« Le processus de validation collective prime sur le processus de prise de décision individuelle»

La Montagne est une commune de 6 200 habitants, située en Loire-Atlantique. Le maire depuis 2020, Fabien Gracia, a fait le choix avec son équipe municipale, d’une organisation complètement collégiale et ouverte aux habitantes et habitants. Du fonctionnement de sa liste participative à l’implication des citoyens, il revient sur la charge de travail des élus, les prises de décision et la volonté de soumettre des sujets structurants à discussion à ses administrés.

Missions Publiques. Votre liste participative est arrivée en tête aux dernières élections municipales de 2020. Quelle est la plus-value d’une liste participative ? Comment se traduit-elle concrètement dans le fonctionnement du conseil municipal ?

Fabien Gracia. En réalité, pratiquement toutes les listes se réclament de la participation, de l’écologie et des solidarités. Toutes sans exception. Ce qui est intéressant, c’est de voir ce qui diffère d’une liste à l’autre. Il est donc important d’examiner concrètement les mesures mises en place. Selon moi, ce qui change, c’est avant tout l’accent mis sur la démocratie locale et l’implication interne.

Nous commençons par appliquer nos principes au sein de l’équipe majoritaire, car s’il nous est impossible de le faire entre-nous, il sera difficile de le porter à l’extérieur. Traditionnellement, dans les collectivités territoriales, le maire prend presque toutes les décisions et est accompagné de deux ou trois adjoints, généralement responsables des finances et de l’urbanisme. Ils dirigent et supervisent les affaires stratégiques de la collectivité de manière plutôt solitaire. Nous essayons d’aborder les choses différemment en mettant en place un mode de fonctionnement qui permet de déléguer les responsabilités. Ce qui peut sembler banal, car la délégation existe déjà, mais nous nous efforçons réellement de l’appliquer.

En d’autres termes, en tant que maire, je m’occupe de très peu de choses en dehors de mes délégations spécifiques. Nous avons réparti les domaines d’intervention entre nous et par principe de collégialité, c’est-à-dire un groupe de 2/3 élus sur une thématique. Par exemple, je m’occupe des ressources humaines, de la métropole et des questions de sécurité et de tranquillité publique, mais je ne m’occupe jamais des questions d’éducation et de l’enfance, car ce ne sont pas mes délégations. Je n’interviens que lorsque les élus sollicitent le collectif. Si le maire n’assume pas de déléguer du pouvoir aux élus, comment pourrait-il oser en déléguer à la population ? Cela serait compliqué. Dans cette optique de délégation du pouvoir, nous reconnaissons que nous ne savons pas tout, nous ne sommes pas omniscients. De plus, il y a un principe plus cynique et économique selon lequel nous serons beaucoup plus efficaces si les 29 élus sont mobilisés plutôt qu’un seul qui doit tout filtrer. Dans notre logique de délégation, je fais confiance aux services et aux élus qui ont travaillé sur un sujet. Dans ce cas, il est préférable que ce soit l’élu qui a travaillé sur le sujet qui signe.

Les élus qui ont la délégation concernée peuvent demander l’avis ou la validation de l’ensemble du groupe lorsqu’ils en ont besoin. Ce que l’on fait lors de nos réunions « Plénières », qui ont lieu généralement toutes les deux semaines. L’élu arrive avec sa proposition, la soumet à une validation collective pour s’assurer qu’il va dans la bonne direction. Ainsi, ma validation n’a pas plus de poids que celle des 22 autres personnes. Tout le monde a le droit de donner son avis. En fait, nous sommes même fiers d’un aspect particulier : la liberté de vote. Chaque élu est libre de son vote. Il est arrivé que je vote en faveur d’une délibération lors du conseil municipal, alors que le conseil municipal a voté contre. Permettant également de réduire la pression sur un autre principe que nous avons adopté, à savoir le processus de décision par consentement.


Zoom sur la « Plénière », coeur de la prise de décision collégiale au sein de la liste participative.

Fabien Gracia. Il s’agit de la plus haute instance politique composée de l’équipe majoritaire. C’est là que les grandes décisions sont prises ou du moins validées. Lorsqu’un sujet est présenté, après une première étape de clarification où chacun pose des questions pour mieux comprendre le sujet, nous passons à la phase d’objection ou de consentement. Chaque personne est interrogée individuellement pour savoir si elle consent ou si elle émet une objection. Cette philosophie repose sur une formule que nous appliquons : ce n’est pas seulement dire « Oui », mais plutôt ne pas dire « Non ». La proposition qui nous est présentée peut ne pas nous enthousiasmer, mais elle ne remet pas fondamentalement en question nos valeurs ou l’orientation globale du groupe. Ce n’est pas une question de préférence personnelle. Le processus de validation collective prime sur le processus de prise de décision. En revanche, lors des séances du conseil municipal, je m’abstiens ou je vote contre si je le souhaite. 

Si je consens, alors nous passons à la prochaine étape. En cas d’objection, il est nécessaire de formuler clairement l’objection, en expliquant ce qui ne va pas et avec quoi je ne peux pas être en accord dans le projet. À partir de là, nous cherchons des solutions pour lever l’objection. Une autre proposition ou un amendement peut être proposé pour modifier la proposition initiale. Si l’objection est levée, cela signifie qu’il y a consentement. Si ce n’est pas le cas, cela signifie que la personne ayant présenté la proposition doit la retravailler avant une nouvelle présentation en Plénière. 

Il y a bien sûr des cas particuliers, notamment lorsque des décisions sont obligatoires. Dans ce contexte, nous nous sommes autorisés à voter lors de nos réunions plénières. Soit parce qu’il y a une urgence, le sujet étant arrivé tardivement et nous n’avons pas eu le temps de le traiter pour diverses raisons, soit lorsqu’un sujet est déjà présenté à plusieurs reprises, il est alors temps de trancher. Par exemple, nous avons eu un cas où l’installation de panneaux lumineux d’information municipale sur la commune a suscité des objections. Au bout d’un an et demi, nous avons pris une décision pour mettre fin au débat et cesser de faire travailler les personnes sur ce sujet. Nous décidons soit de laisser tomber le dossier, soit de le soumettre au vote lors du conseil municipal. En trois ans de mandat, le recours au vote en Plénière n’a eu lieu qu’une fois.


"Si le maire n'assume pas de déléguer du pouvoir aux élus, comment pourrait-il oser en déléguer à la population ?

Fabien Gracia

Maire de La Montagne

Missions Publiques. Comment assurez-vous l’implication des citoyens dans les projets municipaux ? Arrivez-vous à les impliquer sur des sujets à priori complexes ?

Fabien Gracia. Nous avons une formule que nous avons utilisée pendant notre campagne : « ne pas décourager les motivés et à aller chercher les indifférents ». Dans chaque commune, il y a toujours des personnes motivées pour s’impliquer, et à La Montagne, nous essayons de les encourager et de les impliquer davantage. En ce qui concerne les indifférents, nous avons mis en place deux dispositifs.

Le premier est facilité par la taille de la commune. Nous effectuons beaucoup de porte-à-porte. L’équipe municipale se rend dans différents quartiers pour distribuer le magazine municipal et profite de cette occasion pour discuter avec les habitants, les écouter et recueillir leurs opinions. Nous utilisons également le porte-à-porte pour solliciter les habitants tirés au sort. L’association du tirage au sort et du porte-à-porte permet d’embarquer nombre d' »indifférents » dans des dispositifs d’implication citoyenne.
Le deuxième levier que nous utilisons est la consultation. Nous avons réalisé quatre ou cinq sondages depuis le début de notre mandat. Par exemple, nous avons consulté les habitants sur la question de la fermeture d’un bureau de poste. Nous présentons les enjeux et demandons aux habitants de se positionner sur la question.

En ce qui concerne l’implication citoyenne, nous travaillons sur la qualité de l’information, car sans une bonne information, il est difficile d’aller plus loin. Nous organisons également des groupes de travail avec les habitants sur des projets structurants de la commune. Ces groupes de travail sont des dispositifs de démocratie « descendante », dans le sens où c’est l’équipe municipale qui choisit les sujets et fixe le calendrier. Les habitants sont invités à participer et à apporter leur contribution.

Nous sommes particulièrement fiers du dernier projet, même s’il porte sur un sujet délicat comme les services publics et les finances de la commune. Comment avons-nous procédé ? Tout d’abord, la mise en place de ce groupe de travail a nécessité une énorme anticipation de la part de l’équipe municipale. Au cours de l’été 2022, nous avons consacré beaucoup de temps à constituer un panel, à présenter le groupe de projet lors du conseil municipal, puis à organiser 6 réunions sur 6 mois. L’objectif était d’intégrer les décisions et les avis de ce groupe de travail dans le budget prévu pour 2024, afin d’agir concrètement cette année-là. Il fallait donc être très réactifs dès mai 2022. Lors de ce groupe de travail, nous avons identifié huit services municipaux à améliorer, basés sur des retours des habitants. Nous avons ensuite chiffré ces huit services publics à développer. Cependant, compte tenu des marges de manœuvre financières déjà épuisées de la commune, il a fallu examiner différentes façons de financer ces améliorations, et nous avons sollicité l’avis des habitants. Il est essentiel, lorsque l’on implique les habitants, qu’ils comprennent clairement ce sur quoi ils peuvent agir et ce qui relève de notre responsabilité en tant qu’équipe municipale. C’est pourquoi nous avons insisté sur la clarté des objectifs à atteindre. Finalement, ça s’est traduit par un tableau très simple : d’un côté, nous avons listé les services à développer, par exemple l’augmentation des créneaux à la piscine pour les élèves des écoles ; et de l’autre côté, nous avons présenté les  financements possibles, tels qu’une augmentation des tarifs ou une augmentation de la taxe foncière. Avec cette approche, nous abordons la complexité de la décision politique et nous traitons des sujets souvent perçus comme ardus. Lors de l’une des réunions, nous avons consacré presque tout notre temps à présenter le budget, les taxes foncières, les recettes des services municipaux et les tarifs.

Par ailleurs, nous avons également mis en place un dispositif de démocratie ascendante, semblable à un budget participatif, mais avec une approche 50-50. Les habitants investissent leur temps, leur implication et leur engagement dans les projets, tandis que la mairie met à disposition des ressources techniques, financières et administratives. Nous avons adopté cette approche après avoir constaté les limites de ceratins budgets participatifs traditionnels, où les habitants choisissent simplement des projets sur une liste. Dans notre cas, ils sont véritablement impliqués dans la conception et la réalisation des projets. On s’inspire de l’expérience menée à Loos-en-Gohelle, dans le nord de la France.

 

Missions Publiques. Quel est l’impact d’une-t-elle organisation interne et d’une-telle énergie pour impliquer les citoyens ?

Fabien Gracia. Nous décuplons réellement nos capacités d’action. En effet, un maire est un être humain et lorsqu’il a déjà travaillé 50 ou 60 heures par semaine, il est déjà satisfait d’avoir accompli beaucoup de travail et ne peut pas prendre en charge davantage de dossiers. Ou du moins, s’il le faisait, cela risquerait d’être fait de manière superficielle et négligée. Par conséquent, ça ne serait probablement pas bien fait.

Il y a un deuxième argument souvent avancé lorsque l’on implique les habitants : le fait d’avoir moins de recours par la suite. Par exemple, lorsqu’un projet immobilier est réalisé, une concertation est organisée où les riverains ont la possibilité de participer à des réunions pour voir la présentation du projet par le promoteur ou le bailleur. Ce dernier effectue des allers-retours pour essayer de prendre en compte les remarques des riverains. Ainsi, il y a moins de chances qu’il y ait des recours par la suite. Nous avons eu un bel exemple en début de mandat où nous avons appliqué la charte de l’urbanisme. Trois réunions de concertation ont eu lieu entre le promoteur et les habitants, et des ajustements ont été réalisés. La personne qui a déposé un recours n’avait pas participé à la concertation.

Point plutôt négatif chez nous, le fonctionnement des « Cocons ». Ce sont des comités consultatifs qui remplacent les commissions traditionnelles. Nous avons fait ce choix car du point de vue du cadre légal, il semble qu’il est interdit de faire intervenir le public dans les commissions municipales. Ça ne fonctionne pas très bien, ce ne sont pas réellement des instances de travail, mais plutôt des instances d’information. Quelques habitants viennent occasionnellement en tant que spectateurs et posent éventuellement quelques questions de clarification, mais ce ne sont pas des instances de co-élaboration ou de co-construction. De plus, nous avons essayé de mettre en place des ordres du jour participatifs, où élus sont invités à proposer des sujets. Il n’y a pas de propositions.

 

Missions Publiques. Quelles sont les prochaines étapes pour votre commune en matière de participation citoyenne ?

Fabien Gracia. Il y a une idée qui me préoccupe et que je n’ai pas encore développée. C’est celle de savoir comment impliquer les habitants dans des projets structurants choisis par eux (démocratie ascendante). Lorsque nous abordons des sujets tels que le budget, il n’est pas compliqué de le présenter, mais ouvrir la discussion sur des projets structurants est un défi. Pour le moment, je me demande si nous pourrions organiser une sorte d’agora avec la mairie sur certains dossiers majeurs à venir au cours des prochaines années.

Si nous repartons dans cette direction et concrétisons cette approche, notamment en début de mandat où nous avons plus de temps, nous pourrions envisager une programmation pluriannuelle des investissements avec la participation d’un groupe d’habitants. J’insiste sur « un groupe d’habitants », car parfois il y a un mythe selon lequel une commune participative impliquerait l’ensemble de ses habitants. Non seulement, ce n’est pas nécessaire, et en plus, je ne suis pas favorable à un système de référendum en raison des contraintes qu’il impose de poser une question fermée. Je préfère les conventions citoyennes, où un groupe d’habitants, dont certains tirés au sort, se penche sur des sujets spécifiques sur du temps long (4 réunions minimum), devenant ainsi suffisamment informé pour prendre des décisions éclairées.

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