Les changements climatiques ont des effets sur notre santé physique mais aussi mentale. Pour Lisanne Groen (1), réchauffement climatique et troubles mentaux sont des sujets intrinsèquement liés qui permettent de traiter de questions sociales comme les inégalités. La chercheuse revient également sur la nécessité de consulter les populations autochtones et les citoyens pour de meilleures réponses politiques.
Missions Publiques. Avant la COP26, 45 millions de soignants ont appelé à mettre la santé au cœur de l’action climatique. Les effets du réchauffement climatique sur la santé sont plus ou moins connus : problèmes pulmonaires comme l’asthme, cancers, maladies chroniques… On connaît moins les conséquences sur la santé mentale et la nécessité de lier les deux problématiques.
Lisanne Groen. Le monde s’est réchauffé d’environ 0,85 degré Celsius au cours des 130 dernières années. Les villes du monde entier se réchauffent de plus en plus, ce qui entraîne non seulement des problèmes de santé physique et des décès prématurés, mais aussi, de plus en plus, des réactions liées à l’anxiété ainsi que des troubles de la santé mentale. Les populations qui vivent dans des zones régulièrement inondées ou soumises à des sécheresses prolongées ont été associées à des niveaux élevés d’anxiété, de dépression et de troubles du stress post-traumatique. Les traumatismes et les difficultés dues à une catastrophe d’origine naturelle, comme la perte d’un logement ou d’un emploi ou le fait d’être déconnecté de son quartier et de sa communauté, conduisent à des symptômes de dépression et d’anxiété. Les besoins de prise en charge psychologique augmentent à la suite d’une catastrophe liée au climat, c’est donc normal de considérer que ces deux sujets sont intrinsèquement liés.
Mais aujourd’hui, les inégalités sociales et économiques liées au réchauffement climatique sont encore largement sous-explorées et le changement climatique exacerbe ces inégalités. Nous ne sommes pas tous égaux face à la chaleur par exemple. Les populations qui ont plus de moyens peuvent assez facilement installer une climatisation chez elles lors de pics de chaleur (même si ce n’est pas la solution la plus écologique), mais celles qui vivent dans un logement social sans avoir assez d’argent pour investir dans une telle technologie, risquent de manquer de sommeil à cause de la hausse de température chez elles, d’être plus stressées au travail, d’être plus sujettes à des effets de dépression et d’anxiété.
Si certains pays ont déjà mis en place des politiques – par exemple le Royaume-Uni en ce qui concerne la santé mentale à la suite d’inondations -, la question ne semble pas encore être sur le radar dans des pays comme les Pays-Bas ou l’Allemagne.
Missions Publiques. D’après vos travaux, nous devrions davantage inclure les groupes communautaires dans l’élaboration des politiques européennes sur les changements climatiques.
Lisanne Groen. Les groupes autochtones sont des partenaires importants, mais souvent oubliés pour atteindre une Europe neutre en carbone d’ici 2050. Il existe encore plusieurs groupes autochtones dans le monde et dans l’Union européenne, bien que leur nombre soit en diminution. En Europe, nous avons les Samis (en Finlande, en Suède et en Norvège). Lorsque je travaillais sur ma thèse, j’ai étudié les négociations de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) et de la Convention sur la diversité biologique (CDB). J’ai donc assisté à plusieurs réunions de la Conférence des parties, et j’ai remarqué que ces groupes autochtones étaient souvent présents.
Depuis des temps immémoriaux, les populations autochtones utilisent les plantes, les arbres et d’autres matières naturelles comme médicaments pour promouvoir une vie saine et guérir les maladies. Leur vision holistique de la vie et de la nature est importante pour nous car nous devons comprendre et passer à des modes de consommation durables. Ils et elles savent comment vivre en harmonie avec la nature sans trop l’exploiter. Étant donné que c’est déjà un défi pour eux d’être présents lors des négociations (car parcourir de longues distances n’est pas toujours facile et abordable pour ces communautés), j’ai toujours été ravie de les voir donner leur avis et partager leur vision même si je trouve qu’ils ne sont pas assez traduits dans la réalité des politiques publiques. Les acteurs les moins puissants économiquement doivent avoir leur mot à dire et les communautés locales nous offrent un bien meilleur exemple. Entendre un tel groupe de personnes, d’autant plus qu’elles sont elles-mêmes déjà si clairement soumises aux conséquences du changement climatique, est plus que précieux.
"Ce dont nous avons le plus besoin, c’est de construire des ponts entre différents groupes de parties prenantes et de citoyens pour adapter nos solutions politiques aux besoins des différentes populations.
Lisanne Groen
Chercheuse associée à l’Institut d’études
européennes et la Brussels School of Governance
Missions Publiques. Le 3e Panel citoyen de la Conférence sur l’avenir de l’Europe porte sur le changement climatique et la biodiversité. Quelle serait votre première recommandation aux décideurs européens ?
Lisanne Groen. Si j’étais une citoyenne participante au Panel sur le changement climatique et la santé, je conseillerais aux décideurs européens de s’adresser à un large groupe de parties prenantes dans le cadre de leurs processus de consultation. Avant d’élaborer une politique, l’Union européenne demande aux parties prenantes telles que les ONG, les chercheurs, le secteur industriel et d’autres groupes qui ont un intérêt dans cette politique, de contribuer. C’est un bon début, mais le système consultatif doit être amélioré pour le rendre plus inclusif : aujourd’hui, les parties prenantes qui répondent sont généralement celles qui disposent des ressources, des compétences et de temps. La transition vers une société durable exige que tous les groupes soient associés aux consultations quotidiennes de l’UE, en particulier les moins favorisés. Parfois, ces groupes ont besoin d’un soutien financier, car il leur serait autrement très difficile d’apporter leur contribution, car ils ne peuvent pas se permettre de sauter une journée de travail pour être présents à une réunion de consultation, par exemple.
Dans le cadre de ma thèse, j’ai étudié l’UE et la manière dont elle se comporte dans les négociations internationales sur le changement climatique et la biodiversité. J’ai étudié la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) et la Convention sur la diversité biologique (CDB), qui ont toutes deux vu le jour en 1992. J’ai également examiné le protocole de Kyoto de 1997 et l’accord de Paris de 2015 de la CCNUCC. J’ai examiné les objectifs de l’UE dans ses processus de négociation et me suis posée la question suivante : « Dans quelle mesure l’UE atteint-elle ses objectifs de négociation et comment pouvons-nous l’expliquer ? » J’ai examiné les autres pays participant aux négociations et j’ai étudié comment les objectifs de l’UE se comparaient à ceux de ces pays. J’ai analysé les méthodes utilisées par l’UE pour tenter d’atteindre ses objectifs. Ce que j’ai découvert, c’est que parfois, l’UE avait une stratégie qui ne tenait pas suffisamment compte du contexte international, d’où une interaction insuffisante avec les principales parties aux négociations, ou pas de la meilleure manière. En revanche, les négociations sur le Protocole de Nagoya sur l’accès aux ressources génétiques et le partage juste et équitable des avantages découlant de leur utilisation à la Convention sur la diversité biologique, ont été un succès pour l’UE parce que celle-ci a été en mesure de créer un pont entre les groupes de négociation des pays développés (plus conservateurs) et des pays en développement (plus progressistes).
En fin de compte, ce dont nous avons le plus besoin, c’est de construire des ponts entre différents groupes de parties prenantes et de citoyens pour adapter nos solutions politiques aux besoins des différentes populations.
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