La ministre avait confié à Santé publique France la mission de piloter une concertation citoyenne sur la politique vaccinale. Cette concertation citoyenne reposait sur une conviction : « que l’expression des attentes, des représentations ou des craintes du public doit être recherchée parce qu’elle peut conférer de la pertinence et de la légitimité à la décision publique, au même titre que les considérations techniques, politiques ou institutionnelles ». La particularité de la démarche résidait dans la mise en place de deux jurys citoyens en miroir (même déroulement, mêmes apports d’information) que nous avons animés : l’un issu de la population générale, l’autre sélectionné parmi les professionnel-le-s de santé non spécialistes de la vaccination (médecins généralistes, pharmacien-ne-s, infirmier-ère-s, etc.). Ce dispositif a été complété par un espace participatif sur Internet.
Une fracture profonde de la société avec l’expertise et la décision publique
Sans parler d’opposition franche, environ 40% des Françaises et des Français déclaraient déjà douter de la sécurité des vaccins – cette proportion variant selon les vaccins. La défiance touchait à la fois les autorités de santé, l’industrie du médicament et certains experts soupçonnés de collusions entre elles.
Plusieurs facteurs expliquaient la montée des doutes face aux vaccins. Des facteurs sociologiques d’abord. La vaccination est, en quelque sorte, victime de son « succès » : les grandes maladies infectieuses ayant été éradiquées, se faire vacciner contre des risques devenus inexistants questionne ; les adjuvants présents dans les vaccins inquiètent (à l’époque, il y avait un lien supposé entre la vaccination contre l’hépatite B et la sclérose en plaques) ; la juxtaposition dans le calendrier vaccinal de vaccins obligatoires et recommandés entretient aussi une certaine confusion. A cela s’ajoute le rôle des généralistes souvent en difficulté pour répondre aux hésitations de leurs patient-e-s et le fait que, depuis la loi Kouchner de 2002, la société a reconnu et sanctuarisé le droit des citoyen-ne-s à prendre en charge eux-mêmes les décisions de nature médicale les concernant.
Autres obstacles identifiés pendant cette consultation, ceux d’ordre matériels : des ruptures d’approvisionnement observées pour certains vaccins, la complexité du parcours de vaccination, un manque d’informations des praticien-ne-s concernant le statut vaccinal de leurs patient-e-s (carnets perdus, non mis à jour…).
Et enfin, derniers éléments – et pas des moindres – de contexte défavorable : les scandales sanitaires (sang contaminé, affaire du Mediator, mauvaise gestion de la polémique vaccin-hépatite B-sclérose en plaques) et les positions d’associations hostiles largement diffusées sur les réseaux sociaux et le net qui brouillent les messages. Face à ces crises, l’insuffisance de réactivité, l’inadéquation des réponses et le faible engagement des pouvoirs publics a laissé ces dernières années le champ libre à la propagande anti-vaccinale.
Face à ces crises, l’insuffisance de réactivité, l’inadéquation des réponses et le faible engagement des pouvoirs publics a laissé ces dernières années le champ libre à la propagande anti-vaccinale.
Une exigence de transparence
Qu’il s’agisse des citoyen-ne-s, des professionnel-le-s ou des avis de la population exprimés au travers de la plateforme : l’exigence de transparence était un élément essentiel du retour de la confiance. Une transparence qui se discuterait au niveau des expert-e-s, c’est-à-dire une possibilité de vérifier les liens d’intérêts de toute personne dans le processus de mise sur le marché des vaccins. Et qui se discuterait aussi au niveau de l’accès aux données, à savoir la diffusion des informations scientifiques sur les vaccins (bénéfices, risques…) avec des progrès à accomplir sur la déclaration des événements secondaires et les effets indésirables.
Au-delà des efforts de pédagogie vis-à-vis du grand public, l’adhésion à la vaccination exigeait pour les deux jurys l’engagement des pouvoirs publics. Sur le plan de l’information en premier lieu, car un Français-e sur deux utilise Internet pour s’informer sur des sujets de santé (la santé est en France le 3e motif de recours à Internet, selon l’Insee), les jurys avaient noté qu’il n’y avait pas de réponses audibles des autorités sanitaires face aux activistes antivaccins très mobilisés sur la toile, les réseaux sociaux et les forums de discussion. Un site unique référent mis en place par les pouvoirs publics avaient alors été recommandé. Depuis, il est possible sur le site de Santé publique France d’avoir des informations pour mieux comprendre les vaccins au même titre que le tabac ou la nutrition. Il est en revanche peu participatif comme l’avait recommandé les jurys et ne permet pas de répondre en temps réel aux questions d’actualité et de proposer des espaces d’échange et de dialogue avec les internautes. La place de l’école (parcours éducatif de santé pour tous les élèves par exemple) et une communication ambitieuse étaient deux pistes visant à réinscrire dans l’actualité la vaccination comme une solution efficace pour préserver la santé de toutes et tous.
Une simplification du parcours vaccinal
Autre recommandation : la simplification du parcours vaccinal comme un levier de confiance et d’amélioration de la couverture vaccinale. Plusieurs mesures avaient été préconisées dont l’élargissement du carnet de vaccination électronique (imaginé en 2012 par des médecins généralistes). Aujourd’hui, la France fait toujours partie des pays retardataires qui ne disposent pas, au niveau national, de carnet de vaccination électronique accessible sur Internet et sur smartphone. Le carnet de vaccination « mesvaccins.net » utilisé par près de 20 000 professionnels de santé qui accèdent à environ un million de carnets ouverts par des Français-e-s a été promu et soutenu financièrement par cinq Régions seulement. Au niveau national, il n’existe pas encore de registre national des vaccinations.
Les deux jurys et les enquêtes d’opinion ont aussi confirmé que les professionnel-le-s de santé et particulièrement les médecins généralistes étaient en première ligne pour informer leurs patient-e-s et entraîner leur adhésion, d’où la nécessité entre autres d’inscrire la vaccination comme thème prioritaire dans les programmes de formation continue.
Un élargissement du caractère obligatoire
Le paradoxe actuel est la coexistence de vaccins obligatoires pour des maladies qui ne sont souvent plus perçues comme des menaces réelles et des vaccins aussi ou plus importants qui ne sont pas recommandés (l’obligation étant apparue au fur et à mesure comme inutile car la population a été considérée comme de plus en plus instruite). Ni les avis des jurys ni les contributions reçues n’ont permis de déterminer la façon dont le grand public et les professionnel-le-s auraient réagi à d’éventuelles modifications du statut des vaccins. Plusieurs scénarios ont été envisagés mais le comité d’orientation a recommandé in fine l’élargissement du caractère obligatoire de la vaccination (pour la rougeole par exemple), assorti de conditions précises, à titre temporaire pour reconquérir la confiance des citoyen-ne-s au service de l’intérêt collectif. Cette recommandation a été jugée comme le meilleur compromis entre les impératifs de santé publique et l’acceptabilité par la population.
Pour y parvenir des conditions ont été formulées : la prise en charge intégrale de l’achat des vaccins par les régimes obligatoires de l’assurance maladie, un régime d’indemnisation des effets indésirables, une disponibilité des vaccins concernés et la mise en œuvre de programmes d’intervention spécialement adaptés dans chacune des régions et chacun des territoires de santé.
Plus d’infos sur Le collectif citoyen sur la campagne de vaccination Covid-19.