Le conflit qui fait rage au Yémen est particulièrement violent pour les femmes et les jeunes filles. Depuis l’arrivée au pouvoir des rebelles Houthis il y a 8 ans, leurs libertés et leurs droits ne cessent d’être bafoués. Survivante d’une condamnation à mort par ce pouvoir ultra conservateur, Nadia Al-Sakkaf(1), journaliste et ancienne ministre de l’Information a dû fuir son pays. Aujourd’hui en Angleterre, elle poursuit son travail en tant que journaliste, militante, chercheuse et experte en sécurité médiatique et en genre(2).
Le parcours de Nadia est atypique et singulier pour une femme yéménite. Cette femme, d’aujourd’hui 45 ans, a été nommée ministre de l’Information en 2014. Ingénieure de formation, elle a étudié à l’étranger, en Inde et au Royaume Uni, avant de devenir journaliste en 2000 au Yemen Times, premier journal de langue anglaise du pays. Une carrière qu’elle était loin d’imaginer étudiante. 1999 est l’année de la bascule, personnelle et professionnelle. Son père, un des fondateurs du Yemen Times et de l’Organisation arabe des droits humains, est (officiellement) renversé par une voiture. C’est surtout, pour sa fille, l’ « assassinat » d’un opposant au régime. Elle termine ses études d’ingénieure, le cœur brisé, et retourne au Yémen à la fin de l’année 2000 pour soutenir le journal familial non sans avoir fait un détour par le Royaume-Uni pour y étudier la gestion des systèmes d’information. Elle devient donc journaliste et s’engage dans le programme d’aide humanitaire et pauvreté d’Oxfam-Grande-Bretagne au Yémen. Trois ans plus tard, elle devient la première femme à diriger un périodique dans le pays.
En dépit de la difficulté d’être une femme dans un secteur (et un pays) dominé par les hommes, le Yemen Times remporte des prix régionaux et internationaux sous sa direction(3). Elle y fait notamment campagne pour les droits des femmes et place les questions relatives aux femmes au premier plan dans le journal, y compris des sujets controversés comme les mutilations génitales féminines.
« Voir mon nom sur la liste des traîtres condamnés à mort par les rebelles houthis a eu un effet étrange, presque surréaliste, sur moi.
Nadia Al-Sakkaf
Ancienne ministre, chercheuse
Pendant le Printemps arabe de 2011, la mobilisation des femmes dans les manifestations est significative et massive. Au Yémen, Nadia couvre activement l’actualité politique du pays et surtout les manifestations exigeant la démission du président Saleh. Le Printemps arabe au Yémen s’est conclu par un accord de partage du pouvoir. Saleh quitte le pouvoir pour céder la place à son adjoint, tout en restant à la disposition de son parti politique qui contrôlait la moitié du nouveau gouvernement et la plupart des ressources du pays.
Cette vague de protestations engendre quelques réformes dans les pays arabes. Pour les femmes yéménites, le quota de 30 % dans les postes de décision, résultat de la Conférence de dialogue national de 2013, a été l’une des plus grandes réussites qu’elles ont obtenues. L’espoir n’est que de courte durée. Les rebelles Houthis, une communauté zaïdite de chiites, renversent le gouvernement en janvier 2015, quelques semaines avant qu’un référendum national ne soit organisé sur une nouvelle constitution progressiste.
Depuis, le pays s’enlise dans une guerre civile et connaît une des pires crises humanitaires du monde. Les femmes et les enfants, en première ligne, subissent une violence sans précédent(4). Incapable de rester silencieuse, Nadia met sa vie en danger. « Il y a d’abord eu les menaces directes et les intimidations lorsque j’étais dans le pays en raison de mon rôle de ministre de l’Information (…) Voir mon nom sur la liste des traîtres condamnés à mort par les rebelles houthis a eu un effet étrange, presque surréaliste, sur moi. C’était comme si je lisais l’histoire d’un personnage de fiction, pas d’une personne réelle, et certainement pas de moi ». Avec le soutien d’amis à l’ONU, elle réussit à fuir le pays pour se rendre en Jordanie où elle reste quelques mois avant d’obtenir une autre bourse pour un doctorat en politique à l’Université de Reading au Royaume-Uni sur l’autonomisation des femmes. « Après avoir fait l’expérience d’être une femme au pouvoir, j’avais besoin d’étudier ce qui m’était arrivé, à moi mais aussi à d’autres femmes leaders yéménites ». Elle termine son doctorat en 2019 et publie sa thèse sous le titre « D’ambition, d’opportunité et de prétention – La politique du genre au Yémen ».
Militante pour les droits humains au Yémen, Nadia défend sans relâche le droit à l’information et un accès à Internet pour toutes et tous. En 2021, elle cofonde Connecting Yemen, une initiative qui plaide pour un accès abordable et fiable à Internet pour tous les Yéménites. C’est avec cette casquette que nous l’avons rencontrée, notamment pour organiser le dialogue citoyen We, the Internet au Yémen en 2020 : « C’est une occasion remarquable pour les Yéménites de célébrer l’avenir. C’est notre chance d’avoir notre mot à dire sur ce qui nous arrive. Nous devons être visibles en tant que Yéménites, nous voulons être sur la carte du monde pour quelque chose d’aussi positif que cette initiative !».
(2)L’ensemble des ouvrages et papiers de recherche de Nadia à retrouver ici https://reading.academia.edu/NadiaAlSakkaf/