"Il n’y a pas de citoyen.ne moyen.ne"

Vaia Tuuhia est déléguée générale de l’association 4D, un « think and do tank » citoyen pour la transition vers un développement durable. Elle est intervenue lors de la première session de la Convention citoyenne Occitanie à Toulouse pour tracer les enjeux de la transition… à portée de toutes et tous.

Missions Publiques : Parmi les « exigences » de 4D[1], il y a l’enrichissement de la démocratie. Les ONG et les associations sont parties prenantes de cette revitalisation démocratique mais qu’en est-il de la contribution des citoyen.ne.s ?

Vaia Tuuhia : La contribution des citoyen.ne.s à l’enrichissement de la démocratie est vitale : il n’est pas possible de réussir la transition sans eux. C’est encore plus vrai aujourd’hui, dans une période où nous savons qu’il faut accélérer les changements et où les seuils d’alerte sont quasiment atteints. Faire sans les citoyen.ne.s, c’est créer une distance, c’est continuer à nourrir les peurs. Et la peur vient souvent nourrir l’immobilisme voire les antagonismes. La transition ne doit exclure personne. Ce sont les citoyen.ne.s qui sont les acteurs.trice.s de cette histoire de demain.

MP : Les associations/ONG représentent des citoyen.ne.s engagé.e.s au service d’une cause. Quel a été l’élément déclencheur pour ouvrir à une participation citoyenne plus large ?

VT : Depuis longtemps, 4D construit, notamment avec les Agenda 21, des ponts entre les institutions, les élu.e.s et les citoyen.ne.s. Mais en 2013-2014, avant la COP 21, nous avons mal vécu le débat sur la transition énergétique. Au bout de plusieurs mois de négociations, nous aboutissons avec les différents représentants des corps intermédiaires à l’écotaxe et nous nous engageons à dupliquer cette conférence au niveau régional. Mais voilà, nous nous heurtons à l’incompréhension des médias d’un part et aux bonnets rouges d’autre part. Tout ce travail de démocratie participative n’a pas infusé jusqu’au grand public.

MP : 4D s’est donc lancée dans une démarche sur les modes de vie…ce qui fait résonnance avec la Convention citoyenne Occitanie où les participant.e.s travaillent des propositions à partir de leur quotidien.

VT : Il est inconcevable, aujourd’hui, de travailler uniquement de politique publique à politique publique et de parler à « la place de » ou de « représenter ». Nous devons aller au-delà de l’acceptation, de l’acceptabilité des citoyens… pour enclencher la contribution Les seuls experts des modes de vie, ce sont ceux qui les vivent. Pour imaginer des modes de vie durables et désirables, nous avons intégré donc les modes de vie, comme moteurs de changements mais aussi pour montrer toute la transversalité des pratiques quotidiennes : je me lève, j’allume la lumière, je mange, je prends ma douche, les transports etc. Quand on s’adresse aux citoyens, on leur parle trop souvent de production d’énergie ou d’agriculture comme des thématiques lointaines et techniques. Or en une demie heure, encore en pyjama, s’ils ont un toit, ils ont déjà interagi avec les politiques de l’eau et assainissement, d’énergie, d’agriculture voire industrie et chaîne agroalimentaire, du bâtiment…

"Mettre en mouvement les gens, en capacitation, c’est faire la démonstration que nous ne sommes pas dans la punition mais dans la contribution. Le sens de l’action et les relations offrent du plaisir.

Crédit photo : Chapelies Crew

Vaia Tuuhia

Déléguée générale de l’association 4D

MP : Comment travaillez-vous sur cette acceptabilité ?

VT : Nous essayons de montrer que leur mode de vie plus que leur geste n’est pas anodin[2]. Faire le tri, c’est un geste, c’est prendre conscience des déchets que nous produisons. C’est aussi comprendre que les déchets végétaux peuvent servir à fabriquer de l’énergie ou du compost. Si on mange bio, les déchets qui retournent à la terre enrichissent les sols etc. Notre attitude, choix socio-culturel, donne une autre valeur au geste. Toute cette chaîne de comportements et d’interactions entre moi, mon quotidien et le collectif, ce qui est à ma portée, participe de ce changement de mentalité auquel nous assistons depuis 5 ans. Aujourd’hui, même si la filière du recyclage n’est pas encore optimum, le marché de la seconde main, qui fait partie de l’économie circulaire, est en train d’exploser. En passant du jetable au durable, on ne mesure pas son impact sur la transformation de la filière mais on est acteur d’un changement de culture et c’est déjà énorme. C’est le point mort, souvent des stratégies de changement. Mettre en mouvement les gens, en capacitation, c’est faire la démonstration que grâce à tout cela, nous ne sommes pas dans la punition mais dans la contribution et qu’en plus, on peut se faire plaisir. Le sens de l’action et les relations offrent du plaisir.

MP : Lors de votre intervention devant les citoyen.ne.s de la Convention Occitanie, vous avez dit que dans le débat public, le.a citoyen.ne. moyen.ne n’existait pas…

VT : Ce que nous avons vécus avec les COP, ce sont les antagonismes entre les pays et les citoyen.ne.s du monde. Comment dire à quelqu’un qui a peine à se nourrir dans le Sahel que, grâce à la COP, on réduit les émissions de gaz à effet de serre ? C’est cette fameuse « responsabilité commune mais différenciée » qui existe aussi dans les efforts et les possibles que chacun doit faire ou se voit offrir sur son territoire. On entend régulièrement « les Français.e.s émettent 12 tonnes de CO2 par an ». Cette empreinte carbone est calculée en fonction des émissions nationales divisée par le nombre d’habitant.e.s. Cela donne une indication mais les personnes ne savent pas sur quoi agir… puisqu’elles n’ont ni la même vie ni les mêmes besoins. On demande aux Français.e.s de rationnaliser l’effort, et de réduire leurs émissions. Mais se penche-t-on sur le pourquoi ? Interroge-t-on ce « pourquoi » parce que certains travaillent dès 5 heures du matin et possèdent un vieux diesel ou parce que d’autres ont trois maisons de campagne ? Ce n’est pas la même racine du problème. Certains font le double de ces émissions, d’autres ne l’atteignent jamais. L’approche statistique « Français.e moyen.ne » peut être perçue comme une injustice. Et mettre des statistiques derrière un geste, ça ne marche pas. En travaillant sur la diversité des profils, le lieu d’habitation, la composition de la famille, les revenus, nous avons dégagé 8 à 9 archétypes différents de profils qui nous ont permis de travailler non pas sur les gestes mais sur la psychologie. C’est ce qu’on appelle le facteur humain avec sa dimension sensible et culturelle.

MP : Qu’attendez-vous des démarches type convention citoyenne ?

VT : Ce que j’apprécie en premier lieu, c’est le tirage au sort et cette « réprésentativité » maximisée de la population. Les démarches participatives ne sont pas nouvelles mais avec la convention citoyenne, on réaffirme 3 choses : 1. La participation citoyenne est « au cœur » et pas « à côté » de la démarche de construction des politiques publiques. A chaque fois qu’on en fait l’impasse à l’instant T, on augmente le risque de clash à l’instant T+1. 2. On a besoin pas de faire de la pédagogie avec les citoyen.ne.s et de leur rendre des compte. C’est le droit de suite. La redevabilité : on dit, on fait, on rend compte. La convention citoyenne le systématise. 3. L’élu, l’institution est à l’écoute. Et écouter, c’est déjà une posture de « faire avec ». C’est casser la verticalité des process et laisser une chance à une gouvernance plus agile, plus horizontale. J’ai été cheffe de projet dans la fonction publique pour la participation citoyenne aux politiques européennes au début des années 2000, je mesure tout à fait le sujet !

[1] 4 D comme Dossiers et débats pour le développement durable : https://www.association4d.org/
[2] Our life 21 est un kit pédagogique pour proposer des initiatives de prospective participative sur les modes de vie sobres et désirables en 2050
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