Missions Publiques. Vous lancez la Convention des Entreprises pour le Climat (2), qui réunit 150 dirigeant-e-s d’entreprises. Comment ont-ils/elles été sélectionné-e-s ? Les entreprises recrutées ne sont-elles pas déjà engagées dans une forme de transition écologique ?
Eric Duverger. Les participants de la Convention des Entreprises pour le Climat sont recrutés et c’est là le point de différence principal avec la Convention Citoyenne qui a tiré les siens au sort. Pourquoi ce choix ? Car un dirigeant d’entreprise a par nature un agenda très chargé et lorsqu’il ou elle s’exprime, c’est rarement en son nom propre mais au nom de ses employés et de ses parties prenantes. Lorsqu’on touche aux sujets climat, biodiversité, pollutions, déplétion des ressources naturelles, les entreprises sont tout autant au cœur du problème que de la solution et l’on tombe vite dans de vifs débats “économie versus écologie”. Employés, parties prenantes et opinion publique peuvent ne pas être d’accord entre eux et cela peut vite générer des crispations quand on ne se sent pas à l’aise avec le sujet.
Il y a donc un travail de conviction à faire : la CEC va être un exercice de sortie de sa zone de confort et c’est à nous de prouver que le jeu en vaut la chandelle. Pour cela, nous insistons sur le fait que la CEC est un exercice parfaitement complémentaire aux transitions déjà engagées : là où la définition d’une politique RSE est un exercice isolé, le but de la CEC est de faire fonctionner l’intelligence collective. Nous ferons interagir des personnes et des secteurs qui ne se parlent jamais mais qui sont pourtant liés par les mêmes enjeux planétaires.
Certaines sont déjà très ambitieuses, d’autres sont au tout début de leur transition, les 90 premières entreprises de la CEC ont candidaté pour participer à un formidable accélérateur de mise en marche collective. Elles comprennent que l’enjeu de tous les enjeux est la transition coordonnée d’industries, de filières, de régions entières. C’est d’ailleurs sur ces bases que nous avons construit nos critères de sélection : des clés de répartition par secteur d’activité, géographie et taille d’entreprise traduites en objectifs de recrutement qui expriment toute la richesse et la diversité de l’économie française. Le seul critère sur lequel nous avons décidé de ne pas être représentatifs de l’économie française, c’est celui de la proportion de femmes dirigeantes. A ce titre, nous sommes fiers d’avoir annoncé une sélection de 15 femmes et 15 hommes dans notre troisième vague de recrutement.
Enfin, il y a un critère, subjectif celui-là, qui complète notre démarche : nous recrutons des dirigeantes et dirigeants dont nous percevons la capacité à influencer et inspirer au-delà de leur propre organisation, car 150 entreprises, c’est beaucoup et très peu à la fois.
« Là où la définition d’une politique RSE est un exercice isolé, le but de la CEC est de faire fonctionner l’intelligence collective.
Eric Duverger
Initiateur et co-fondateur de la CEC
Missions Publiques. La démarche et la méthode choisies sont proches de celles de la Convention citoyenne (réduction des émissions de GES (à 55% pour vous aligner – 8 mois, 6 thématiques, des garants et des experts indépendants). Qui sont les garants et les experts indépendants et quel est leur rôle ? Vous avez, par ailleurs, recruté des « participants étudiants » dans le comité. Pourquoi ?
Eric Duverger. Notre comité de garants est quasiment finalisé, nous sommes extrêmement heureux d’y compter neuf très belles et fortes personnalités. Une très grande diversité d’engagements est représentée avec Arnaud Leroy de l’ADEME, Fabrice Bonnifet du C3D, Paola Fabiani du Comex40 du MEDEF, Yann Arthus-Bertrand et sa fondation GoodPlanet, Matthieu Auzanneau du Shift Project, Patricia Savin d’Orée, Anne Mollet de la Communauté des Entreprises à Mission, Léa Falco de Pour Un Réveil Écologique, et enfin Grégoire Fraty, co-président de l’association des 150 de la Convention Citoyenne pour le Climat. C’est là toute la force de ce comité dont le rôle est triple : garantir l’exigence de la CEC par rapport à l’ambition annoncée, apporter un éclairage extérieur bienveillant sur les avancées des 150 et participer à la résonance de la CEC dans le tissu économique français.
Spécifiquement, la participation du monde étudiant est cruciale à nos yeux : nous n’avons plus le temps de déléguer les indispensables transformations aux générations futures. Ce sont eux qui vivront avec les conséquences de nos actions. Il est donc normal de les inclure dans la démarche et de faire peser leur voix dans les débats. Le mouvement Pour Un Réveil Écologique, membre de notre comité de garants, a notamment déjà marqué l’histoire : plus de 30,000 étudiants ont élevé la voix pour faire comprendre au monde économique, à leurs parents, qu’ils ne voulaient pas du monde qui se prépare. Le monde économique les a très clairement entendus.
Aussi, plusieurs des sessions de la CEC auront lieu sur des campus étudiants (ESTP Cachan, Audencia Nantes, EM Lyon, HECTAR, une toute nouvelle Ecole d’Agriculture), ce qui permettra de mettre le monde étudiant en contact direct avec 150 dirigeants en train de réfléchir au monde d’après.
Missions Publiques. Un des écueils de la Convention citoyenne a été très certainement l’annonce de reprendre « sans filtre » les propositions. A quoi s’engage la CEC comme point de sortie ?
Eric Duverger. L’engagement de la CEC, c’est en premier lieu celui de ses participants. Les 150 entreprises représentées vont évaluer, définir et amplifier leur stratégie environnementale (climat, biodiversité, ressources naturelles) à horizon 2030.
L’idée est qu’en sortie de convention, elles soient en position d’expliquer clairement ce qu’elles feront de plus, de mieux, mais aussi peut-être ce qu’elles arrêteront de faire ou ce qu’elles feront différemment. La force de leur engagement sera prouvé dans le temps, jusqu’en 2030. Cela peut sembler moins concret que proposer 149 textes de loi, mais dans le monde de l’entreprise, la meilleure preuve d’engagement, c’est ce qu’on fait et c’est l’argent qu’on investit pour se transformer.
Il y a un deuxième point de sortie qui s’ajoute à cela : les demandes au monde politique. Les 150 dirigeants de la CEC vont commencer par s’engager eux-mêmes, pour être ensuite légitimes à exprimer au gouvernement, au législateur, aux institutions : “voilà notre nouvelle trajectoire et voilà ce dont nous avons besoin de la part du secteur public pour maintenir ce cap mais également pour encourager le reste de notre secteur à franchir le pas”. Beaucoup d’éléments de solution à nos défis environnementaux sont connus – il est “simplement” difficile de faire franchir le pas à tout le monde en même temps : il y a une sorte de dilemme du prisonnier à grande échelle qui se joue. Nous sommes convaincus que le secteur public va profiter du récit volontariste et positif de la CEC pour jouer pleinement son rôle et effacer ce dilemme dans les temps.
Missions Publiques. Vous avez identifié 6 livrables « systémiques » (formation, comptabilité-indicateurs, finance-actionnariat, business-models circulaires, marketing éco-responsable, gouvernance). Sont-ils les traductions opérationnelles, dans les entreprises, des trajectoires identifiées dans les thématiques ? Comment les dirigeant-e-s peuvent-ils/elles s’engager pour leur entreprise ?
Eric Duverger. Absolument. Chacun de ces leviers systémiques fait déjà partie de la stratégie de chaque entreprise en France et dans le monde, de la plus engagée à la moins engagée. Ils recouvrent des disciplines qui sont pratiquées et font l’objet de recherche depuis des dizaines voire des centaines d’années. Regarder les sujets environnementaux à travers le prisme de ces disciplines, c’est d’une part parler le langage des dirigeants, d’autre part leur prouver qu’ils sont déjà en grande partie intellectuellement équipés pour s’attaquer aux problèmes.
Plus une entreprise grandit en taille, plus chacun de ces 6 leviers mobilise de collaborateurs – l’engagement des dirigeantes et dirigeants engagés dans la Convention sera donc d’apprendre pour transmettre et donner le pouvoir à leurs collaborateurs de s’emparer de chacun des sujets.
Missions Publiques. L’impact médiatique peut permettre un mouvement d’entraînement plus général. En interne, c’est-à-dire au sein des entreprises, comment s’assurer que les changements seront engagés ? Avez-vous prévu une évaluation de la démarche ?
Eric Duverger. Si la participation des dirigeantes et dirigeants ne se traduit pas en actions concrètes à l’impact durable, la CEC n’aura pas servi à grand-chose, c’est sûr. Nous interagissons déjà beaucoup avec les dirigeants des trois premières vagues de recrutement et nous ressentons une extraordinaire envie de profiter de la force collective pour passer à l’action : nous n’avons aucun doute, il va se passer quelque chose de très fort.
C’est aussi notre rôle d’aller au-delà pour préparer la résonance de la CEC à l’intérieur de chacune des 150 entreprises mais aussi à l’extérieur vers tout le tissu économique français. Nous avons constitué une équipe « démultiplication » qui va accomplir cette mission, notamment fournir des outils de mesure de la transition intérieure des participants et de la redirection de leurs organisations. Cela passera par des systèmes de questionnaires avant, pendant et après la CEC pour assurer un suivi régulier dans la durée et démontrer la force de notre démarche : lorsque les dirigeants prennent le temps de sincèrement se pencher sur l’urgence climatique et écologique, tout redevient possible.
Missions Publiques. L’évolution du concept est très favorable à produire un impact sérieux dans le débat et le dispositif envisagé est de nature à essaimer aussi bien à une échelle locale qu’à une échelle internationale. Quelles sont les prochaines étapes que vous visez ?
Eric Duverger. Une première CEC à succès permettra assurément d’envisager une trajectoire économique plus souhaitable et d’ouvrir beaucoup de portes. Nous avons déjà de nombreuses idées pour amplifier l’impact de la CEC avec des déclinaisons plus locales ou sectorielles. Pour que cela fonctionne, nous envisageons de condenser notre méthodologie en une boîte à outils dont d’autres équipes bénévoles pourraient s’emparer avec notre soutien, un peu comme TED et les TEDx. Il y a ensuite naturellement la dimension internationale : nous avons des discussions préliminaires avec des acteurs intéressés aux Pays-Bas, en Belgique, au Royaume-Uni… La propagation de la CEC pourrait être un magnifique projet à faire soutenir par l’Union européenne dans le cadre du Green Deal.