Environnement : « l’écriture de nouveaux récits est indispensable ».

Julien Laurent est l’auteur de « Demain commence aujourd’hui », une bande dessinée sur les enjeux environnementaux. Hyperconsommation, contradictions entre connaissance et prise de conscience…  c’est à travers le personnage d’Astrid, petite fille, que les adultes sont sensibilisés. Pour le dessinateur, les individus ont besoin de se sentir connectés émotionnellement pour comprendre et agir. Rencontre.  

Missions Publiques. La BD « Demain commence aujourd’hui » raconte l’histoire d’Astrid, une petite fille qui a un fort engagement écologique et tente de sensibiliser son entourage. Pouvez-vous nous parler du moment de bascule qui vous a inspiré cette histoire et ce personnage ?

Julien Laurent. C’est pendant le confinement que j’ai commencé à dessiner à nouveau. Je me suis fixé comme objectif de produire sur des sujets plus vastes qui touchent notre société, en particulier les enjeux environnementaux. C’est ainsi que j’ai créé « Demain commence aujourd’hui », une série de dessins visant à faire réagir et à faire rire les gens autour de ces sujets. Le personnage d’Astrid est né de façon spontanée dans l’un de mes dessins : elle est apparue comme une petite fille qui interrompt son père, en train de travailler sur équations complexes pour penser une machine potentiellement capable de réduire le CO2 dans l’atmosphère. Depuis ce jour, Astrid est devenue la grille de lecture à travers laquelle j’aborde le monde dans mes dessins. Elle est devenue un personnage à part entière, avec sa propre tenue noire et jaune et son univers. Le projet s’est développé de façon organique, avec chaque nouveau dessin construisant un peu plus l’histoire et le monde dans lequel elle évolue avec ses parents et ses amis.

En tant que père, c’est grâce à mes enfants que j’ai commencé à prendre conscience de l’importance de notre responsabilité dans la préparation du monde de demain. Mais sommes-nous réellement en train de faire ce qu’il faut pour leur offrir ce monde ? C’est la question que nous devons nous poser en tant que parents, en tant que membres de la société et en tant qu’êtres humains.

 

Missions Publiques. Vous vous moquez également des tendances qui poussent les jeunes à adopter des comportements en contradiction avec l’urgence environnementale : course aux likes, montres connectées, réalité virtuelle…

Julien Laurent. Il est vrai que tout le monde est informé de la crise écologique, mais notre capacité à agir reste très faible. La situation est plus complexe car elle est exacerbée par les comportements addictifs autour des écrans, et Astrid s’en moque particulièrement. Derrière cela se cache la société de l’hyperconsommation, comme en témoigne l’ouverture d’un popup store d’une marque chinoise à Paris. L’autre jour, c’était presque l’émeute. Tout cela montre que nous ne sommes pas du tout prêts à devenir raisonnables, car nous et nos enfants sommes abreuvés de sollicitations à consommer. Le problème est que les conséquences de nos actions auront lieu dans un temps futur. C’est pourquoi il est difficile de prendre des mesures immédiates, mais une prise de conscience est nécessaire pour que l’humanité agisse efficacement.

"L'être humain fonctionne avant tout avec des récits, que ce soit dans les grandes religions ou dans des versions plus contemporaines comme le capitalisme.

Julien Laurent

Auteur et dessinateur de « Demain commence aujourd’hui »

Missions Publiques. Le choix de détourner des célèbres contes pour enfants et la quasi-absence de couleur dans votre œuvre poursuivent-ils un objectif en particulier ?

Julien Laurent. Pourquoi le jaune et pas une autre couleur ? Il y a trois raisons. Tout d’abord, je suis daltonien et n’ai pas de perception précise des couleurs. J’ai donc opté pour la bichromie en choisissant une seule couleur, le jaune, pour habiller Astrid. Cette couleur est à la fois solaire et polyvalente, capable de représenter des émotions joyeuses, mais aussi plus amères ou acides. De plus, elle est associée à des symboles importants comme l’abeille, qui est un animal porteur de vie et qui est crucial pour la pollinisation. Pour moi, cette couleur reflète l’importance des sujets climatiques, qui sont au cœur de mon travail.

En ce qui concerne la question du public visé et du choix de réutiliser/détourner des contes pour enfants, cela n’a pas été une préoccupation majeure pour moi, c’était spontané. Cependant, j’ai rapidement constaté que la BD fonctionnait très bien auprès des enfants, en particulier ceux âgés de 10 à 14 ans, qui se reconnaissent en Astrid et en son histoire. C’est pourquoi j’ai décidé de jouer avec les contes de fées, qui sont profondément ancrés dans notre inconscient collectif et qui permettent de transmettre des messages importants de manière ludique et accessible. C’était amusant de les détourner pour les adapter aux enjeux d’aujourd’hui.

 

Missions Publiques. Quel est l’importance du récit dans la sensibilisation du public ?

Julien Laurent. Les récits jouent un rôle crucial dans la sensibilisation des individus, car ils permettent de véhiculer des messages importants. Il est intéressant de constater que les sapiens comprennent parfaitement ce concept. En effet, l’être humain fonctionne avant tout avec des récits, que ce soit dans les grandes religions ou dans des versions plus contemporaines comme le capitalisme. Tout repose sur la narration d’histoires qui font écho aux émotions des individus. C’est pourquoi il est important d’en inventer de nouveaux (récits) pour favoriser le changement.

Il est clair que la simple connaissance scientifique ne suffit pas à influencer les comportements humains, car les gens ont besoin de se sentir connectés émotionnellement à ce qu’ils apprennent. L’écriture de nouveaux récits est donc essentielle pour répondre à ce besoin. Il est vrai que c’est encore peu répandu, mais cela est en train de changer. Le succès de « Un bout du monde sans fin », une bande dessinée sur la dérive climatique, montre que les gens sont réceptifs à ce type de contenu. Il s’agit d’une étape importante dans la prise de conscience de l’histoire de l’humanité, qui doit être revue à la lumière de notre tendance prédatrice et destructrice en tant qu’espèce.

Le livre « Sapiens » et le film « Don’t Look Up : Déni cosmique » ont également pour but de nous faire prendre conscience de la façon dont la culture influence notre vie. Malgré ses défauts, la fin de ce film est particulièrement marquante et nous pousse à réfléchir à notre capacité à ignorer les avertissements scientifiques et à notre destin commun en tant qu’espèce.

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