On continue à remonter le temps avec un autre moment charnière pour Missions Publiques : l’accompagnement des jurys citoyens sur l’évaluation des politiques publiques en Région Poitou-Charentes. Une petite « révolution » dans le landernau politique français d’autant que les habitantes et habitants ont été recrutés par… tirage au sort. Une première qui « ne fait plus débat aujourd’hui » pour Marion Ben Hammo(1) à l’époque coordinatrice démocratie participative de la Région. C’est aussi l’année de la rencontre entre MP et Antoine Vergne à l’époque jeune chercheur…
Missions Publiques. Remettons-nous un peu dans le contexte de 2008, soit un an après la présence de Ségolène Royal au 2e tour de l’élection présidentielle …
Marion Ben Hammo. Sa campagne avait un caractère participatif très fort. Une dimension très présente dans la Région qu’elle dirigeait depuis 2004 : « la démocratie participative » en était même le slogan ! Nous travaillions déjà sur les budgets participatifs des lycées. La campagne de 2007 a été un tournant et si l’idée du jury citoyen nous intéressait depuis plusieurs années, 2008 a été l’occasion de mettre en œuvre cette idée d’évaluation citoyenne de l’action publique régionale. Le premier a porté sur les actions initiées par la Région pour lutter contre le changement climatique et en particulier les émissions de gaz à effet de serre.
Antoine Vergne. En 2008, j’étais en thèse et j’avais deux terrains de recherche, un en Allemagne à Aix-La-Chapelle (une taxe sur le ramassage des déchets), l’autre dans la Région Poitou-Charentes(2). Ce qui était intéressant, c’était l’innovation que cela représentait pour la France alors qu’en Allemagne, les « Planungszelle » (cellules de planification en allemand) – les jurys citoyens – existent depuis la fin des années 60. Ils ont été expérimentés au fur et à mesure par des groupes de recherche qui ont testé différents formats jusqu’à en stabiliser un dans les années 80 avec un groupe de 25 personnes et un programme – de l’information à la délibération – établi sur quatre jours(3). C’était donc déjà un modèle standardisé ultra rodé en Allemagne, si bien que j’ai été frappé dans un premier temps par le manque de structure du processus en France. Cela dit, la particularité de ce jury citoyen en Poitou-Charentes était la volonté politique très forte derrière le projet, touchant une corde sensible de la classe politique. Quant à la méthode, celle suivie par Missions Publiques permettait une dynamique de groupe et des discussions plus profondes qu’en Allemagne.
"Professeur, ouvrier, retraité pilote de chasse ou jardinier, laborantine, jeune mère au foyer… nous avons eu une belle diversité de profils.
Marion Ben Hammo
Ancienne coordinatrice démocratie participative de la Région Poitou-Charentes
Missions Publiques. Comment a été organisée la sélection de ces jurys citoyens ? Et en quoi cette démarche reste-t-elle une innovation ?
Marion Ben Hammo. Là encore, c’était une première en France. Nous avons commencé avec une liste fournie par les mêmes prestataires que ceux des instituts de sondage. Ce sont les agentes et agents de la Région qui ont appelé les habitantes et habitants. Il était crucial pour nous de les contacter directement pour expliquer et susciter une véritable compréhension de la démarche ainsi qu’un engagement réel. D’autre part, cela nous permettait aussi d’avoir des retours très directs sur leur perception de notre travail. L’accueil a été globalement positif. Certain-e-s étaient sceptiques et pas intéressés mais cela nous donnait l’occasion de dialoguer sur les actions régionales et d’orienter les citoyennes et citoyens vers des initiatives pertinentes. In fine, 26 citoyennes et citoyens, représentatifs de la diversité territoriale, générationnelle, professionnelle et sociale de la population picto-charentaise, de parcours et de points de vue variés, se sont réunis pendant 2 week-ends. Professeur, ouvrier, retraité pilote de chasse ou jardinier, laborantine, jeune mère au foyer… nous avons eu une belle diversité de profils.
Antoine Vergne. Ce que je retiens 15 ans après, c’est qu’évaluer les politiques publiques reste un processus innovant. Quand nous avons accompagné la Conférence sur l’avenir de l’Europe(4), le Parlement européen s’est dit intéressé par exemple. La véritable innovation réside là : quand le politique prend le temps de se poser à mi-mandat pour évaluer ses actions et écouter les citoyennes et citoyens avant de poursuivre. L’objectif du mandat est discutable : soit le politique entend ce que les personnes ont à dire et essaye d’appliquer après, soit il met à l’épreuve sa politique à des moments donnés. Ce sont deux approches qui se défendent. Que ce soit à Aix-la-Chapelle ou dans la Région Poitou-Charentes, des actions ont été mises en place.
"A Aix-La-Chapelle, la municipalité a repris les recommandations du jury citoyen et a changé la réglementation.
Antoine Vergne
Co-directeur de Missions Publiques
Missions Publiques. Quelles ont été les suites de ce premier jury citoyen ?
Marion Ben Hammo. Ce premier jury a remis son avis fin juin 2008 et la Région y a répondu point par point un an plus tard. Entre temps, nous avons réuni deux autres jurys toujours chargés d’évaluer des politiques régionales prioritaires : le soutien aux entreprises et aux entrepreneurs et les transports et la mobilité. Sur le jury « climat », nous avons fait évoluer plusieurs actions et lancé de nouveaux dispositifs. L’un des résultats phares fut le lancement d’un appel à projets pour l’amélioration de la performance énergétique du patrimoine bâti des communes de moins de 10 000 habitants. Nous avons également pu réinvestir dans le budget participatif des lycées notre expérience sur le tirage au sort. La méthodologie du jury citoyen a pu également être adaptée sur d’autres politiques publiques régionales comme l’accès à la formation professionnelle ou les Bourses de la Découverte pour les jeunes. Par ailleurs, nous portions à la même époque un projet européen pour favoriser la participation des jeunes sur le changement climatique avec les régions de Toscane en Italie et de Catalogne en Espagne, permettant de donner dimension européenne du projet.
Antoine Vergne. A Aix-La-Chapelle, la municipalité a repris les recommandations du jury citoyen et a changé la réglementation. Dans les deux cas, la démarche a eu un impact sur les politiques. Autre point : la Région a réussi à connecter la recherche et la pratique notamment via une conférence au Conseil régional sur la démocratie participative et délibérative où se sont forgés des réseaux et des collaborations fructueuses. Enfin, directement après le jury en Poitou-Charentes, puis un an et trois ans plus tard j’ai mené des entretiens avec la majorité des participants-es et je confirme : c’est vraiment une expérience transformatrice pour les personnes qui la vivent !
