Quand les citoyens deviennent les architectes de leur avenir urbain

Damien Bonnet (SAEDEL) est un aménageur immobilier pas comme les autres. Il a été sélectionné avec sa société d’économie mixte (SEM) pour renouveler le Plan Local d’Urbanisme de Nogent-le-Phaye, une commune d’environ 1500 habitants, située en Eure-et-Loir. Rapidement, il a plaidé en faveur de l’inclusion des riverains dès le début du processus. De la nouvelle orientation des élus aux recommandations des habitants, il revient sur la constitution de ce groupe citoyen et les avantages structurants que cela a permis.

Missions Publiques. En plus d’être aménageur, vous êtes engagé dans un think tank qui réfléchit aux innovations territoriales. Comment cela se traduit-il sur le terrain ?

Damien Bonnet. La société pour laquelle je travaille est engagée dans un projet collaboratif depuis cinq ans, appelé Créon – Un monde d’avenir.

Ce projet rassemble des aménageurs répartis dans toute la France. Nous nous réunissons mensuellement pour concevoir une offre innovante alignée sur le concept de résilience des territoires. Notre approche diffère de la norme, car nous encourageons les élus à ne pas se considérer comme des décideurs ou des intervenants omniprésents sur tous les projets de leur commune. Au contraire, nous les incitons à se positionner dans le rôle de « coach de leur territoire », afin de faire émerger des projets et des initiatives.

L’idée sous-jacente est que les élus n’interviennent qu’en fin de processus, en arbitrant les propositions faites par les citoyens. En amont, les acteurs locaux constituant un « groupe citoyen » identifient leurs besoins et exigences, formalisant ainsi un recueil de propositions. Les élus jouent alors simplement un rôle de soutien, les plaçant dans des positions favorables pour être productifs et proposer des idées novatrices pour leur territoire.

Pendant cinq ans, nous avons travaillé à la construction d’une offre commerciale et opérationnelle. L’un de ses principaux volets, nommé Agorapolis, se concentre sur la participation publique avec les habitants. Bien que nous souhaiterions étendre cette approche à tous les territoires, certaines contraintes persistent, dans la mesure où ce type de démarche n’est pas encore compatible avec l’ensemble des territoires, projets et élus à ce jour.

 

Missions Publiques. (CONTEXTE) Vous avez d’emblée choisi de constituer un groupe de citoyens…

Damien Bonnet. Ce processus a débuté il y a un peu plus d’un an sur le projet de revitalisation du centre-bourg de la commune de Nogent-le-Phaye, en étroite collaboration avec le bureau d’études Gislon, chargé de la révision du PLU. La nouvelle équipe municipale a souhaité engager cette démarche, notamment pour recréer du lien social, de la convivialité et stimuler l’offre de commerces et de services au sein de la commune. Pour la réalisation de ce projet, la SAEDEL a suggéré de ne pas se limiter à une simple révision du PLU, mais d’explorer la possibilité de créer une Zone d’Aménagement Concerté (ZAC), offrant ainsi la flexibilité nécessaire pour repenser complètement certaines zones de la collectivité.

Nous avons suggéré la mise en place d’un groupe citoyen. Habituellement, une équipe de maîtrise d’œuvre s’empare du projet et propose des scénarios d’aménagement, présentés aux élus qui en retiennent un. Suit une consultation auprès des habitants sur des plans déjà définis. L’approche Agorapolis vient inverser cette pratique en mettant en place un groupe citoyen dès la genèse du projet.

En termes de méthodologie, nous avons bénéficié d’une certaine chance, étant donné la taille accessible de la commune (1500 habitants). Nous avons utilisé des envois de courriers qui s’est avérée être l’outil le plus fonctionnel. En parallèle, nous avons utilisé des outils informatiques pour transmettre un questionnaire comportant une quinzaine de questions portant sur divers aspects de la vie tels que la mobilité, l’alimentation, la santé, la sécurité, etc. Nous avons reçu environ 100 réponses. Les participants ont partagé leurs ressentis et expériences de vie. Simultanément, nous avons demandé s’ils étaient intéressés à rejoindre le groupe citoyen. Nous avons obtenu entre 36 et 38 candidatures, ce qui nous a donné 1/4 de moins de 20 ans, 1/4 d’actifs et 1/2 de séniors.

"Nous avons aujourd’hui le recul nécessaire pour affirmer l’impact significatif que peut avoir ce genre de processus participatif.

Damien Bonnet

Référent Projets chez SAEDEL

Missions Publiques. Comment garantir que l’expérience citoyenne ne soit pas perçue comme concurrente à l’expertise technique ?

Damien Bonnet. Nous avons posé des questions techniques aux participants, dans le but de les faire monter en compétence, c’était l’objectif visé. Nous avons également impliqué la maitrise d’œuvre pendant les ateliers du groupe, de manière similaire à ce qui a été fait lors de la Convention citoyenne climat, où des experts sont intervenus pour sensibiliser les participants à des sujets spécifiques et à prendre conscience des enjeux majeurs, ici liés à l’urbanisme, à l’aménagement, et au développement d’un territoire. In fine, l’objectif était que l’expertise ne soit pas l’apanage exclusif des experts, mais que les besoins et les exigences des riverains et des usagers guident le projet. Je précise que la maîtrise d’œuvre est intervenue, en fonction des propositions des habitants, bien que nous l’ayons déjà sélectionnée au préalable.

La restitution des propositions a eu lieu en mars dernier, présentant un recueil classé par thématique et soumises aux élus. Un exemple concret de leur implication est la mutualisation des besoins pour un équipement sportif. Plutôt que de construire simplement une salle de sport, nous avons optimisé l’espace pour répondre à plusieurs usages, intégrant également une bibliothèque, un relais d’assistantes maternelles, une garderie, et un centre de loisirs.

Nous avons ensuite chargé la maîtrise d’œuvre, qui avait accompagné les habitants tout au long de la réflexion, de travailler sur une esquisse de projet. Cette esquisse, vise à bien positionner les zones de logement, les services, les liaisons douces, les corridors écologiques, et les grandes salles multi-activités pluridisciplinaires sur les vingt hectares du périmètre.

Aussi, le mois dernier, nous avons exposé en toute transparence aux membres du groupe citoyen l’état d’avancement du projet et le planning à venir. L’objectif est que le conseil municipal délibère sur le nouveau PLU d’ici décembre. Suivra une phase juridique pour permettre au projet d’être potentiellement opposable à l’été 2024.

Concernant le processus en tant que tel, je tiens à souligner la qualité de l’intervention de Missions Publiques, ce qui m’a fait prendre conscience du caractère professionnel de l’animation de débats, de tables rondes et d’ateliers publics. Il est important de reconnaître que chaque personne a sa place, son métier, et ses compétences, et que s’entourer d’experts est essentiel pour aboutir à des résultats constructifs pour un projet de territoire. Bien que cela implique des coûts, cela contribue au succès global du projet.

J’ai été agréablement surpris par la volonté des élus de déléguer et de faire confiance aux habitants. Cette approche reste tout de même différente de la pratique habituelle où les élus conservent le contrôle.

 

Missions Publiques. En quoi ce type de processus constitue un argument convaincant pour toutes les collectivités cherchant à réévaluer leur aménagement urbain ?Damien Bonnet. Pour commencer, nous avons aujourd’hui le recul nécessaire pour affirmer l’impact significatif que peut avoir ce genre de processus. Que ce soit en termes de choix politique, de visibilité, de discussions, d’échanges, et de retombées médiatiques sur les réseaux sociaux d’une commune, etc. Ici, ce bruit médiatique a mis en lumière une petite commune de 1500 habitants et a souligné la capacité des élus à adopter la position évoquée précédemment.

En abordant le sujet du projet de territoire, je soulignerais que, dans tous les cas, une telle démarche répond mieux aux besoins et aux exigences des habitants, car ce sont eux qui ont exprimé leurs attentes. Ainsi, le projet sera dimensionné en fonction de ces préoccupations. En impliquant les habitants dès la genèse du projet, on minimise non seulement le risque de recours, mais on identifie également les sujets sensibles dès le début, évitant ainsi les oppositions une fois le projet finalisé. Cela permet de déceler et d’adresser les points délicats au fur et à mesure.

En effet, lorsque l’on crée des zones d’aménagement ou des projets de construction tels que des écoles, des gymnases, des projets privés, des usines, des maisons de santé, ou que l’on aménage de nouveaux lotissements, il est fréquent de faire face à des opposants déposant des recours contre les permis d’aménager. Ces opposants regroupent souvent des collectifs exprimant leur mécontentement à ces projets. Cependant, lorsque l’approche est inversée, et qu’on leur accorde du pouvoir dans un cadre structuré, les résultats peuvent être significativement différents. En les intégrant activement dans le processus, nous éliminons la légitimité potentielle des recours et des oppositions ultérieurs.

Bien que cela implique un investissement initial plus important en termes de temps pour faire mûrir les idées et le projet, nous constatons que cela se traduit par des gains de temps et une amélioration notable de la qualité du projet et de son adaptation aux usages prévus. En fin de compte, cette approche se révèle bénéfique pour tous, offrant une solution gagnant-gagnant pour les parties prenantes et les habitants.

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