« La transition écologique est fondamentalement pluridisciplinaire et même pluripartite »

La Direction générale de l’aménagement, du logement et de la nature (DGALN) a lancé il y a près de 15 ans l’Atelier des territoires. Le principe est de proposer aux actrices et acteurs locaux d’élaborer collectivement une vision d’avenir à partir des atouts et des ressources locales. Elus, techniciens de l’Etat, collectivités, porteurs de projets et (depuis 5 ans) les habitant-e-s partagent leur expertise. Florian Muzard, chef de projet à la DGALN, pilote de la session « Transition écologique » (1), fait le bilan des avancées et des étapes à venir de cette démarche participative.

Missions Publiques. Racontez-nous la genèse et la méthode de l’Atelier des territoires…

Florian Muzard. En avril 2019, lors du lancement de la session nationale de l’Atelier des territoires « Amplifier la transition écologique avec les territoires », le ministère de la Transition écologique qui a succédé à celui de l’Écologie a moins de deux années d’existence. Les politiques publiques et stratégies majeures dont il est porteur s’élaborent à un rythme soutenu (Plan Climat, Plan Biodiversité, Stratégie Nationale Bas Carbone, etc.) et obligent à un changement majeur de modèle de développement pour tous les acteurs publics et privés appelés à les mettre en œuvre et contribuer aux objectifs ambitieux qu’ils fixent en matière de soutenabilité.

La transition écologique implique en effet de revisiter nos manières de produire et d’aménager, de consommer et de vivre plus respectueux des milieux vivants et des paysages, plus sobres dans l’utilisation des ressources et plus résilients face au changement climatique. Les transformations à effectuer ont des implications économiques (création d’activités et d’emplois, reconversions industrielles, etc.) mais aussi sociales et sociétales (vulnérabilité des populations face aux risques naturels, précarité énergétique, nouveaux enjeux de solidarité et de gouvernance, etc.).

À toutes les échelles, on assiste à un foisonnement d’initiatives de la part des citoyens, du monde associatif et des entreprises en faveur de la transition écologique (jardins partagés, circuits courts, covoiturage, énergies renouvelables, etc.). À l’interface entre le niveau national et le terrain, de nombreuses collectivités locales font preuve d’un dynamisme remarquable en s’engageant dans des démarches transitionnelles (ÉcoQuartier, Agenda 2030, Plan Climat Air-Énergie Territorial, Contrat de Relance et de Transition Écologique, etc.) quand d’autres sont confrontées à des difficultés liées à la complexité technique des chantiers à conduire et à un manque structurel d’ingénierie.

À ce titre, en complément d’autres dispositifs publics, l’Atelier des territoires est une démarche portée par la Direction générale de l’aménagement, du logement et de la nature (DGALN) en lien avec les services déconcentrés de l’État destinée à des collectivités volontaires souhaitant bénéficier du compagnonnage d’experts pour relever les défis de la transition. Adaptés à une pluralité de territoires et de problématiques, les principes de l’Atelier des territoires sont simples. Ils consistent à partir des ressources et des besoins locaux et à instaurer une scène d’échanges entre les élus et les parties prenantes, propre à co-élaborer des stratégies d’aménagement innovantes. L’animation de l’Atelier est assurée par une équipe conduite par un urbaniste regroupant selon les besoins des compétences de paysagiste, de géographe, d’économiste, d’écologue, d’anthropologue, ou encore de spécialiste de la participation habitante. En l’espèce, la transition écologique est fondamentalement pluridisciplinaire et même pluripartite !

Missions Publiques. Comment la question de la place des habitants vous est-elle apparue ?

Florian Muzard. Initialement destiné aux élus et acteurs institutionnels, l’Atelier des territoires expérimente depuis maintenant plusieurs années une ouverture à un plus large public qu’il s’agisse d’habitants, de citoyens, d’usagers ou de porteurs de projets. Avec des apports de première main en termes de connaissances, d’expertise et de savoir-faire, de témoignages, de récits de vie, etc. le public contribue à une stimulation utile des participants de l’Atelier, à une meilleure compréhension des enjeux et des besoins et enfin à une conception des feuilles de route issues des ateliers plus partenariale et mieux ancrée dans la réalité vécue des territoires.

Ce qui relevait de l’expérimentation est devenue une exigence dans cette session nationale de l’Atelier des territoires en écho avec l’esprit initial du mouvement des Villes en transition lancé en 2006 par Rob Hopkins qui considère l’initiative locale et citoyenne comme déterminante dans l’aménagement écologique des territoires.

De fait, les six territoires lauréats de l’appel à manifestation d’intérêt lancé par la DGALN expriment tous la volonté d’impliquer la société civile dans le cadre de leur atelier. Leur ligne problématique même en témoigne.

Les intercommunalités traversées par la future autoroute A79 dans l’Allier se sont ainsi demandé comment cet équipement pouvait s’affirmer comme un levier de développement, d’inclusion et de dynamisation d’un territoire majoritairement rural en déprise en répondant aux enjeux de la transition écologique.

Le Pays Vesoul Val de Saône et le PETR Mâconnais Sud Bourgogne en Haute-Saône et Saône-et-Loire a eu l’ambition d’élaborer des stratégies conciliant protection environnementale, santé des populations, maîtrise de l’artificialisation des sols, autonomie énergétique et des pratiques agricoles plus soutenables.

La Communauté de communes Maremnes Adour Côte Sud et la Communauté de communes du Pays d’Orthe et Arrigans dans les Landes, ont, quant à elles, entendu trouver des solutions de mobilités alternatives à l’autosolisme pour les déplacements du quotidien d’une population relativement isolée ou en situation de précarité en cohérence avec un aménagement des bourgs et villages moins dispersé et des continuités écologiques préservées.

La Communauté d’agglomération de Sète Agglopôle Méditerranée dans l’Hérault, a ouvert une réflexion essentielle sur l’avenir de son littoral pour lui garantir une plus grande résilience face aux aléas érosion côtière et submersion marine dans une perspective d’adaptation au changement climatique et de recomposition spatiale, ce qui implique une potentielle relocalisation des personnes et des biens dans les secteurs les plus exposés.

Enfin, les intercommunalités à proximité du lac de Grand-Lieu et de l’aéroport de Nantes en Loire Atlantique ont réfléchi à la meilleure manière de concilier la décision nationale de maintien de cette infrastructure et des enjeux de qualité de vie pour la population et de protection de l’environnement dans un espace où les ressources sont sous forte tension (eau, biodiversité, foncier…).

"L’élargissement du cercle des acteurs et l’instauration de liens étroits entre collectivités, État et société civile apportent une valeur ajoutée tangible en termes de « capacitation » du territoire.

Florian Muzard

Chef de projet à la DGALN

Missions Publiques. Sur le sujet de la transition écologique, qu’est-ce qui vous a marqué (notamment concernant l’apport ou non des habitants) ?

Florian Muzard. Aucun des six ateliers n’a abordé l’association des publics de la même manière, preuve s’il en est de la nécessaire « personnalisation » des stratégies participatives à des contextes territoriaux et sociologiques variés et aux opportunités qui se présentent (ou non) au cours d’une démarche comme un Atelier des territoires qui requiert avant tout de « faire projet ».

Concrètement, les ateliers ont donné lieu à des séances d’idéation et de prospective avec les jeunes enfants dans des classes de primaire et des centres de loisirs ; à des consultations auprès de professeurs et apprenants dans des lycées d’enseignement agricole ; à des immersions au sens anthropologique du terme dans l’espace public à la rencontre des habitants et usagers ; à des jeux sérieux où les élus et techniciens participants ont été invités à se mettre dans la peau d’habitants en situation de mobilités domicile-travail par exemple ; à des rencontres avec des agriculteurs, commerçants ou riverains dans les villages ; ou à des entretiens avec des figures engagées du monde associatif et de l’entreprise.

Sans qu’il soit évident « à chaud » de faire le bilan de toutes ces initiatives, il est certain que les équipes-pilotes des ateliers associant les services de l’État, des techniciens des collectivités et des élus référents ont beaucoup appris de cette parole qui leur était adressée très librement en les obligeant à en prendre acte ou pour le moins à mieux justifier leurs choix et propositions d’action en fonction des attentes exprimées par celles et ceux qui n’étaient plus exactement des « administrés ». On peut penser aussi qu’une réelle acculturation s’est opérée. Pour beaucoup de participants des ateliers, impliquer le public dans ce type de réflexion sur l’aménagement des territoires s’impose désormais « comme une évidence ». Certains ont par exemple observé que les idées exprimées par le public avaient permis d’aller au-delà de l’argumentaire politique ou technique général pour enrichir directement la fabrique des politiques publiques avec les problématiques réelles et quotidiennes des usagers.

Missions Publiques. De manière plus large sur la place des habitants et des parties prenantes dans le dispositif, qu’est-ce qui est probant et quelles seraient les prochaines étapes ?

Florian Muzard. Les multiples retours d’expérience qu’apporte l’Atelier des territoires permettent d’affirmer que l’élargissement du cercle des acteurs et l’instauration de liens étroits entre collectivités, État et société civile apportent une valeur ajoutée tangible en termes de « capacitation » du territoire. Selon les cas et parfois de manière cumulative : un dialogue mieux informé, une plus grande intelligence dans la compréhension des situations, une accélération dans la prise de décision, une capacité de portage démultipliée, etc.

Pour autant, comme l’indique Judith Ferrando, co-directrice de Missions Publiques avec laquelle la DGALN a cheminé pendant plusieurs années pour renforcer la dimension participative de l’Atelier des territoires : « cela implique d’être capable de faire dialoguer des intérêts divergents, des cultures techniques ou professionnelles qui n’ont pas l’habitude de se parler, des conflits d’usage ». Autrement dit, pour aller plus loin, il est nécessaire d’étudier comment « démocratiser » plus encore la démarche en valorisant tout ce qui dans la transition écologique relève en réalité d’une véritable transition démocratique.

Dans ce vaste chantier, le Commissariat général au développement durable (CGDD) qui est à l’origine de la Charte de la participation du public apporte toute son expertise pour documenter les principes, outils, réseaux et expérimentations existant aux niveaux national et européen dans ce champ foisonnant d’expertises et de pratiques, en fournissant des points de repère.

Pour conclure, le témoignage de l’équipe pilote de l’Atelier des territoires d’Occitanie est très évocateur : « L’objectif de notre Atelier est de rêver collectivement le territoire littoral de demain, mais nous remarquons que les enfants ont certainement plus de facilité que nous, adultes, à le faire : ils font naturellement abstraction des sujets qui viennent trop souvent cadrer les démarches de prospectives urbaines (contexte législatif, réglementaire, incidences techniques, intérêts économiques, jeux d’acteurs …), ce qui permet des contributions plus ouvertes et plus créatives ». Puisse cette ouverture d’esprit et cette attention portée à la mixité des parties prenantes guider l’amplification de la transition écologique dans et avec les territoires.

© INterland


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