démarches et il est vrai que peu de travaux s’intéressent à évaluer l’impact de la participation sur les citoyennes et citoyens eux-mêmes. Mais une étudiante l’a fait ! Nous avons interrogé Laura Bauza-Canellas(2) qui s’est entretenue avec une quinzaine d’anciens membres de la Convention.
Missions Publiques. Les citoyennes et citoyens de la Convention ont travaillé 5 week-ends pour établir des mesures pour lutter contre le dérèglement climatique à Est-Ensemble. Leurs propositions ont quasi toutes été adoptées par le Conseil de territoire. Deux ans après, que sont devenus les citoyennes et citoyens de cette Convention ?
Laura Bauza-Canellas. Avant de rentrer dans le vif du sujet, j’aimerais donner quelques précisions sur mon échantillon puisque sa composition a des effets sur mes résultats d’enquête. J’ai échangé avec 15 personnes, sept femmes et huit hommes, qui se sont portées volontaires en répondant au mail que j’avais envoyé à tous les membres de la Convention. Les personnes interrogées m’ont donc accordé entre 30 et 40 minutes de leur temps, en appel téléphonique ou en visioconférence car elles en avaient réellement envie.
Mon échantillon était en majorité composé de jeunes, de cadres et professions intellectuelles supérieures et de retraité-e-s de la catégorie socio-professionnelle. Une seule personne occupait une profession intermédiaire et les ouvrièr-es et employé-es étaient absent.es alors qu’iels représentaient un peu plus d’un tiers du panel. Ces disparités posent la question de qui souhaite, a le temps, est capable de prendre la parole dans le cadre d’un exercice de ce type. Mais malgré quelques réserves, les personnes étaient donc en majorité plutôt loquaces et enthousiastes.
Pour revenir à la question sur ce que sont devenus les citoyen-ne-s de la Convention, tous les participant.es interrogé.es ont présenté la Convention comme une expérience très positive. Une moitié m’a rapidement fait part du sentiment de fierté d’avoir réussi collectivement à répondre au mandat qui leur avait été confié, en produisant un travail de qualité. Je me souviens notamment de Christiane qui m’a dit « C’était impressionnant de se retrouver à autant et réussir à faire quelque chose de bien ficelée ». Ce qui a également été apprécié, c’est la rencontre de personnes nouvelles qu’elles ne côtoient pas habituellement, que ce soit en termes d’âges, de lieu de vie, de profession : la Convention leur a permis de mettre des visages sur les noms des villes de leurs territoires. Découvrir le réseau associatif et rencontrer les agents d’Est Ensemble a par ailleurs beaucoup plu. Enfin, la qualité et le rôle de l’animation a été salué à de nombreuses reprises.
L’autre moitié a tenté de créer une association de la Convention, iels étaient une petite vingtaine à s’être appelé dans ce but mais ça n’a pas abouti. Selon les conventionnel-les, Est Ensemble aurait dû les accompagner davantage dans cette démarche, en organisant des temps avec Missions Publiques par exemple. Les autres avaient d’autres priorités : déménagement, changement de profession, poursuite d’un cursus scolaire… Personne n’a voulu ou pu prendre la responsabilité de la créer.
"Pour certaines personnes, cette expérience est une plus-value importante dans leur parcours scolaire ou professionnel.
Laura Bauza-Canellas
Assistante de projets participatifs
Missions Publiques. Et à l’échelle individuelle, cette expérience démocratique a-t-elle suscité des engagements ?
Laura Bauza-Canellas. Oui ça a été le cas en effet : un tiers des répondants a cherché à donner une suite à la convention de manière individuelle. Trois personnes (sur dix conventionnel-les volontaires) ont ainsi intégré le conseil d’administration de la Régie publique de l’eau d’Est ensemble, en tant que représentant.es des citoyens, d’autres participant.es ont partagé leur expérience à des élèves, devant d’autres assemblées citoyennes ou lors de réunions thématiques en lien avec la Convention organisées par Est Ensemble, sur les questions agricoles par exemple.
Deux participant-es ont réutilisé des connaissances, des méthodes d’animation de la Convention dans le cadre de leur travail. Pour certaines personnes, cette expérience est une plus-value importante dans leur parcours scolaire ou professionnel. Pour d’autres, participer à la Convention a été une occasion de renouer avec les questions environnementales, sociales qu’elles avaient abordées lors d’expériences professionnelles précédentes. Voici ce que m’ont dit deux personnes : Rebecca “La Convention je l’ai vue un peu comme un signe [après mon voyage au Cap Vert ou j’avais vu l’injustice : c’est nous qui polluons et c’est eux qui sont impactés]. En fait cette Convention m’a tellement impactée que quand j’ai commencé la convention, je travaillais dans la banque en alternance […] mais maintenant, j’ai envie de me rediriger vers le développement durable, sensibiliser un peu les personnes et faire un travail où j’essaye d’avoir un impact positif pour les autres et sur l’environnement dans lequel je vis.” Et Julien :“Avoir fait partie d’un processus de démocratie participative ça te crédibilise directement, et quand tu postules à un master, quand tu passes un concours de la fonction publique et que tu leur dis que tu as fait partie de ça bah tout de suite ils veulent savoir ce que tu en as retiré, comment ça s’est passé, ils savent que tu sais de quoi tu parles, que tu as expérimenté, tu es dans le concret.”
Missions Publiques. Finalement, on revient toujours à cette question du périmètre du droit de suite…
Laura Bauza-Canellas. Si la participation à la Convention a eu des effets sur certains parcours individuels, que ce soit du point de vue professionnel, scolaire ou sur la manière dont iels se sentent habiter le territoire, il paraît nécessaire de s’interroger sur ce que l’on peut attendre d’une démarche participative et de ses suites. Est-ce que l’objectif est de créer des militant.es, de professionnaliser les participant.es ? Pas vraiment. Si un droit de suite, de suivi du travail de la Convention par les convenitonnel-les est créé, comment est-il mis en œuvre et à quelle fréquence ? Pour combien de temps les citoyen-nes ont-iels un droit de regard sur le travail des élu.es ? Les personnes qui suivent le devenir des propositions doivent-elles être volontaire, au risque de reproduire les inégalités de représentation de la population et d’avoir toujours les mêmes profils qui participent ? Pour Est Ensemble, les personnes que j’ai interrogées et qui ont tenté de créer une association étaient toutes de professions intellectuelles supérieures et avaient déjà une expérience associative. Celui qui a pris une position de leader au début avait déjà créé deux associations. La collectivité continue-t-elle d’indemniser la participation ou la participation devient-elle une forme comme une autre de bénévolat ? Des questions se posent aussi sur la manière dont les membres d’une démarche sont tenus au courant de ce qui arrive ensuite, plusieurs personnes m’ont dit avoir reçu les mails d’Est Ensemble mais ne pas les avoir lus, alors comment fait-on pour informer et jusqu’à quand informe-t-on ? Ce sont plusieurs équilibres qui sont à trouver entre les capacités des collectivités, leurs souhaits, et ceux des citoyen-nes.
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Plus d’informations sur la démarche : notre fiche projet
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Lire les interviews de
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Matthieu Sanchez, ancien membre de la Convention citoyenne pour le climat et garant de la Convention citoyenne d’Est-Ensemble.
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Patrice Bessac, président de l’EPT Est-Ensemble et maire de Montreuil.
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Le site de l’Assemblée Ensemble pour le climat