Vincent Hennebicq est un acteur, metteur en scène et auteur belge. Sa dernière pièce de théâtre « La Bombe Humaine »(1) est le récit d’une prise de conscience écologique d’une femme que tout pousse à consommer. Sans culpabiliser le public, la pièce questionne les nouveaux contours de l’éco-anxiété et plus largement interroge sur le rôle que la culture prend dans le politique. Rencontre.
Missions Publiques. Votre pièce de théâtre « La Bombe Humaine » raconte l’histoire d’une prise de conscience (la vôtre) et la colère de l’inaction face au réchauffement climatique. Quel a été votre moment de bascule ?
Vincent Hennebicq. Ma réponse est un peu « clichée » mais elle est liée au fait d’avoir eu des enfants et de devoir leur apporter des réponses sur l’avenir. Une fois qu’on a franchi la barrière de la conscientisation, un retour en arrière est impossible. On commence à ouvrir les yeux, à s’informer de plus en plus, à en discuter, et tout devient de plus en plus réel, de plus en plus concret. Et cela donne envie d’agir. Ce qui rend fou, c’est de se dire que tant de gens savent depuis plus de 50 ans et que, malgré cela, les choses n’avancent pas plus vite.
C’est aussi la question que nous nous posons tout au long du spectacle. « La Bombe Humaine » raconte notre sensibilisation commune à des problèmes que nous connaissions sans vouloir les connaître. Au début du spectacle, je raconte ma passion pour les films d’horreur, les films de science-fiction, et le déclic que j’ai eu au moment où, profitant d’une sieste de mes enfants, j’ai regardé un film apocalyptique. Soudainement, je me suis posé la question de la probabilité d’un tel récit : ce que je ferais avec mes enfants etc. Une fois que cette question a germé dans mon esprit j’étais foutu (rire). Je me suis documenté de plus en plus. Chaque livre ou chaque documentaire visionné m’amenant vers un autre et chaque rencontre sur une autre. Pendant plus d’un an, avec Eline Schumacher(2), nous avons pris le temps de nous interroger mais aussi d’interviewer des psychologues, des politiques, des spécialistes du climat etc. pour essayer de comprendre ce qui se passe et surtout pourquoi nous n’agissions pas. Et puis nous avons interviewé toute une série de personnes dans la rue au hasard, pour avoir des témoignages du quotidien.
Le spectacle est en quelque sorte le making of d’une année passée ensemble à réfléchir. Nous y partageons tout, nos histoires d’amour, l’histoire de la création et les questions que soulèvent le fait de faire un spectacle sur l’écologie dans un théâtre énergivore… On y parle donc d’amour, de perte, de procrastination, on rejoue les rencontres avec les différentes personnalités qui ont bouleversé notre rapport au monde… Le spectacle est construit en deux parties : la première est concentrée sur notre prise de conscience et le temps qu’il nous a fallu pour réaliser ; la seconde, intitulée « Utopies réalistes » relate notre rapport au monde, au vivant, à ce que nous aimerions voir advenir, notamment à travers des rencontres avec celles et ceux qui luttent pour le monde de demain ; celles et ceux qui ont décidé de se battre pour l’avenir et qui donnent des pistes pour garder espoir.
"Nous avons toujours eu besoin de récits communs, tant pour réfléchir au passé, que d’interroger l’avenir.
Vincent Hennebicq
Metteur en scène de la « Bombe Humaine »
Missions Publiques. Votre pièce mêle monologue, musique et témoignages sonores. Pensez-vous que le vecteur culturel est un accélérateur de prise de conscience ? Notamment sur le sujet du réchauffement climatique.
Vincent Hennebicq. Le plus important pour moi était de donner la parole à un personnage qui n’a pas envie de s’emparer de ces questions. Parce que ce n’est pas drôle, parce qu’on a la flemme et qu’on procrastine, parce qu’on sait que ça risque d’être un peu déprimant etc… Nous voulions vraiment aborder tout cela sur le ton de l’humour, sur un ton léger, pour ne pas faire culpabiliser. Le chemin vers la conscientisation est difficile. Vivre en 2022 en acceptant qu’il faut ralentir alors que tout nous pousse à l’accélération n’est pas simple. Enfin, nous avons créé une musique spécialement pour le spectacle, car la musique était un puissant vecteur d’émotions. Parfois les mots ne suffisent pas, et la musique permet de respirer, de donner un autre point de vue. Les sons de nature également.
La culture est, selon moi, profondément politique. Le fait de porter un récit, un spectacle, un film, une exposition, au regard du monde est forcément politique. Je ne dirais donc pas que c’est son rôle, je dirais que c’est l’un de ses rôles. Mais attention, son rôle ne doit certainement pas être d’apporter des solutions non plus mais de porter des récits qui nous interrogent, qui nous invitent au débat, à la rencontre, à la réflexion commune. Nous avons toujours eu besoin de récits communs, tant pour réfléchir au passé, que d’interroger l’avenir.
Missions Publiques. Comment le milieu de la culture peut-il participer à l’effort collectif ? Et comment la rendre plus inclusive et finalement plus participative ?
Vincent Hennebicq. Le monde de la culture a toujours été aux prises avec l’actualité. Il est temps que tout le monde parle du réchauffement climatique, nous aurions dû le faire dès les années 1970… C’est difficile de passer à côté et c’est tant mieux. De plus en plus d’artistes s’interrogent sur les possibilités de réduire leur empreinte carbone, tant dans les créations que dans les tournées de spectacle. Les théâtres sont de plus en plus nombreux à s’entourer d’éco-conseillers pour repenser le système d’éclairage, de chauffage… Il y a des groupes qui s’organisent pour recycler et réutiliser des décors. Il y a vraiment beaucoup de choses qui s’organisent. Maintenant, sans oublier l’empreinte carbone de la culture, je n’oublierais pas non plus l’impact nécessaire du déplacement, et du besoin que nous avons d’entendre des récits du monde entier, afin d’évoluer ensemble vers un avenir souhaitable. Enfin, il est évident qu’il y a un effort collectif à fournir mais n’oublions pas non plus que le simple fait d’interdire les jets privés serait beaucoup plus efficace que d’augmenter les taxes environnementales. Au-delà de la prise de conscience du réchauffement climatique, il faut une prise de conscience de la justice climatique, et globalement une « éthique de la responsabilité » à réfléchir.
Concernant le sujet de l’inclusivité, je pense que c’est la question que se posent toutes les personnes responsables d’institutions culturelles. Le théâtre fait peur pour de multiples raisons. J’ai toujours considéré le théâtre comme le lieu de l’agora, un lieu où on peut réfléchir ensemble. Dans le cas du réchauffement climatique, c’est particulièrement nécessaire de poser le débat avec toute la population puisqu’on ne peut pas parler de réchauffement climatique sans parler de justice climatique. Ce sont les catégories les plus pauvres qui en pâtiront le plus alors qu’elles en sont les moins responsables. Toutes ces questions doivent donc être au centre du débat démocratique. Il est nécessaire d’informer et de créer du débat. Nous essayons de le faire notamment à travers des ateliers dans les classes ou des rencontres après spectacles. Mais ce n’est pas suffisant. Je trouve regrettable de centrer ces questions sur les jeunes générations comme si elles devaient résoudre les problèmes engendrés par les générations précédentes. C’est aussi une injustice. Mais je me rends compte que je ne réponds pas tout à fait à la question. Je ne sais pas comment rendre la culture plus inclusive et plus participative si je suis tout à fait honnête, mais je suis convaincu qu’il faut essayer à travers chaque spectacle de créer des formes qui incitent au bouche-à-oreille, qui donnent envie de débattre, et, je l’espère, d’agir.
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Comédienne et metteur en scène de « La Bombe Humaine »