Vladislava Gubalova travaille au sein de GLOBSEC, l’un de nos partenaires dans le projet ScaleDem, financé par Horizon Europe, le programme européen pour la recherche et l’innovation. À ce titre, elle évoque notamment le lien entre ScaleDem et les actions de GLOBSEC, qui vise à renforcer la démocratie en Europe centrale et orientale en combinant recherche, dialogue et actions stratégiques face aux défis politiques et informationnels.
Missions Publiques. GLOBSEC est notre grand think tank partenaire, et le plus important en Europe centrale et orientale : pouvez-vous nous dire comment les thèmes de la démocratie et de la résilience sont intégrés dans votre travail au quotidien, et comment vous allez contribuer au projet ScaleDem ?
Vladislava Gubalova. GLOBSEC vient de célébrer son 20e anniversaire. L’organisation est passée d’un petit groupe d’étudiants slovaques ambitieux, convaincus de l’avenir européen et transatlantique de la Slovaquie et de l’Europe centrale, à un groupe de réflexion paneuropéen reconnu, comptant environ 100 membres en Europe et aux États-Unis.
Les défis géopolitiques complexes et dynamiques, combinés aux évolutions économiques et technologiques mondiales, peuvent avoir de graves conséquences pour la démocratie s’ils ne sont pas traités de manière adéquate. Renforcer la résilience – c’est-à-dire non seulement protéger la démocratie mais aussi la consolider – est donc l’un des piliers du travail de l’organisation.
C’est pourquoi nous produisons des recherches fondées sur des données probantes pour appuyer l’élaboration des politiques, réunissons des acteurs influents afin de trouver des solutions concrètes, et engageons un dialogue avec les citoyens (en mettant particulièrement l’accent sur les jeunes et les femmes) ainsi qu’avec la société civile au sens large.
Nous contribuerons à une diffusion plus efficace des résultats du projet, en particulier dans sa phase finale, en impliquant des décideurs politiques à différents niveaux de gouvernement, ainsi que d’autres utilisateurs finaux et influenceurs. De plus, nous mettrons à profit notre expertise, nos méthodes de travail et notre réseau pour favoriser des partenariats stratégiques dans la poursuite des objectifs du projet.
Missions Publiques. Votre enquête annuelle GLOBSEC Trends révèle chaque année la perception des citoyens vis-à-vis de la démocratie dans la région d’Europe centrale et orientale (CEE). Quelles sont les conclusions les plus marquantes pour vous récemment ?
Vladislava Gubalova. Cette année marque un tournant : nous célébrons la 10e édition de GLOBSEC Trends. Même si le mérite revient à mes collègues, cette publication est devenue une référence pour prendre le pouls de l’opinion publique en Europe centrale et orientale (CEE). Chaque édition analyse les attitudes face aux défis actuels, tout en conservant des questions constantes sur la démocratie pour suivre l’évolution dans le temps.
Dans l’enquête de cette année, 84 % des répondants en CEE estiment que la démocratie – définie comme un système fondé sur l’égalité, les droits humains, les libertés et l’État de droit – est bénéfique pour leur pays. La région affiche donc un fort soutien envers la démocratie, même si les définitions de ce qu’elle représente peuvent varier.
Ce qui ressort aussi, c’est que les citoyens de la région semblent bien conscients de l’importance du moment actuel, marqué par des changements rapides, des défis sécuritaires et parfois une incertitude économique.
Il est également essentiel de souligner que des esprits bien informés résistent mieux aux théories du complot. Le lien entre la culture médiatique, la consommation des médias traditionnels et la croyance aux théories du complot est très clair. Par exemple :
- En Roumanie, 57 % des personnes croient aux théories du complot ; le pays a un score de 32 sur 100 à l’indice de littératie médiatique, et seulement 10 % de la population utilise les médias traditionnels.
- En Estonie, 36 % croient aux théories du complot ; l’indice de littératie médiatique y est de 71 sur 100, et 46 % des citoyens consultent les médias traditionnels.
En résumé, même si des pressions internes et externes persistent, la démocratie peut tenir dans la région, à condition de recevoir un soutien constant et d’être renforcée par des actions adaptées aux contextes locaux.
"Il est crucial de combiner les différentes approches de mise à l’échelle, car les innovations démocratiques portées à un haut niveau peuvent être soit rejetées en bloc, soit instrumentalisées pour légitimer des pratiques illibérales.
Chercheuse Centre for Global Europe du GLOBSEC
Missions Publiques. Le cadre de mise à l’échelle de ScaleDem distingue quatre voies : scaling out, deep, in et high(1). Laquelle de ces dimensions correspond le mieux à l’approche de GLOBSEC pour renforcer la résilience démocratique en CEE ?
Vladislava Gubalova. Les forces de GLOBSEC résident principalement dans le scaling in et le scaling high. En créant des espaces de consultation et d’échange d’idées, d’expériences et d’expertises entre divers groupes d’acteurs, nous sommes en mesure de faire avancer des recommandations concrètes et crédibles, tout en gagnant la confiance des décideurs et des praticiens. Cela dit, nous avons aussi une bonne expérience en scaling out, notamment grâce à des années de renforcement de capacités, de formation et de sensibilisation des citoyens et des agents publics.
Missions Publiques. Lors de notre réunion de lancement à Bruxelles, vous avez souligné la menace de la cooptation politique par des gouvernements illibéraux, qui peut survenir avec le scaling high. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Vladislava Gubalova. Bien sûr. On observe aujourd’hui un environnement plus difficile dans certains pays d’Europe centrale, mais pas seulement. Les espaces civiques s’y rétrécissent, la polarisation est exploitée et la société civile est sous forte pression. Dans ce contexte, il est crucial de combiner les différentes approches de mise à l’échelle, car les innovations démocratiques portées à un haut niveau (scaling high) peuvent être soit rejetées en bloc, soit instrumentalisées pour légitimer des pratiques illibérales. Néanmoins, même dans ces conditions, il ne faut pas renoncer au scaling high : il faut viser les niveaux européen, local ou régional et saisir les opportunités là où elles se présentent.
Missions Publiques. Notre projet met l’accent sur le passage de la recherche à l’expérimentation sur le terrain. Et vous êtes nos experts politiques dans le consortium ! Une dernière question : quel serait votre meilleur conseil pour convaincre les décideurs de s’engager dans la mise à l’échelle des innovations démocratiques ?
Vladislava Gubalova. Pour que les décideurs s’engagent et deviennent des facilitateurs de la mise à l’échelle des innovations démocratiques, il faut leur proposer des solutions claires, simples, applicables dans leur cycle politique, et surtout utilisables concrètement. Même si nous croyons fermement aux bienfaits de ces innovations pour renforcer la résilience sociétale et la démocratie, nous devons rester pratiques, orientés vers les solutions, et cohérents dans nos messages.
-
Scaling out : diffuser horizontalement une innovation.
-
Scaling deep : changer les mentalités, les valeurs, les normes culturelles.
-
Scaling in : améliorer la qualité interne et l’adaptation d’une innovation dans un contexte donné.
-
Scaling high : faire adopter une innovation à un niveau institutionnel ou politique élevé.