« La mise en récit s’inscrit dans le hier, aujourd’hui et demain »

L’équipe municipale de Malaunay construit un projet de transition écologique ambitieux depuis plusieurs années. Cette commune de Seine-Maritime implique ses 6 000 habitantes et habitants, avec l’aide de ses agents et de ses élu-e-s, dans l’écriture d’un récit territorial. Rencontre avec Alice Briant, directrice de l’animation et la communication » de la ville(1).

Missions Publiques. Comment s’est construit le projet de transition à Malaunay, et la mise en récit du territoire ?

Alice Briant. La transition énergétique a été notre première entrée, notamment grâce aux opportunités financières de la rénovation des bâtiments. Nous avons fait partie de plusieurs groupes de réflexions de communes engagées et des rencontres nous ont particulièrement inspirés, notamment Loos-en-Gohelle, pour sa capacité à mobiliser le culturel pour raconter l’histoire du territoire et sa trajectoire. Nous avons vu l’impact significatif du partage d’un projet, d’un récit, de l’approche culturelle d’un territoire. Nous nous sommes alors lancés dans l’aventure du récit territorial et avons adopté une vision beaucoup plus systémique : nous avons chaussé nos lunettes « développement durable » pour l’appliquer à toutes les politiques publiques.

Pour construire un récit territorial, il faut d’abord bien connaitre le territoire. La mise en récit s’inscrit dans le « hier », « aujourd’hui » et « demain ». On récolte les histoires auprès des habitants, élus, d’historiens locaux, d’acteurs économiques et de personnes qui connaissent très bien le territoire. Malaunay est une vallée d’industries textiles qui a connu une crise industrielle, puis la guerre, et a fait émerger des figures de résistance. Elle a donc déjà vécu des crises et démontré sa résilience. Alors comment apprendre de ces expériences ? C’est ce travail de récoltes qui permet de trouver le fil à tirer pour rebondir dans le présent à l’appui de nouvelles mobilisations.

 

Missions Publiques. Votre démarche s’appuie sur la mobilisation des habitantes et des habitants. Pour les embarquer, vous avez mis en place un défi…  

Alice Briant. C’est le défi « la transition prend ses quartiers », lancé en décembre 2018, qui invitait les habitants à expérimenter trois mois de formation sur différents sujets de transition. 120 personnes ont postulé et se sont réparties en sept équipes sur sept thématiques. Chaque équipe était encadrée par un duo de coachs : un agent de la ville et un coach externe expert. Pour la commune, l’objectif était triple : former un groupe citoyen d’ambassadeurs de la transition, acculturer des agents et bénéficier d’un regard expert pour s’assurer du sérieux de la démarche. Après un mois d’informations et un mois d’expérimentations, chaque équipe devait inventer un projet à l’échelle de son quartier ou de la commune, et la ville l’accompagnait pour le réaliser.

Tous les projets n’ont bien sûr pas vu le jour, mais le défi a permis plusieurs avancées sur le sujet de l’implication citoyenne. Premièrement, le chargé de mission recruté pour monter les projets est resté. De plus, nous avons créé une plateforme sur laquelle la commune ou les habitants peuvent proposer des projets. Pour finir, nous avons également créé le Service Municipal d’Accompagnement des initiations Citoyennes (SMAC) pour que les habitants qui n’ont pas participé au défi puissent lancer leurs projets, être mis en lien avec d’autres etc. Le projet, largement financé par l’Ademe, a donné lieu à un rapport remis par une psychosociologue pour mesurer la transformation territoriale qui s’opère.

L’expérience du défi a été raconté dans une bande dessinée, un bel outil qu’il nous arrive encore aujourd’hui de distribuer. Nous avons également souhaité que ce défi soit réplicable dans d’autres communes : nous mettons donc l’ensemble des documents à disposition de celles et ceux qui souhaitent s’en emparer et répliquer l’expérience.

(extrait de la bande dessinée)

Nous croisons beaucoup les méthodologies de la communication et de l’implication citoyenne pour avoir non pas un plan de communication, mais un plan de communication ET d’animation territoriale. Ce n’est pas un outil de propagande et de promotion du maire mais un espace où se rencontrent le projet municipal et les demandes des habitants. Notre magazine municipal met chaque mois un habitant en couverture avec son portrait et son histoire. On construit à partir de cela le reste du journal. Nous avons également un hors-série tous les deux ans qui fait le point sur la démarche de transition. Nous donnons accès à l’information régulièrement aux citoyens pour qu’ils puissent se saisir pleinement des sujets.

"Travailler sur le changement de comportement touche à l’intime, et brouille souvent la ligne entre vie personnelle et professionnelle.

Alice Briant

Directrice de l’Animation territoriale et de la Communication

Missions Publiques. Pour vous, le projet de transition doit embarquer aussi bien les habitants que les agents de la collectivité. Concrètement, comment travaillez-vous avec eux sur ces questions ?

Alice Briant. En effet, la mobilisation en interne est aussi importante qu’en externe. Ce n’est pas si simple quand on pense à la diversité des métiers présents dans une commune, avec des fonctions théoriquement très éloignées des préoccupations écologiques. C’est pourquoi nous avons déployé sous l’égide du Directeur général des services, Laurent Fussien, une approche innovante pour construire un projet des services partagé avec une vision à 2030.

Concrètement, nous avons travaillé à la sensibilisation de tous grâce à de multiples formations, avec pour certaines, la participation des élus, sur les nouvelles manières de travailler et les enjeux de coopération résilience, transition, systémie. Nos équipes sont acculturées en permanence. Nous avons également mené des ateliers spécifiques au projet des services, impliquant les agents autour de six axes : QVT et engagement ; créativité et innovation ; coopération sous toutes ses formes ; performance de la stratégie à l’action ; simplicité et sobriété ; évaluation et REX. De là ont émerger des chantiers à mettre en œuvre. Cette année, douze chantiers ont été votés pour être mis en œuvre sous la supervision d’un binôme d’agents issus de différents services.

 

Missions Publiques. Quel impact a la participation des habitant-e-s sur l’organisation interne de la commune ?

Alice Briant. Adopter une approche novatrice et nourrir de grandes ambitions en matière de transition exigent un vrai choix politique et des ressources humaines. La création de rôles tels qu’un chargé d’implication citoyenne ou le binôme directrice des moyens techniques/directrice adjointe de la Transition énergétique, illustrent clairement notre volonté de progresser dans la transition et d’engager activement les habitants. De plus, nous instaurons des objectifs écologiques pour les agents et encourageons l’innovation lors des évaluations annuelles. Cela se traduit inévitablement par une redistribution des moyens humains, parfois au détriment d’autres domaines, afin de soutenir des initiatives supplémentaires au-delà des responsabilités habituelles d’une municipalité. Comme dans d’autres communes très engagées dans la transition, il y a le risque d’une sur-implication des agents dans leur travail. Travailler sur le changement de comportement touche à l’intime, et brouille souvent la ligne entre vie personnelle et professionnelle. Il est difficile de quitter son poste en fin de journée en se sentant satisfait du travail accompli, sachant que l’objectif ultime – sauver le monde – reste hors de portée. C’est frustrant, angoissant, et en même temps nous sommes fiers du travail accompli !

L’aspect positif est que la commune est reconnue pour son action à l’extérieur et est très attractive pour les acteurs de notre éco-système et au-delà : nous recevons beaucoup de candidatures de personnes souhaitant travailler chez nous, et nous attirons des experts comme l’Ademe ou des entreprises comme Eaton, Enedis, Ernecoop, des étudiants en workshop aussi, qui viennent sur notre territoire pour expérimenter.

Missions Publiques. Cette mise en mouvement collective pour la transition attire-t-elle d’autres acteurs et actrices dans votre commune ?

Alice Briant. Nous nous rendons compte que nous influons sur l’écosystème (un coiffeur écologique s’est installé, un magasin de vrac, un tiers-lieu économique d’ampleur s’est déployé autour d’une brasserie locale…) mais nous manquons d’indicateurs pérennes pour le confirmer et le mesurer. Nous relançons sans cesse la mobilisation autour de sujets qui attirent. Par exemple, nous organisons les Olympiades de la Transition en lien avec les Jeux Olympiques. Ce qui attire, ce n’est pas le sujet de la transition en tant que telle, mais le sport, la fête, la culture… C’est par ces sujets que nous entrons, pour y adosser des sujets plus complexes de transition et d’adaptation. Ce qui marche, c’est qu’il y a une volonté politique très forte, un duo Maire-DGS puissant et convaincu et des gens qui n’ont pas été recrutés par hasard.


(1) Cette interview a été réalisée pour la Gazette du réseau d’acteurs en démocratie locale et éducation populaire pour la transition écologique (Communauté Urbaine de Dunkerque)
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