Avec plus de 20 ans d’expérience dans les études prospectives, Aaron Rosa travaille au département Prospective de l’Institut Fraunhofer à Berlin, spécialisé dans la recherche sur les systèmes et l’innovation. Il est également partenaire du projet européen YouthDecide 2040, qui réunira 600 jeunes de toute l’Europe pour imaginer les futurs possibles de la démocratie à travers des ateliers nationaux créatifs et interactifs. Dans cet entretien, il revient sur ce qui rend ce processus participatif unique et sur les objectifs de ces ateliers, qui se dérouleront dans plusieurs grandes villes européennes entre mars et mai 2026.
Missions Publiques. Selon vous, qu’est-ce qui distingue les jeunes des autres publics ?
Aaron Rosa. En matière de public, les jeunes apportent des perspectives particulièrement riches et variées lorsqu’il s’agit de réfléchir à l’avenir de la démocratie. Les études réalisées ont révélé cinq profils distincts d’attitudes des jeunes envers la démocratie : 25 % d’entre eux se disent satisfaits, 17 % pas satisfaits, 18 % sont critiques envers le système démocratique, et 16 % ne se considèrent pas démocrates, ce qui laisse un groupe « intermédiaire » de 24 %.
Contrairement aux décideurs politiques, aux chefs d’entreprise ou aux responsables d’organisations, qui ont leurs propres contraintes et expériences professionnelles, les jeunes partagent le vécu de leur quotidien et des préoccupations propres à leur génération. Ces préoccupations ne sont pas forcément très différentes de celles des décideurs, mais elles offrent un angle de vue distinct. Ils enrichissent les discussions avec leurs aspirations, leurs inquiétudes et leurs expériences de tous les jours.
D’autres publics ont tendance à se concentrer sur les limites ou à dire : « Ça ne fonctionnerait jamais », tandis que les jeunes, même confrontés à certaines contraintes ou limites, expriment aussi leurs espoirs et leurs ambitions. Ils sont souvent dynamiques, ouverts aux démarches créatives et prêts à imaginer de nouveaux futurs. Pour toutes ces raisons, travailler avec eux est extrêmement précieux. Cela implique également de concevoir nos démarches différemment pour les engager efficacement.
Missions Publiques. Comment envisagez-vous d’impliquer des participants qui pourraient se sentir moins concernés par le sujet ou avoir le sentiment que leur voix n’est pas entendue ?
Aaron Rosa. C’est effectivement un défi du point de vue méthodologique. Globalement, le projet pose la question suivante : comment intégrer l’ensemble des voix dans la conversation ? Pour la conception du déroulement des ateliers nationaux, qui influenceront les résultats du projet, nous nous sommes particulièrement concentrés sur l’équilibre entre le temps de réflexion individuelle et le temps de co-création en groupe. Avant, pendant et après le travail en groupe, des moments sont prévus pour que les participants puissent faire une pause, réfléchir à leurs pensées et émotions, et interagir avec les différents contenus et activités. Cette approche permet aux participants plus réservés ou moins familiers avec le sujet de prendre le temps de réfléchir et de partager leur perspective sur le thème général du futur de la démocratie.
L’objectif est de créer des espaces où chacune et chacun se sente en sécurité pour être honnête avec lui-même et avec les autres. C’est un vrai défi, et même si nous espérons l’avoir relevé, il reste essentiel de le garder à l’esprit tout le long du processus.
"Nos objectifs sont de donner à la Commission une vision claire des attentes des jeunes pour les démocraties de demain et de rendre notre méthodologie accessible à tous, afin que chacun puisse contribuer à un avenir démocratique meilleur.
Aaron Rosa
Chercheur de l’Institut Fraunhofer
Missions Publiques. Quels sont les résultats que vous espérez obtenir grâce à ces ateliers ?
Aaron Rosa. Le but des ateliers nationaux est de réunir 19 groupes distincts de 30 jeunes, étrangers les uns aux autres, afin d’imaginer les sociétés démocratiques qu’ils souhaitent voir et dans lesquelles ils veulent vivre. Nous attendons de chaque groupe qu’il crée quatre ou cinq scénarios de ces futurs démocratiques possibles et qu’il en décrive le fonctionnement.
Les résultats des études menées sont précieux, tout comme le processus des ateliers lui-même. L’un des objectifs est également de créer une boîte à outils qui transformera les contenus produits en atelier en ressources accessibles, outils et méthodes, pouvant être réutilisées et adaptées. . Cette boîte à outils, conçue pour être à la fois créative et flexible, sera prête en mai 2026, en anglais, puis déclinée dans près de 19 langues afin que chacun puisse animer ses propres ateliers. Une part essentielle de la réussite sera de voir les participants se l’approprier, qu’ils suivent l’ensemble du parcours ou qu’ils l’adaptent et qu’ils puissent ainsi exprimer leur vision de ce à quoi devraient ressembler les démocraties futures.
Chaque scénario sera analysé pour faire émerger des visions diverses, mais porteuses d’espoir, de ce que la jeunesse européenne souhaite pour les sociétés démocratiques de demain. Les résultats seront partagés sur un forum en ligne, puis transmis à la Commission européenne et au Parlement européen, afin d’offrir aux décideurs des informations concrètes sur les attentes et aspirations des citoyens d’aujourd’hui et de demain.
Ainsi, nos objectifs sont doubles : d’une part, offrir à la Commission européenne une vision claire de ce que souhaitent les jeunes pour les démocraties de demain, et d’autre part rendre la boîte à outils accessible à tous en Europe afin que toute personne intéressée puisse participer à construire un avenir meilleur pour la démocratie.
Missions Publiques. Enfin, si vous deviez réaliser vous-même le même exercice, comment imagineriez‑vous la démocratie en 2040 ?
Aaron Rosa. Le budget participatif a souvent mauvaise réputation, car il est très utilisé. Pourtant, c’est justement parce qu’il est efficace qu’on y recoure autant. Donner aux gens la possibilité de décider comment dépenser les ressources communes est extrêmement important. Il existe aussi de nombreuses façons intéressantes d’expérimenter la prise de décision dans des systèmes démocratiques représentatifs. Je suis particulièrement attiré par l’idée de la démocratie liquide, ne serait-ce que pour la tester pendant quelques années et observer ses effets. D’autres approches méritent également d’être explorées, comme les assemblées citoyennes ou des mécanismes permettant de représenter à la fois les générations futures et les écosystèmes naturels dont nous dépendons. Ce sont tous des éléments que j’espère voir intégrer l’avenir de la gouvernance démocratique.
Je pense également que l’Europe est bien placée pour y parvenir. Ce ne sera pas facile, ce ne sera facile nulle part, mais la combinaison de diversité, d’énergie, de valeurs fortes et de volonté politique ici rend le progrès possible, peut-être plus efficacement que dans d’autres régions.






