Comment habiter la ville pour faire face aux défis climatiques d’ici 2050 ? C’est le sujet de la première assemblée citoyenne pour climat de la Région de Bruxelles (1) qui s’est tenue de février à fin avril. 100 personnes ont débattu et élaboré des recommandations qui seront officiellement remises au gouvernement le 9 juin. Après, un second cycle débutera avec de nouveaux participant-e-s sur un sujet différent (2). Qui sont ces Bruxelloises et Bruxellois ? Quel est leur parcours de vie, pourquoi avoir dit « oui » et qu’attendent-elles/ils de cette démarche participative ? Entretien avec Ornella, Stefaan, Katerina et Marteen.
« Vivre la diversité culturelle, c’est vivre la ville sans se fermer »
Marteen a 31 ans et habite depuis 6 ans la commune de Saint-Gilles. Originaire de Bruges, Maarten est un artiste du spectacle vivant. Performer, acteur, metteur en scène de théâtre… son caractère est celui d’un « goutteur à tout » comme il aime à se définir : « je ne fais jamais deux fois les mêmes choses ».
Comment a-t-il été recruté ? La lettre envoyée aux 10 000 Bruxelloises et Bruxellois a atterri dans la boîte aux lettres de sa maison qui comprend 3 appartements. Ses voisins, peu intéressés, lui ont passé la lettre… et le voilà embarqué pour 5 sessions de travail. « Ça fait des années qu’on dit que la démocratie participative va sauver la démocratie. Alors, je suis curieux de voir comment et si ce système peut fonctionner ».
Faire preuve de curiosité, c’est une constante chez Maarten. Un trait de caractère qui va de pair avec une certaine exigence. Il a accepté de participer à la démarche, mais « tu dois avoir le sentiment que tu peux ajouter une dimension de plus ». Pas question donc de suivre passivement les travaux. Son déclic : la découverte du documentaire d’Al Gore « An inconvenient truth » (Une vérité qui dérange) à l’âge de 15 ans à l’école et le sentiment que depuis, pas grand-chose ne bouge.
Maarten côtoie la diversité culturelle – un élément de fierté pour l’ensemble des participantes et participants – tous les jours : « quand tu vis dans cette ville sans te fermer, tu as accès très facilement à cette diversité culturelle ». C’est d’ailleurs pour cette particularité qu’il a quitté sa « province ». Bruges n’offrait pas le cursus universitaire qu’il voulait ; il tente sa chance à Bruxelles, échoue (trop jeune pour faire une école de metteur en scène), part à Anvers 5 ans et revient dans la capitale belge « le meilleur endroit pour le spectacle et les arts vivant, la Mecque culturelle du monde ! »
Il réfléchit un peu pour décrire l’aspect négatif de la ville. « Bruxelles ne parvient pas à te donner l’illusion que le mal n’existe pas dans le monde ». Mais contrairement à d’autres, cette ville ne cache pas sa misère et ses inégalités. C’est à la fois une « bonne chose » pour se confronter au réel, mais « chaque jour, tu dois à un petit moment tourner ton cœur dans une pierre ».
« Ça fait des années qu’on dit que la démocratie participative va sauver la démocratie. Alors, je suis curieux de voir comment et si ce système peut fonctionner.
Marteen
« Je viens pour observer et me faire mon opinion après »
Ornella habite à Schaerbeek depuis 2 ans. A 25 ans, iel a déjà pas mal déménagé dans les différentes communes de Bruxelles-Capitale : Jette, Woluwe, Ixelles, Anderlecht…très (trop) souvent parce que les prix des loyers augmentaient. Depuis qu’iel est indépendant-e, Ornella vit en colocation, une façon d’habiter la ville qu’iel affectionne.
Actuellement, Ornella suit une formation de sani-chauffagiste. Exercer un métier dans le milieu de la construction est un choix : « ce n’est pas une vocation mais je voulais valoriser quelque chose de manuel et transmettre ». Iel a en effet suivi des études littéraires à Montréal avant d’exercer la profession de libraire, spécialiste de la BD, à son retour en Belgique. C’est là qu’iel découvre l’univers de la construction lors de chantiers participatifs. Iel y rencontre des personnes en formation dans les métiers du bâtiment qui lui donnent envie se de lancer.
Ornella change donc de voie pour une formation professionnalisante et créé un réseau pour les femmes, personnes trans’ et non binaires travaillant dans tous les secteurs de la construction, chauffagistes, menuisier-ière-s, électricien-ne-s…). L’objectif de ce réseau est de favoriser la rencontre et de briser l’isolement de ces personnes, peu nombreuses dans ce milieu : « de se donner de la force ». L’autre enjeu est de se former entre pair-e-s et de transmettre. Le réseau investit donc des lieux qui ont des besoins (rénover l’électricité, construire des fournitures etc.) et forme le public tout rendant service au lieu qui les accueille (prix libre pour l’entrée). « J’ai l’impression d’avoir exploré la question « comment habiter ? » par les mots dans mes études de lettre et par mes mains aujourd’hui (…) et relier la construction aux enjeux écologiques m’intéresse ». Est-ce pour cela qu’Ornella a accepté de participer à l’Assemblée citoyenne pour le climat ? En partie. La décision a été prise collégialement par la coloc’ et Ornella s’est dévoué-e intéressé-e par le sujet mais pas tellement par la méthode « ce n’est pas mon truc ce genre de choses, je ne me sens pas proche des politiques et ce n’est pas ma façon de voir l’engagement. Je ne viens pas pour émettre un jugement. Je reste pour observer et je me ferai mon opinion après ».
Ce qu’Ornella apprécie à Bruxelles : sa vie de quartier. Iel aime moins la mobilité, les travaux permanents qui rallongent les trajets du quotidien. Son rêve ? « Pas sûr-e qu’il soit en ville ». Ce qui sûr en revanche, c’est qu’il y aura « de la vie en collectif et de la transmission de connaissances ».
« Ce n’est pas une vocation mais je voulais valoriser quelque chose de manuel et transmettre.
Ornella
« La connaissance, c’est le pouvoir »
Stefaan est un heureux prépensionné. A 61 ans, il a enfin du temps pour lui (et son jardin) après une carrière professionnelle commencée très tôt, à l’âge de 17 ans. Les enfants, issus de son premier mariage et ceux de sa deuxième femme, sont grands désormais. Sa femme, en revanche, travaille comme employée de ménage, malgré ses deux diplômes universitaires de journalisme obtenus dans son pays d’origine, la Géorgie.
Ouvrier puis représentant dans la carrosserie, Stefaan vient de Merchtem, un petit village de la campagne flamande et déménage à Bruxelles quand ses parents divorcent il y a près de 50 ans. Après avoir habité dans plusieurs communes dont Schaerbeek, Bruxelles-Capitale, Laeken, il achète une maison à Jette en 1999. Une commune qu’il apprécie pour ses espaces verts, la proximité de la forêt et « le contact chaleureux avec les voisins ».
Stefaan a, certes, été repêché sur la liste de réserve pour faire partie de l’Assemblée citoyenne pour le climat mais il n’a pas hésité une seule seconde à dire « oui » car il considère que c’est « une façon de contribuer à un meilleur monde. C’est peut-être une utopie, mais c’est ça quand même l’enjeu ». Direct, maniant le second degré avec discrétion, économe en mots… Stefaan répond présent à chaque session. Tout l’intéresse : il n’y pas un sujet qui lui importe plus qu’un autre. « On doit apprendre tous les jours, la connaissance, c’est le pouvoir » résume cet autodidacte plus séduit par les chemins de traverse que par l’école dans son adolescence ; quelques « bêtises » ici et là et une grande soif de connaissances émaillent son parcours.
Engagé jusqu’au bout, Stefaan a aussi fait partie des citoyens tirés au sort – sur base volontaire – du comité d’accompagnement. C’est un groupe, composé de personnes issues de l’administration expertes en démocratie participative, inclusion, climat et habitat, qui supervise le bon fonctionnement de l’Assemblée, tant sur le contenu que sur son bon déroulement. Le comité d’accompagnement a contribué à analyser les premières recommandations de l’Assemblée. Et même si son entourage le charrie gentiment, il recommande à tout le monde de participer à ce type de démarches : « on en ressort plus conscients » des enjeux de biodiversité en ce qui le concerne. Son regret ? Comme beaucoup, le fait que les minorités maghrébines et turques ne soient pas présentes pour ce premier cycle, « difficile d’imaginer des solutions sans eux ». Un défi pour la prochaine Assemblée.
« L’assemblée citoyenne est une façon de contribuer à un meilleur monde. C’est peut-être une utopie, mais c’est ça quand même l’enjeu.
Stefaan
« C’est à nous, adultes, de faire mieux »
Katerina n’avait pas imaginé faire sa vie ailleurs qu’en Grèce ; la Belgique devait être une simple parenthèse le temps, pour la jeune étudiante, d’achever son doctorat en chimie. Elle pose finalement ses valises à Bruxelles en 2006 par amour. « Mes choix de vie ont toujours déterminé mes choix de travail… et non l’inverse » dit-elle en souriant. A 47 ans, Katerina vit aujourd’hui à Jette avec ses deux filles.
Cette incorrigible optimiste a totalement changé de carrière. Ses grossesses l’ont éloignée du monde de la recherche. Qu’à cela ne tienne, elle se réinvente et travaille désormais au service presse du Conseil économique, social et environnemental européen et suit, pour l’institution, les sujets touchant au gaspillage alimentaire, au développement durable, à l’intelligence artificielle, à l’alimentation biologique etc.
Katerina est littéralement emballée par la démarche participative de l’Assemblée citoyenne pour le climat. Pourtant, c’est sa fille cadette qui a ouvert le courrier l’informant avoir été tirée au sort. Très curieuse, c’est aussi du haut de ses 10 ans qu’elle affirme : « maman, ça vaut la peine de le faire » …et de remplir, à sa place, le formulaire d’inscription sur la plateforme ! Ses deux filles sont aujourd’hui hyper fières de leur maman et suivent l’avancée des travaux. « Je recommande ce genre de démarche à 100% (…) au CESE, nous avions suivi la Conférence sur l’avenir de l’Europe et j’avais trouvé que les citoyens avaient peu de temps pour répondre à des sujets extrêmement larges ».
Ce qu’elle apprécie avec l’Assemblée, ce sont ces temps privilégiés pour discuter en petits groupes. Même si « le gouvernement n’en fait rien, l’opportunité de réunir 100 personnes aux background différents, qui s’engagent à réfléchir et à construire leurs recommandations, est déjà un grand pas pour faire avancer notre société ». Apprendre à s’écouter, débattre des désaccords mais « toujours dans le respect » sont les ingrédients qui font que Katerina croit dur comme fer à l’exemplarité de ce genre de processus. Elle a été la première surprise par la « maturité politique » des participants. Etonnée aussi de l’intérêt des citoyens pour leur ville, et de l’implication des personnes âgées. Son seul regret à ce stade, c’est le manque de représentation des femmes voilées par exemple qui sont une composante de Bruxelles.
Pour Katerina, l’Assemblée citoyenne pour le climat sera réussie si toutes les recommandations font preuve de justice sociale. Son souhait pour l’avenir ? « Que les enfants n’aient pas peur et ne portent pas sur leurs épaules le poids de nos responsabilités. C’est à nous, adultes, de faire mieux ».
« L’opportunité de réunir 100 personnes aux background différents, qui s’engagent à réfléchir et à construire leurs recommandations, est déjà un grand pas pour faire avancer notre société.
Katerina
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(2) Pour en savoir plus sur la démarche, lire notre fiche projet : https://missionspubliques.org/pf/lassemblee-citoyenne-pour-le-climat-de-bruxelles/