« Les droits de la nature représentent une possibilité d’inventer de nouvelles formes de gouvernance »

À la périphérie sud de Strasbourg s’étend la réserve naturelle Neuhof-Illkirch. Cet espace exceptionnel est un lieu de loisirs pour les habitantes et habitants et un refuge pour de nombreuses espèces face à l’intensification des épisodes de chaleur. Comment concilier préservation de la biodiversité et usages humains ? La ville de Strasbourg a mis en place un processus de concertation citoyenne avec « L’Atelier de la réserve » que nous avons accompagné. Genèse du projet, bilan et perspective… nous avons interrogé Charlotte Charroy, cheffe de projet Ancrage territorial.

Missions Publiques. Depuis 2019, vous avez adopté une approche plus participative. Qu’est-ce qui vous a motivé ? Avez-vous été inspirée par d’autres initiatives menées dans d’autres réserves naturelles ?

Charlotte Charroy. L’ancrage territorial, c’est-à-dire le lien que les habitantes et habitants entretiennent avec leur environnement, est un facteur clé pour assurer une gestion durable des espaces naturels protégés. Plus les citoyennes et citoyens se sentent impliqués, plus ils deviennent acteurs de la préservation de ces lieux. Cet engagement est essentiel, notamment pour accompagner les futurs travaux de restauration écologique dans les Réserves naturelles de Strasbourg.

Dès 2019, une première concertation a rassemblé près de 200 personnes – acteur-trice-s de la réserve, riverains, usagers et visiteurs – pour réfléchir ensemble à l’amélioration de l’accueil du public tout en garantissant la protection du patrimoine naturel. Cette expérience a démontré l’intérêt et la pertinence d’une approche participative dans la gestion des réserves. En 2020, la nouvelle équipe municipale a fait de la participation citoyenne l’un des trois piliers de son mandat. Dans cette dynamique, l’élu en charge des Réserves naturelles nous a confié la mission de créer une instance de participation citoyenne, afin de démocratiser leur gouvernance.

C’est ainsi qu’est né l’Atelier de la réserve de Neuhof-Illkirch, une des premières initiatives participatives en France dans le domaine des réserves naturelles. Ce dispositif innovant vise à associer durablement les habitants et usagers à la gestion et à l’évolution de cet espace protégé. Si d’autres réserves naturelles ont inspiré notre démarche en matière de concertation ponctuelle, l’Atelier de la réserve, par son ambition et son format, se distingue comme une expérimentation inédite. Il incarne notre volonté de construire une gouvernance plus ouverte, où la protection de la nature se conjugue avec la participation active des citoyennes et citoyens.

 

Missions Publiques. Strasbourg est particulièrement active en matière de participation citoyenne. Comment percevez-vous la dynamique de démocratie participative dans votre ville et dans quelle mesure cette dynamique influence votre travail au sein des réserves ?

Charlotte Charroy. Strasbourg s’impose comme un modèle en matière de démocratie participative, en multipliant les initiatives permettant aux citoyennes et citoyens de s’impliquer activement dans la vie locale. Budgets participatifs, conseils citoyens, concertations publiques et dispositifs innovants comme les conventions citoyennes témoignent de cette volonté de co-construction entre habitantes et habitants et collectivité.

Dans le cadre des réserves naturelles, cette dynamique a un impact direct et bénéfique sur notre travail. La mobilisation des habitantes et habitants autour des enjeux environnementaux permet une meilleure prise en compte des attentes locales et favorise une gestion plus partagée et durable des espaces naturels. Grâce aux consultations et aux différents dispositifs participatifs mis en place ces dernières années, nous bénéficions d’un retour précieux des citoyennes et citoyens, qui sont souvent les premiers témoins des évolutions de la biodiversité locale.

Cette implication se déploie en parallèle d’une augmentation de la sensibilisation du public. De nombreux habitantes et habitants participent à des actions concrètes comme des chantiers participatifs ou des opérations de science participative. Cette dynamique collective renforce notre action et nous permet d’adapter nos stratégies aux besoins et aux aspirations des citoyennes et citoyens.

Ainsi, la démocratie participative à Strasbourg crée un cercle vertueux où institutions et citoyennes et citoyens œuvrent ensemble pour protéger et valoriser notre patrimoine naturel. Une gouvernance partagée qui, au-delà des réserves, enrichit le lien entre les habitantes et habitants et leur territoire.

 

Missions Publiques. On remarque dans le domaine de la participation citoyenne que les enjeux de droits de la nature prennent une place de plus en plus importante. Quel regard portez-vous sur cette évolution ?

Charlotte Charroy. Des démarches emblématiques ont ouvert la voie à l’émergence d’initiatives nationales et locales sur les droits de la nature. Récemment, Wild Legal, une association qui œuvre pour la transition écologique par le droit visant à promouvoir l’étude, la pratique et le progrès du droit de l’environnement à la lumière de la doctrine juridique des Droits de la Nature a contacté l’équipe gestionnaire des espaces naturels de la Ville de Strasbourg pour porter une démarche de reconnaissance du statut juridique du Rhin.

Les droits de la nature représentent une possibilité d’inventer de nouvelles formes de gouvernance, dans lesquelles les habitantes et habitants sont amenés à s’impliquer directement, à travers leur rôle de gardiennes et gardiens de la nature. Toutefois, des défis demeurent : concilier ces nouveaux droits avec les cadres juridiques existants et assurer leur application effective. Le rôle de la participation citoyenne est donc essentiel pour faire évoluer les mentalités et les politiques vers une reconnaissance plus large des droits de la nature.

"En impliquant davantage les citoyennes et citoyens, nous espérons créer un véritable effet boule de neige, où chacun devient ambassadeur de ces espaces préservés.

Charlotte Charroy

Cheffe de projet Ancrage territorial

Missions Publiques. Qu’est-ce qui vous a surpris dans la méthodologie que nous avons proposée ?

Charlotte Charroy. Ce qui m’a le plus surprise dans votre méthodologie, c’est sa simplicité apparente. Cette clarté n’est cependant pas le fruit du hasard : elle témoigne d’une maîtrise fine des mécanismes de la participation citoyenne. En structurant le processus autour d’un nombre restreint de rencontres – deux week-ends complets, un samedi de clôture et une visite en soirée – vous avez su créer un cadre à la fois efficace et engageant. Ce format « compact » a favorisé des échanges intenses et constructifs, en permettant aux participantes et participants de s’immerger pleinement dans la démarche. Cette concentration des temps d’échange a renforcé la dynamique collective et donné une véritable puissance aux débats, rendant le processus particulièrement robuste. Une approche qui prouve que simplicité peut rimer avec efficacité et profondeur. Pour un de mes collègues qui a été fortement impliqué dans l’Atelier, c’est le format « convention citoyenne » qui a été le plus novateur dans sa façon de penser la participation citoyenne.

 

Missions Publiques. Que reste-t-il à améliorer par rapport à la participation citoyenne au sein d’une réserve naturelle ? Quels enseignements tirez-vous de cette expérience pour l’avenir ?

Charlotte Charroy. Le format de l’Atelier a pleinement répondu à nos attentes, offrant un cadre structuré et engageant pour la participation citoyenne en lien avec la réserve naturelle.

Pour aller plus loin, il serait pertinent d’imaginer des formats d’échange spécifiquement dédiés aux plus jeunes, voire aux enfants. Sensibiliser dès le plus jeune âge à la préservation des espaces naturels permettrait de renforcer la compréhension de ces enjeux pour les générations futures.  Un deuxième axe d’amélioration serait l’optimisation de l’articulation entre l’organisation des services de la collectivité et les propositions du panel. C’est-à-dire le cadre méthodologique de réponse de l’administration aux attentes des participantes et participants, qu’il soit plus fluide, presque un réflexe automatique bien huilé si d’aventure ces dispositifs venaient à prendre de l’ampleur.

 

Missions Publiques. Enfin, quel impact souhaiteriez-vous que cette démarche ait sur la gestion actuelle des réserves naturelles ? 

Charlotte Charroy. L’impact souhaité de cette démarche dépasse la simple concertation : il s’agit de faire connaître l’existence des réserves naturelles au plus grand nombre, d’éveiller un sentiment de fierté et, surtout, de donner envie de les protéger. En impliquant davantage les citoyennes et citoyens, nous espérons créer un véritable effet boule de neige, où chacun devient ambassadeur de ces espaces préservés. L’idéal serait que cette dynamique renforce l’ancrage des réserves naturelles dans les territoires, en faisant de leur préservation un enjeu partagé par tous. Une gestion plus participative et inclusive permettrait d’intégrer pleinement les attentes des habitantes et habitants et des visiteurs, rapprochant ainsi la Ville gestionnaire et les usagers, favorisant ainsi une meilleure appropriation et protection de ces lieux uniques.

Pour aller plus loin : notre fiche projet

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