Depuis le début de la crise Covid, nous nous sommes habitués aux dialogues citoyens en ligne tout en nous confrontant à leurs limites : les problèmes techniques, l’interaction réduite, les niveaux de concentration et d’énergie qui s’épuisent rapidement, le peu de place aux émotions et à la communication non verbale, qui implicitement nous relient.
Quels sont les compromis entre la délibération physique, en ligne et virtuelle ? Nous sommes là confrontés à un important dilemme moral et éthique sur les engagements envers des principes et valeurs clés tels que la responsabilité démocratique, la transparence, l’équité et la justice. C’est tout l’objet de cette recherche-action que nous menons avec le center for Sciences, Policy and Outcomes de l’Université d’Etat d’Arizona, et la Fondation Elyx. A ce stade, nous entrevoyons des pistes intéressantes pour la participation citoyenne. En voici cinq.
#1 Une expérience immersive et vivante
Lors d’un dialogue citoyen européen sur les enjeux de la présence européenne dans l’espace, nous avons proposé une séquence qui s’appelait « l’espace, on vous y emmène ». C’était une puissante séquence, co-créée par notre réalisateur Lord Wilmore avec notre collègue Patrice Levallois, dans laquelle Claudie Haigneré, première spationaute française, racontait son expérience.
La même séquence en réalité virtuelle aurait permis aux participants non plus de voir les images racontées par Claudie Haigneré, mais de vivre ces images par l’immersion tout en étant accompagnés par la voix de la spationaute comme regarder par le hublot d’une navette spatiale, survolez les continents, voir la terre qui défile. La réalité virtuelle, et ses 3D, permet en effet de vivre une expérience plutôt que d’en être simplement spectateur.
"Ensemble, nous pouvons réfléchir aux enjeux, aux limites, aux démarches à mener pour qu’une assemblée citoyenne en réalité virtuelle soit inclusive (…) et qu’un haut niveau de qualité du dialogue soit préservé.
Crédit photo : Julien Cregut
Yves Mathieu
Fondateur et co-directeur de Missions Publiques
#2 Des enjeux mieux compris dans une réalité simulée et vécue
Lorsqu’il est question d’aménagements ou de grands projets à mettre en débat, les outils d’information utilisés sont souvent des plans, des infographies, quelques images, un récit. Avec la réalité virtuelle, il sera possible de visiter et d’expérimenter le projet avant sa création.
Henriette Cornet, aujourd’hui responsable du programme mobilité autonome à l’Union Internationale des Transports Publics, a participé, avec Tumcreate, le laboratoire de Singapour où elle œuvrait à l’époque, à un dialogue citoyen international que nous avons organisé en 2018 et 2019 dans 26 villes du monde. Tumcreate a développé plusieurs plateformes de réalité virtuelles pour simuler le déploiement de la mobilité autonome à Singapour. Avec les casques 3-D, les participants ont physiquement levé le pied quand ils passaient de la voirie à un trottoir, ils ont vu les véhicules autonomes s’approcher d’eux, comme dans une rue réelle, et ont pu conseiller les éclairages, les sons les plus appropriés pour eux, et faire part de leurs réactions émotionnelles.
#3 Un changement de perspective qui développe l’empathie et fait changer les regards
Dans le même ordre d’idée, la réalité virtuelle, dans sa capacité de proposer une expérience, peut servir la sensibilisation en permettant à des individus de prendre la place de personnes souffrant de situation particulière (exemples : LABYRINTH PSYCHOTICA, un projet de réalité virtuelle pour sensibiliser à la schizophrénie ou encore la prochaine campagne de sensibilisation, CHAOS par l’agence E&H LAB). Cette approche peut également servir à comprendre ce qu’est un camp de réfugiés, une trajectoire de migration…
En proposant un changement de perspective, on augmente la capacité des participants à mieux comprendre les situations d’autrui, prendre conscience de leurs difficultés, changer les regards, déconstruire les préjugés.
#4 Des assemblées mondiales et multilingues
Rien ne remplace les réunions en présentiel. Oui ! Mais … lorsque 200 personnes se rencontrent pendant trois jours et parlent 24 langues différentes, elles doivent de fait être accompagnées par une équipe d’interprétation à peu près équivalente. L’outillage technologique des Panels Citoyens organisés dans le cadre de la Conférence sur l’avenir de l’Europe est une horlogerie précise, et près d’une vingtaine d’assistants techniques sont aux côtés des interprètes et des citoyens. Toutes les assemblées mondiales ne pourront pas se permettre cet accompagnement.
On peut évidemment réduire la dispersion des langues, et inviter des citoyens de plusieurs pays parlant 4 ou 5 langues communes. C’est faisable, mais ça réduit l’inclusivité de ces processus.
Dans les applications les plus récentes de la réalité virtuelle, il est aujourd’hui possible que deux humains ne parlant pas la même langue se rencontrent par l’intermédiaire de leurs avatars, et puissent lire dans leur langue, ce que dit l’autre, dans des bulles de BD. C’est une interprétation automatique, et donc imprécise. Nous sommes également conscients que si la personne ne peut pas lire, elle n’aura pas accès à la traduction des propos de son interlocuteur.
L’évolution de ces technologies va sans doute simplifier encore les interfaces.
#5 Des lieux participatifs entièrement virtuels
Déjà, Elyx a son musée expérientiel, avec des œuvres géniales, un parcours, un bar, une terrasse. Bientôt, nous allons expérimenter en réalité virtuelle un espace de réunion plénière, avec des salles de travail adaptée et imaginé pour un dialogue citoyen : le lieu de la permadémocratie imaginé par l’atelier Luc Schuiten avec l’équipe de Missions Publiques sera expérimenté en réalité virtuelle.
La réalité virtuelle connait depuis trois ans une évolution soutenue des technologies et applications disponibles. Aujourd’hui, plus besoin de casque avec câbles reliés à un ordinateur puissant pour avoir accès à la réalité virtuelle : une connexion wifi suffit – l’investissement est de l’ordre de 300 euros. C’est une réduction des coûts non négligeables par rapport aux démarches où l’on fait se déplacer des citoyennes et des citoyennes de pays différents.