La Conférence sur l’avenir de l’Europe (CoFoE) a conclu ses travaux lundi 9 mai. A l’occasion de la journée de l’Europe, les présidents du Parlement, du Conseil et de la Commission européenne ont reçu à Strasbourg le rapport final [1] issu d’un an de discussions et de débats entre 800 citoyennes et citoyens de 27 pays de l’Union européenne. Les institutions européennes doivent y donner suite à l’automne. Et si on ne peut présager de leur conclusion, un premier effet est déjà visible : cette démarche inédite tant par son échelle que par la méthodologie choisie a insufflé une nouvelle dynamique participative dans une machine institutionnelle très complexe et souvent perçue comme inaccessible.
Pendant un an et aux côtés de l’instance de pilotage de cet événement mis en place conjointement par les trois institutions (le secrétariat commun), nous avons été au cœur de la conception, de la mise en œuvre, et de l’accompagnement des Panels Citoyens européens et de la composante citoyenne de la Plénière [2]. Voilà notre retour à chaud.
Les Plénières, l’innovation démocratique d’une démarche hors-norme
Le coup d’envoi de la Conférence sur l’Avenir de l’Europe a été donné par le lancement d’une plateforme numérique multilingue. Sa particularité : elle traduit automatiquement toutes les contributions reçues dans les 24 langues de l’Union européenne. Elément central de la Conférence, la plateforme avait pour ambition de regrouper, en un seul lieu, les propositions citoyennes, évènements et initiatives émanent de tous les 27 pays de l’Union, et cela, sur les neuf grandes thématiques de la Conférence: changement climatique et environnement ; santé ; une économie plus forte, justice sociale et emploi ; l’UE dans le monde ; valeurs et droits, état de droit, sécurité ; transformation numérique ; démocratie européenne ; migration ; éducation, culture, jeunesse et sport. En septembre 2021 s’ajoute à cette consultation en ligne une véritable délibération transnationale et multilingue : les Panels citoyens européens rassemblant près de 800 citoyennes et citoyens issus des 27 pays membres. Quatre Panels thématiques, trois sessions (dont une à distance) de deux jours , plus de 1000 heures de délibérations pour produire 178 recommandations.
Si l’échelle de cette consultation et ces panels est sans pareille, la démarche capitalise sur des années d’innovations dans le domaine de la participation citoyenne, et de nombreux exemples d’assemblées et de panels citoyens. La véritable innovation démocratique tient dans le dernier pilier de la Conférence : l’Assemblée plénière. En effet, dans la plupart des processus participatifs, les citoyens formulent leur avis qu’ils remettent finalement aux décideurs. Cette fois, la Plénière a été ajoutée comme étape supplémentaire de co-construction des propositions finales. Les 108 citoyennes et citoyens représentant les panels citoyens européens et nationaux[3] se sont réunis six week-ends (sans compter les nombreuses réunions en ligne) avec des représentantes et représentants de la société civile et membres des institutions européennes. L’objectif : enrichir, sans diluer, les recommandations issues des Panels.
Organisés en groupes de travail thématiques (les 9 de la Conférence), les membres de la Plénière ont ainsi débattu, enrichi et confronté ces recommandations à la réalité et au fonctionnement des institutions afin de les transformer en propositions finales. Ce second niveau de délibération, avec une mixité des publics, a eu plusieurs effets positifs. D’abord, des citoyennes et citoyens sélectionnés de façon aléatoire ont pu découvrir et apprivoiser le fonctionnement institutionnel mal connu du Parlement européen, notamment à l’occasion des débats en plénières et en sous-groupes, qui n’étaient pas sans rappeler le travail de commissions parlementaires. De plus, le contenu de la Conférence a été très largement enrichi par cette double expertise, l’expertise législative européenne d’un côté et l’expertise de la « vraie vie » de l’autre. Cette discussion sur le temps a permis d’améliorer la qualité des propositions. Plusieurs questions nourrissaient ces échanges entre politiques et ambassadeurs-citoyens : peut-on encore aller plus loin ? Pouvons-nous peut être plus audacieux ? Quelles conditions de réussite pour permettre la réalisation de ces propositions ? La guerre en Ukraine rend-elle telle ou telle mesure irréalisable ? C’est là où réside, à notre sens, l’innovation démocratique majeure. Enfin, la Plénière a permis d’éviter deux choses qui sont souvent reprochées dans les démarches participatives : le silo citoyen et les décideurs spectateurs.
Eviter la fuite des cerveaux, faire de la santé une compétence partagée…
De grandes priorités européennes se dégagent de cette délibération. Tout d’abord le souhait d’une Europe plus juste, sociale et solidaire. Les citoyennes et citoyens en appellent à une Europe qui soit plus qu’une simple union économique, mais une Europe où tout un chacun aurait accès aux mêmes opportunités sans discrimination d’âge, de nationalité, de genre, de religion ou d’opinion politique. Les propositions de la Conférence visent aussi à faire de l’Union européenne un leader sur les questions d’environnement et de changement climatique, en soutenant une transition verte et rapide, en encourageant les transports et l’économie durable, mais aussi en mettant l’accent sur la diplomatie climatique. Le désir est aussi celui d’une Europe plus démocratique, avec un système de prise de décision plus transparent, dans lequel elles et ils seraient consultés et se sentiraient pleinement investis. Les citoyennes et citoyens espèrent également que la Conférence porte l’idée d’une Europe plus unie et davantage harmonisée, dans le cas notamment des politiques d’éducation, de santé, de l’emploi et des politiques sociales. Ils attendent de l’Europe qu’elle soit plus autonome, résiliente et puissante sur la scène internationale.
Dans le rapport, 49 propositions concrètes sont formulées. Sans entrer dans l’inventaire des propositions, il est intéressant de relever les lignes de convergence sur des sujets, qui semblent cristalliser des tensions ou des conceptions divergentes. Prenons sur le sujet des migrations : les citoyens de la CoFoE se sont essentiellement concentrés sur les migrations au sein de l’Union européenne et sur les solutions pour éviter la « fuite des cerveaux » et le dépeuplement des pays baltiques et d’Europe orientale. Bien loin des clichés médiatiques. Sur la thématique de la santé (rappelons ici le contexte de la pandémie), les propositions suggèrent notamment d’en faire une compétence partagée entre les institutions européennes et les Etats membres et d’œuvrer à davantage d’harmonisation entre les pays, aussi bien en termes de prise en charge, d’infrastructures et de qualité des soins. Dernier exemple : le climat. La question du nucléaire a été abordée dans le cadre des discussions sur la transition énergétique. Le sujet a fait débat lors des Panels citoyens et la recommandation soutenant le développement du nucléaire n’a pas été retenue lors de la priorisation collective en dernière session. Lors des séances plénières (qui ont suivi les Panels), certains membres du groupe de travail portant sur le changement climatique et l’environnement ont jugé qu’il était important, face à la crise ukrainienne, de rouvrir la question du nucléaire comme énergie de transition. Souhaitant être loyaux à la position collective du Panel, les « citoyens ambassadeurs » du groupe n’ont pas souhaité que le nucléaire figure dans les propositions finales.
Vers une évolution des institutions ?
« Lorsque j’aurai 65 ans, en 2070, j’aimerais dire à mes petits-enfants que bon nombre des changements positifs en Europe sont issus de cet exercice unique », explique Camille Girard, jeune ambassadrice citoyenne française avant de remettre le rapport entre les mains des présidentes et présidents des institutions européennes. La grande question est celle de la suite qui va être donnée aux propositions issues de la Conférence.
Mais la Conférence sur l’avenir de l’Europe a déjà prouvé sa capacité à débloquer certaines questions contestées au sein de l’Union. L’exemple de la réforme électorale et de listes transnationales est particulièrement marquant. Dossier bloqué au Parlement européen en 2018, l’idée renait dans les recommandations du Panel 2 « Démocratie européenne/ Valeurs et droits, état de droit et sécurité » qui recommande l’adoption d’une « loi électorale pour le Parlement, qui harmonise les conditions électorales (âge du droit de vote, date des élections, exigences relatives aux circonscriptions électorales, aux candidats, aux partis politiques et à leur financement) ». Cette recommandation introduisait également l’idée de voter pour un parti national, mais aussi un parti européen. Une recommandation qui a relancé la machine pour la proposition de réforme électorale portée par le Commission Affaires constitutionnelles du Parlement européen finalement votée le 3 mai 2022 lors de la plénière du Parlement européen.
Les conclusions de la Conférence ont également relancé le débat sur le changement des traités européens. En effet, certaines propositions, comme celle de mettre fin à l’unanimité comme mode de décision sur certains dossiers au sein du Conseil de l’UE (proposition 21 et 39, par exemple), nécessitent des changements profonds sur le fonctionnement même des institutions européennes. Sur ce point, les représentants des institutions européennes présents à la cérémonie du 9 mai se sont montrés favorables à une telle réforme.
« Pour une meilleure efficacité de notre Europe, il nous faut réformer nos textes. L’une des voies de cette réforme est la convocation de la révision des traités. C’est une proposition du Parlement européen et j’y suis favorable ! », a annoncé le président français Emmanuel Macron.
Pour la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen : « Les Panels Citoyens Européens ont prouvé que cette forme de démocratie fonctionne. Elle doit désormais s’intégrer à la manière dont nous élaborons les politiques. Je proposerai de donner aux panels citoyens le temps et les ressources nécessaires pour formuler des recommandations avant que nous ne présentions certaines propositions clés ».
Et maintenant ? RDV à l’automne, avec le discours sur l’Etat de l’Union de la présidente de la Commission pour de premières réponses officielles aux propositions.