Assemblée nationale : "Il faut des voix fortes, indépendantes et légitimées par la participation des citoyen.ne.s"

Pour redonner du souffle aux élections législatives, certains candidats et candidates ont tenté de nouvelles approches, plus participatives. C’est le cas de Quitterie De Villepin dans la 2e circonscription de Paris. Si elle avait été élue, la candidate aurait installé le premier mandat délibératif à l’Assemblée nationale… A ses yeux, un.e bon.ne député.e doit impérativement associer les citoyens et citoyennes à l’exercice de son mandat.

Missions Publiques. Vous avez mené une campagne innovante avec les citoyens et citoyennes. Qu’en retenez-vous ?

Quitterie de Villepin. La grande surprise de cette campagne, c’est que les gens sont prêts. Nous avons lancé une consultation en ligne auprès des habitantes et des habitants de la circonscription et sur les 1231 répondants, 76% ont dit oui à la question « souhaitez-vous participer à la fabrication de la loi de manière régulière ? ». À partir de ce moment, nous ne sommes plus dans une intuition mais bien dans un fait politique. La démocratie, c’est accorder du temps à cette citoyenneté, c’est sortir de notre impuissance individuelle qui nous amène uniquement à signer des pétitions et à manifester ce qui ne produit plus rien aujourd’hui. Il est temps de passer à un stade plus évolué, plus moderne, plus constructif. Ensemble, nous avons élaboré un mandat délibératif. J’avais des modèles en tête comme celui de Dominique Rousseau,qui a théorisé la démocratie délibérative avec ses assemblées primaires.

Pendant 6 mois, nous avons modélisé une assemblée locale délibérative de circonscription. Nous nous sommes inspirés des retours d’expériences d’autres assemblées locales citoyennes qui existent pour la plupart en France, mais aussi pour certaines en Belgique. Pour aller plus loin, nous avons aussi auditionné Delphine Bagarry (députée des Alpes-de-Haute-Provence) pour former les habitant.e.s présent.e.s, au fonctionnement de l’Assemblée nationale.

Puis, nous avons collaboré avec des néophytes et des praticiens et praticiennes de la concertation pour voir ce qui était faisable dans le cadre d’un mandat de député.e. Et c’est comme ça que avons pu modéliser, en lâchant les a priori. Au fur et à mesure, s’est dessinée l’innovation démocratique qu’est le mandat délibératif. Avec tous ces ingrédients, nous avons reçu des retours encourageants de professionnels de la participation. Mais nous avions conscience que l’épreuve du réel pouvait nous enseigner beaucoup sur la prise en main.

 

Missions Publiques. Concrètement, qu’est-ce qu’un mandat délibératif à l’Assemblée nationale ? Comment l’avez-vous imaginé ?

Quitterie de Villepin. L’objectif de ce mandat délibératif, c’était d’en finir avec les crispations sociales, les tensions, les passions, les frustrations et les peurs que génèrent les grandes lois comme le mariage pour tous ou la taxe carbone par exemple.

Concrètement, nous proposions plusieurs dispositifs :

  • L’assemblée locale délibérative de circonscription, en ligne, avec l’ensemble des habitantes et habitants âgés de plus de 16 ans. Sa première action aurait été de choisir ma commission. Je n’avais aucune préférence, tout ce que je sais, c’est que 99% du travail d’un député se fait en commission, le reste c’est du théâtre. C’est d’autant plus important qu’il n’y a pas vraiment d’espaces de délibération à l’Assemblée nationale. L’endroit où il y en a le plus, c’est dans les commissions et en amont. Mais en tant que nouvelle députée, et encore plus en tant qu’indépendante donc non inscrite, c’est-à-dire avec aucun poids politique, j’aurais été la dernière roue du carrosse. Mais comme le sont tous les nouveaux députés et nouvelles députées, y compris ceux du groupe majoritaire. Les poids lourds choisissent leur commission permanente, puis les autres sont répartis n’importe comment. En réalité, avec cette consultation, l’objectif était de commencer le mandat par un résultat extrêmement concret et tangible, celui d’arriver avec le choix de milliers d’habitants et d’habitantes de ma circonscription.
  • L’assemblée locale délibérative ordinaire, composée de 100 personnes tirées au sort, renouvelées chaque année, se réunissant sur 5 week-ends sur une session parlementaire. L’objectif était de construire une proposition de loi, proposer des auditions, des évaluations, etc.
  • Un groupe opérationnel de 12 personnes membres de l’assemblée locale délibérative ordinaire, renouvelées tous les 2 mois. Ce groupe aurait travaillé tous les lundis avec la parlementaire. Avec pour ambition d’aider à la rédaction de potentiels amendements et l’écriture d’une loi sur l’ODD(1) prioritaire.
  • Un groupe de garants composé de 9 personnes membres sur une durée de 1 an (6 volontaires et 3 experts : juriste, chercheur et chercheuse en sciences politiques, philosophie, déontologie, etc).

 

Néanmoins, il ne s’agit pas d’un mandat impératif. Mon vote aurait été toujours libre. En revanche, l’engagement pris était de pouvoir émettre les peurs et les craintes de manière fidèle. Même en profond désaccord avec des expressions citoyennes, il s’agissait de les prendre en compte dans ma parole publique et politique.

"Le coût de l’inaction est plus important que le coût de l’action.

Candidate aux élections législatives de 2022 (2e circonscription de Paris)

Missions Publiques. Pensez-vous que la circonscription est une bonne échelle pour solliciter les citoyens ? Quelle est votre vision d’un bon député et quel est votre regard critique sur la situation actuelle ?

Quitterie de Villepin. Cette échelle est idéale parce que très concrète, très palpable. Et puisque la loi, est notre ciment, notre maison commune, ce qui nous permet de vivre ensemble, la circonscription apparaît comme un bon mélange entre échelle locale et le travail d’adhésion collective à la législature.

Soyons honnête, ce ne sont pas les citoyens et citoyennes qui se sont éloignés de la loi, ce sont les politiques qui se sont éloignés du citoyen et qui sont devenus les représentant.e.s non pas des électeur.trice.s, mais de leurs partis politiques. Cela fait maintenant quelques années que je travaille sur les thématiques environnementales et sociales. Et je remarque bien que globalement la structuration politique telle qu’elle est aujourd’hui, avec des partis politiques qui sont comme les syndicats, est en perte de vitalité.

Les mêmes ingrédients produisant toujours les mêmes effets, il faut changer d’ingrédients. La citoyenneté n’est pas du tout à la hauteur de ce qu’on pourrait vivre. Être considéré.e.s seulement comme des électeur.trice.s qui délèguent leur part de responsabilité, leur rôle dans la société avec un bulletin dans l’urne, ne correspond plus à notre société. On vote par défaut, on vote contre, il y a un épuisement démocratique, une perte de repères importants. Le coût de l’inaction est plus important que le coût de l’action.

Aujourd’hui, un.e député.e passe sa vie dans des réunions de groupe, à voter ce qu’on lui dit de voter, donc il ne représente plus que son parti politique. Et ça pose un problème pour la qualité des décisions qui sont prises. Nous sommes dans un jeu de rôle où la majorité vote pour le gouvernement et l’opposition vote contre de manière automatique et stérile, ça ne peut pas fabriquer de bonnes lois. Une fois que nous nous sommes dit ça, on sait qu’il faut des voix fortes, indépendantes et légitimées par la participation des citoyens et citoyennes.

Au regard des nouveaux équilibres, la nouvelle Assemblée nationale(2) va être obligée d’apprendre la culture de la délibération entre parlementaires (fait nouveau sous le quinquennat). Je pense qu’il y a besoin de nouveaux métiers dans les groupes parlementaires et dans les commissions : des faciltateur.trice.s au sein de l’Assemblée pour que les élu.e.s s’écoutent au lieu de s’invectiver, et de rester dans ce jeu de rôle, loin des principes de l’intelligence collective dont les bénéfices ont pourtant été mille fois prouvés dans des milliers de concertation.

Si cette culture de la délibération peut sauver cette mandature(3), il me parait primordial que les député.e.s n’oublient pas les citoyennes et les citoyens. Si nous voulons que les lois soient à la hauteur des enjeux, alors on a besoin de leur engagement, de leur assentiment, de leur consentement et participation pour relever les défis qui sont les nôtres. A l’heure où les parlementaires sont souvent contesté.e.s dans leur légitimité de terrain (une des conséquences de la pourtant légitime réforme du non cumul des mandats), quoi de mieux que de s’inscrire dans des cycles réguliers de délibération, pour retisser le lien avec les habitant.e.s ?


(1) Le nom d’Objectifs de développement durable est couramment utilisé pour désigner les dix-sept objectifs établis par les États membres des Nations unies et qui sont rassemblés dans l’Agenda 2030.
(2) Elue en juin 2022.
(3) XVIe législature.
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