Archives des villes intermédiaires - Missions Publiques https://missionspubliques.org/tag/villes-intermediaires/ Thu, 23 Dec 2021 10:49:17 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=6.8.1 https://missionspubliques.org/wp-content/uploads/2021/03/favicon.png Archives des villes intermédiaires - Missions Publiques https://missionspubliques.org/tag/villes-intermediaires/ 32 32 Villes intermédiaires : passer d’une approche de mobilité à une approche d’accessibilité https://missionspubliques.org/villes-intermediaires-passer-dune-approche-de-mobilite-a-une-approche-daccessibilite/ Thu, 08 Apr 2021 18:54:51 +0000 https://missionspubliques.org/?p=3518 L’article Villes intermédiaires : passer d’une approche de mobilité à une approche d’accessibilité est apparu en premier sur Missions Publiques.

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Plus de deux villes sur trois dans le monde sont des villes intermédiaires (1). Malgré leur importance pour le développement régional et national, elles ont souvent été négligées. Aziza Akhmouch est cheffe de la division Villes, politiques urbaines et développement durable au centre de l’OCDE pour l’entrepreneuriat, les PME, les régions et les villes. Pour elle, il est urgent de penser différemment le développement urbain de ces villes en favorisant l’inclusion des femmes, la productivité et la numérisation (2).

Missions Publiques. Vous estimez que les villes intermédiaires contribuent aux objectifs d’une urbanisation et d’une croissance intelligente, durable et équilibrée dans les pays. L’inclusion des femmes y est un volet particulièrement important. Quels sont les leviers pour leur permettre de trouver une place dans l’espace public ?

Aziza Akhmouch. Les villes ne sont pas inclusives si elles ne prennent pas en compte les politiques de genre, dès la planification de la ville elle-même. Le problème est que toutes les villes du monde ont été conçues et construites par des hommes, même si nous avons constaté des progrès au cours de la dernière décennie. Nous pouvons changer ce statu quo si nous agissons simultanément sur trois leviers pour rendre les environnements urbains plus favorables aux femmes : l’éducation, le leadership politique et les infrastructures. Le premier levier pour mettre les femmes au cœur du développement urbain est l’éducation en encourageant davantage de femmes à rejoindre les cursus et les emplois d’ingénieur-e-s, de scientifiques et d’urbanistes. La longue domination masculine dans le domaine de l’urbanisme a créé des barrières physiques et sociales que nous devons combattre ensemble. Il existe quelques contre-exemples, comme à Vienne, où des femmes architectes participent depuis les années 1990, à la conception de nouveaux quartiers de la ville avec des améliorations significatives.

Le deuxième levier consiste à faire en sorte que davantage de femmes occupent des fonctions électives. Sur le papier, nous avons des objectifs ambitieux et clairs : une cible spécifique de l’Objectif de développement durable n°5 sur l’égalité des genres vise à « assurer la participation pleine et effective des femmes et l’égalité des chances en matière de leadership à tous les niveaux de décision de la vie politique, économique et publique ». Dans la pratique, nous sommes loin du compte. Sur les 300 plus grandes villes du monde, seules 25 sont gouvernées par des femmes, même si un certain nombre de capitales européennes, dont Rome, Madrid, Paris, Varsovie et Stockholm, ont désormais des femmes maires. Les données issues de notre travail sur les ODD dans les régions et les villes montrent qu’il n’y a pas une seule région dans les pays de l’OCDE où les femmes représentent au moins la moitié des maires. L’initiative des maires champions de l’OCDE sur l’égalité des genres a exploré cette question et a montré clairement que le leadership féminin améliore considérablement l’équité entre les sexes, car les décideuses et les décideurs comprennent réellement les problèmes qu’ils doivent résoudre.

Enfin, troisième levier, nous besoin d’infrastructures plus inclusives, sûres et adaptées aux femmes. Par exemple, en France, les hommes n’utilisent les transports publics que pour 10% de leurs déplacements, alors que deux-tiers des passagers des transports publics sont des femmes. À Asunción et à Lima, jusqu’à 75 % et 80 % des femmes respectivement ont un sentiment d’insécurité lorsqu’elles utilisent les transports publics, en particulier la nuit. Pour améliorer la sécurité urbaine et lutter contre le harcèlement sexuel, certaines villes réservent aux femmes des wagons de train, des taxis et des espaces de bus. En France, la modernisation des trains et des métros a permis de créer des compartiments ouverts en continu qui contribuent à une meilleure perception de la sécurité. Mais il n’appartient pas seulement aux femmes de s’engager en faveur de l’égalité des sexes et de la sécurité, les alliés et les champions masculins sont également nécessaires.

 

Missions Publiques. Des études ont montré que les Européen-ne-s ont été confronté-e-s à une « géographie du mécontentement » avant même le Covid-19. Comment expliquez-vous ce phénomène ?

Aziza Akhmouch. En France, la « géographie du mécontentement » a culminé avec le mouvement des Gilets jaunes il y a plus d’un an. Ce mécontentement s’explique par le fait que les politiques ont souvent été aveugles à l’espace physique ou au lieu. Les mégatendances telles que le changement climatique, l’évolution démographique, la mondialisation et l’urbanisation ont des effets inégaux et asymétriques sur les personnes, les lieux et les entreprises. Cette absence d’approche territoriale de la conception et de la mise en œuvre des politiques exacerbe généralement les inégalités et réduit le niveau de confiance des citoyennes et des citoyens dans la capacité de leurs gouvernements à assurer leur bien-être. Par le passé, on pouvait penser que la plupart des mécontentements provenaient essentiellement des zones rurales, comme l’a montré l’épisode de la taxe carbone en France avec les Gilets jaunes. Mais avec le COVID-19, ce mécontentement s’est amplifié dans les villes, surtout les grandes et leurs périphéries en raison des mauvaises conditions de vie et de la ségrégation spatiale. Cela a également été le cas dans certaines villes de taille moyenne basées sur des secteurs industriels en déclin. Il est donc important de comprendre le concept de villes intermédiaires pour saisir les tenants et aboutissants de ce mécontentement.

Certaines des villes intermédiaires les plus performantes sont celles qui se sont développées en tant que pôles clés pour l’innovation et la recherche, en étant attractives pour les activités hautement productives et les emplois hautement qualifiés – activant ainsi des effets multiplicateurs pour l’économie urbaine.  Cambridge et Oxford comptent parmi les villes les plus riches du Royaume-Uni, malgré leur taille relativement modeste. L’Europe offre d’autres cas exemplaires de villes intermédiaires « prototypiques ». Par exemple, Dijon en France (160 000 habitants) a connu un succès en termes d’attractivité avec un PIB par habitant supérieur à celui de certaines grandes villes françaises. Les villes intermédiaires du nord de l’Italie se sont également développées avec succès autour de clusters industriels, comme celles de la région d’Émilie-Romagne (Modène, Reggio-Emilia, Parme), caractérisées par un développement plus équilibré. Mais toutes les villes intermédiaires ne ressemblent pas à Cambridge ou à Dijon, et beaucoup sont piégées dans une structure économique faible, comme certaines villes basées sur des industries qui ne sont plus capables de générer de l’innovation et du travail, parce qu’elles n’ont pas réussi à changer d’échelle ou à diversifier leur base économique existante. En conséquence, certaines zones connaissent un déclin ou une stagnation économique à long terme, un rétrécissement urbain ou risquent d’être prises dans un « piège à revenus moyens ». Aujourd’hui, au siècle métropolitain, les politiques semblent avoir sous-estimé ce phénomène – qui a souvent été caché derrière ce qui semble être des taux de croissance nationaux positifs. En conséquence, les inégalités au sein d’un même pays se sont accrues, et certains territoires ont été laissés pour compte, là où le vote populiste a augmenté. Une approche territoriale visant à exploiter le potentiel de tous les territoires devrait être appliquée plus systématiquement afin de déclencher le développement économique local. Les villes intermédiaires peuvent agir comme des « hubs » locaux grâce à des liens vertueux entre les villes et les campagnes et en assurant une croissance nationale équilibrée.

« Les villes intermédiaires peuvent agir comme des « hubs » locaux grâce à des liens vertueux entre les villes et les campagnes et en assurant une croissance nationale équilibrée.

Crédits photo : OCDE

Aziza Akhmouch

Cheffe de la division Villes, politiques urbaines
et développement durable au centre de l'OCDE
pour l'entrepreneuriat, les PME, les régions et les villes

Missions Publiques. Dans votre récent TedXTalk, vous proposez trois solutions pour la ville de demain, dont la numérisation. Quel est le rôle de la numérisation concernant l’accessibilité dans les villes intermédiaires ?

Aziza Akhmouch. Avec la pandémie, la nécessité de passer d’une approche de mobilité à une approche d’accessibilité a gagné du terrain dans le monde entier. Des concepts tels que la ville de 15 minutes (Paris), la ville de 20 minutes (Melbourne) ou la ville de 10 minutes (Bruxelles) ont proliféré dans le monde entier. Du jour au lendemain, les gens ont découvert les avantages des rues sans voitures, et la combinaison de l' »effet Zoom » induit par la révolution du télétravail, et de l' »effet Greta » a largement contribué à accélérer la prise de conscience environnementale des citoyens. Pour soutenir une telle transition verte tout en s’efforçant de favoriser l’inclusion, de nombreux maires ont vu l’opportunité de repenser la rue urbaine comme un espace social où la proximité des services et des équipements est la clé pour offrir des opportunités à toutes et tous.

Le concept d’accessibilité englobe à la fois la sphère physique et la sphère numérique. Toutefois, l’accessibilité physique et l’accessibilité numérique ne sont pas des substituts complets. Au début du verrouillage mondial, beaucoup pensaient que les citadin-e-s des grandes métropoles allaient s’installer massivement dans les villes moyennes ou les zones rurales puisque 40% des personnes pouvaient travailler de n’importe quel endroit où elles disposaient d’une connexion Internet. En France, nous avons lu de nombreux articles sur le renouveau des villes et des zones rurales, et sur les « nomades numériques ». Après un an de Covid-19, on constate que si la révolution numérique a légèrement bouleversé les équilibres spatiaux, la réalité est que les nomades numériques représentent une part relativement faible de la population active. Cela s’explique par le fait que la grande majorité des gens se rassemblent dans les grandes villes non seulement pour des raisons d’emploi et de productivité, mais aussi en raison d’un éventail plus large d’avantages d’agglomération, notamment les services et les commodités.

Bien sûr, il y aura des citadins qui, à la recherche d’une meilleure qualité de vie, iront probablement s’installer dans des villes intermédiaires proches des grandes métropoles. Et c’est une bonne chose.  Les villes intermédiaires ont un fort potentiel pour devenir plus attractives si les conditions sont réunies pour attirer les entreprises, investir dans les infrastructures nécessaires, stimuler les services publics locaux et renforcer les capacités fiscales et de gouvernance. La révolution numérique offre la possibilité de minimiser la pression sur les terres, les services publics et les ressources naturelles si, individuellement et collectivement, nous modifions radicalement notre façon de nous déplacer, de vivre, de produire et de consommer dans les villes de toutes tailles. Cela implique également de revoir notre rapport au temps, de resynchroniser nos vies sociales et professionnelles en dehors des heures de pointe traditionnelles, afin que nous ne soyons pas toutes et tous obligés de faire la même chose, au même endroit, au même moment. De nouvelles formes de chrono-urbanisme seront essentielles pour s’orienter plus rapidement vers des infrastructures polyvalentes, rechercher un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie privée, et rajeunir le concept de bien-être à la lumière des précieuses leçons que cette pandémie nous a enseignées, afin de créer les villes de demain.

(1) « Villes intermédiaires » est le terme européen utilisé pour « villes moyennes ». Les villes intermédiaires sont des villes ayant une population comprise entre 50.000 et un million d’habitants. Elles abritent 20 % de la population mondiale et un tiers de la population urbaine totale.
(2) Aziza Akhmouch s’appuie sur un récent rapport de l’OCDE qui analyse les réponses politiques des villes à la crise de COVID-19.

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« Il faut s’acculturer au recyclage urbain » https://missionspubliques.org/il-faut-sacculturer-au-recyclage-urbain/ Wed, 10 Mar 2021 14:35:47 +0000 https://missionspubliques.org/?p=3374 L’article « Il faut s’acculturer au recyclage urbain » est apparu en premier sur Missions Publiques.

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Jean Guiony est directeur adjoint d’Action cœur de ville, un programme dédié à la redynamisation des centres-villes de 222 villes moyennes (1) en France. Il est membre du comité scientifique de notre programme La Fabrique participative pour l’avenir des villes moyennes. A ce double titre, il revient pour nous sur la géopolitique des territoires, la participation citoyenne et sa vision du modèle de développement des villes moyennes.

Missions Publiques : Comment la « géopolitique » des territoires influence-t-elle les décisions des exécutifs locaux ?

Jean Guiony : Dans la décentralisation, il y a un impensé concernant les villes moyennes. Le partage des compétences est tel qu’il existe des concurrences entre les centres-villes et les périphéries, et entre les villes centres et les périphéries. Vous avez des mécanismes de tiraillements voire de compétition parfois entre des collectivités qui peuvent s’exercer encore aujourd’hui avec des leviers fiscaux et fonciers : la fiscalité qu’un maire peut appliquer sur sa commune pour les ménages et les entreprises ; et le foncier, qui coûte moins cher, plus disponible en périphérie que dans la ville centre.

Je pense qu’une partie de la situation des entrées de villes françaises est dû à cet émiettement et cette compétition entre de très nombreux territoires où chacun-e essaie de tirer son épingle du jeu en accueillant une zone économique, une zone commerciale etc. Ce que nous avons observé sur les 222 villes moyennes du programme, c’est qu’elles sont globalement en suroffre de commerces si on regarde l’ensemble du bassin de chalandise, le grand territoire. Dans les années 80, 90, l’attractivité de tout, à tout prix, et n’importe où, était le seul modèle que l’on prônait.

Cela invite à penser les enjeux à une échelle interterritoriale. Avec Action cœur de ville, nous avons fait le pari que l’ensemble d’un territoire, celui du Département et même de la Région, serait revitalisé seulement si son agglomération polarisante et sa ville moyenne était elle-même revitalisée et que cette dernière le serait, à son tour, si son centre-ville bénéficiait d’une meilleure attractivité.

Missions Publiques : Comment alors traitez-vous les liens entre villes centres et périphéries dans le plan Action cœur de ville ?

Jean Guiony : Nous assumons depuis l’origine du programme ce fonctionnement en poupées russes et le fait que nous ayons un plan d’investissement public pour les centres-villes. C’est d’autant plus assumé que nous avons fait le constat, au travers de divers rapports administratifs et politiques, que les centres-villes – avec des situations extrêmement contrastées selon les villes – avaient souffert d’un grave manque d’investissement public et d’entretien ces dernières années. Le centre-ville est le lieu historique d’accumulation de toutes les formes de capitaux (social, économique, bâti, patrimonial…) et où se concentre le plus grand nombre de services. C’est donc le plus coûteux à entretenir.

Ensuite, la ville est obligée de définir son périmètre de centre-ville et son périmètre d’études. La première phase d’un plan Action cœur de ville – une phase de diagnostic et d’élaboration de projet qui dure entre quelques mois et deux ans – est portée sur l’ensemble de l’agglomération. A la deuxième phase en outre, la ville établit un plan d’actions qui porte le centre-ville lui-même mais aussi sur toutes les zones qui concourent à la revitalisation du centre-ville, comme le quartier de la gare par exemple. Pourquoi une définition plus large ? Parce qu’un centre-ville est amené parfois à muter, parce qu’il s’est déplacé ou parce qu’il se rétrécit (2). Il existe des collectivités qui possédaient un centre-ville avec un circuit marchand beaucoup trop large, avec trop de petits locaux commerciaux, ce qui correspond à une situation du 19e siècle. Aujourd’hui, certaines villes n’ont ni la chalandise ni les commerces et la priorité pour les revitaliser avec la même volumétrie, et la clef, pour croître à nouveau, est de réduire le centre-ville.

La stratégie Action cœur de ville est décidée par le maire de la ville centre et le président de l’agglomération. Elle est délibérée en conseil municipal et aussi dans le conseil communautaire. C’est donc un projet qui est porté par l’ensemble de l’agglomération. Un outil est venu s’ajouter : l’ORT, l’opération de revitalisation du territoire créée par la loi Elan (3). Il a permis de toucher certaines périphéries et les centralités dites secondaires avec des facilitations réglementaires : des défiscalisations dans l’ancien qui favorisent la réhabilitation plutôt que la construction neuve, un « permis d’aménager multisites ». Dans le périmètre de l’ORT, il n’y a pas d’autorisation d’exploitation commerciale nécessaire pour s’implanter mais, à l’extérieur de ce périmètre le préfet peut suspendre les exploitations commerciales…. Cet outil qui s’est déjà déployé dans la quasi-totalité des villes Action cœur de ville va nous permettre d’amener de la cohérence : un urbanisme commercial plus choisi que subi, et de résoudre une partie de ces « concurrences » entre centres-villes et périphéries.

Il ne faut pas nier non plus qu’en étant un plan de revitalisation des centres villes, nous sommes aussi un plan d’action contre l’étalement urbain. Et bien entendu, nous espérons tirer des financements y compris des promoteurs et des investisseurs vers de la réhabilitation en centre-ville même si les coûts sont encore plus importants que de la construction neuve en périphérie, nous créons des outils favorables à la réhabilitation (nouvelle exonération fiscale sur les travaux réalisés en réhabilitation depuis 2019). Enfin, il faut aussi acculturer les élu-e-s et les citoyen-ne-s, et c’est très largement le cas en ce moment, à cette culture de la réhabilitation, du recyclage urbain plébiscitée aujourd’hui avec la transition écologique.

Selon le dernier sondage IFOP – Action cœur de ville – Villes de France, 84% des Français souhaitent habiter dans une ville moyenne.

Missions Publiques : Quel est votre avis sur l’impact réel ou supposé de la crise sanitaire sur la migration des métropolitains vers les villes moyennes ?

Jean Guiony : Le désir des villes moyennes se ressent dans les intentions et dans le marché immobilier mais avec mesure. Selon le dernier sondage IFOP – Action cœur de ville – Villes de France, 84% des Français souhaitent habiter dans une ville moyenne (4). Y compris parmi la population généralement la plus rétive à ce type de territoire, c’est-à-dire les jeunes étudiants et les jeunes actifs, 36% aspirent à s’y installer. Ces chiffres sont en augmentation assez importante.

Par ailleurs, nous avons construit un baromètre de l’immobilier des villes moyennes avec le conseil supérieur des notaires de France : entre 2018 et 2019, les ventes ont augmenté de 8% dans les zones périphériques des villes moyennes et de 10% dans les villes centres. Le dynamisme des ventes (la vitesse de circulation des transactions) est plus important au sein des villes centres qu’au sein des villes périphériques. C’est un petit dynamisme même si les prix, eux, restent très faibles. Avec la crise sanitaire, un autre phénomène est venu impacter très fortement ce rapport centre-ville – périphérie, avec la crise Covid, c’est le regain d’intérêt pour les commerces de proximité y compris dans les pratiques. Nous nous attendons à une sinistralité très importante de commerces dans les mois à venir. C’est dommage car nous avions réussi à stabiliser la vacance commerciale autour de 13% dans les centres-villes des villes moyennes. S’il existe de la vacance commerciale en périphérie, les gros centres ont les reins plus solides pour traverser ce genre de crise. Avec les règles (confinement, couvre-feu), il y a eu un développement de la livraison à domicile et du drive qui sont des pratiques pour l’une périphérique et pour l’autre consommatrice d’énergie.

Nous avons recensé, dans 116 villes moyennes françaises, les mesures d’urgence qui ont été prise par les maires : 29% sont des mesures de subvention et d’aides financières pour les commerces (participation directe à des fonds de soutien locaux etc.), 26% des mesures d’exonération (annulation de loyer, redevance d’occupation du domaine public pour les restaurants etc.), 17% des mesures de numérisation… Il y a donc avec la Covid19 cet impact économique délétère d’un côté, et ce souhait de plus grandes aménités urbaines de l’autre, car les gens ont passé leur vie chez eux. Tout cela a contribué encore à ces aspirations à un cadre de vie agréable. Cela complique encore plus notre travail : cela rend attractif les villes moyennes et cela rend difficile les opérations de logements. Avec en face le modèle de « la maison avec jardin et vue sur la colline », il va falloir renforcer l’attractivité des bâtiments qui sont proposés dans le centre (prévoir énormément de lumière, des balcons), ce qui augmente le coût d’une opération.

Tous les leviers de participation sont des leviers de couture sociale pour éviter de nouvelles ruptures.

Missions Publiques : Que peut apporter une approche centrée sur les habitant-e-s comme nous le proposons à des dispositifs existants ? Comment y intégrer la participation citoyenne ?

Jean Guiony : C’est une échelle intéressante notamment pour les villes moyennes, car par rapport à l’échelle métropolitaine, vous avez une meilleure identification des élus locaux. Le lien entre la population et les élus locaux, pour peu que les ponts soient établis, est plus facile. Par ailleurs, ce sont des mailles de villes où le niveau de participation et de concertation citoyenne est encore très disparate. Pour les projets urbains, d’aménagement et de développement économique, on cherche à activer la participation de la société civile au sens large, citoyen-ne-s mais aussi tissu associatif. Nous considérons que c’est un axe transversal au même titre que la transition écologique (5). Il y aussi un contexte politique particulier depuis la crise des Gilets Jaunes. Parmi les revendications qui ont émergé de ce mouvement : un accès à une qualité urbaine, une amélioration de leur ville et de la centre-ville… Tous les leviers de participation sont des leviers de couture sociale pour éviter de nouvelles ruptures.

Sur le fond les maires sont convaincus par la nécessité de l’association des citoyen-n-es. Ils ont aussi parfois l’impression, et c’est légitime, qu’ils connaissent déjà leurs aspirations. Toute la question est donc de trouver une méthode qui soit à la fois utile aux pouvoirs politiques et effectives pour les citoyen-ne-s, une méthode d’activation de la décision. Dans certaines villes, des concertations ont été menées à l’échelle de la ville centre, ce qui correspond à un découpage électoral. Si l’on conçoit une ville par ses usagers, il faut dépasser ce cadre.

Missions Publiques : Quelle est votre vision concernant le modèle de développement des villes moyennes pour les 20 ans à venir ?

Jean Guiony : Il dépendra des stratégies qui seront retenues à la fois à l’échelle nationale et l’échelle régionale mais j’ai deux convictions très personnelles sur le sujet. Pour parler de façon très macro, la seconde partie du 20ème siècle a été un moment de croissance extensive inouï et immodéré du bâti : commerces, logements, touristique… pour les villes moyennes et leurs périphéries. Ma première conviction est donc que le 21ème siècle sera celui du recyclage de tout ce qui a été réalisé au 20e. Nous allons faire face à un nombre de friches absolument considérable là où aujourd’hui, elles sont considérées encore comme une verrue, un accident de parcours ou la fin d’une histoire industrielle…. Je pense que la friche, au sens d’un ensemble de bâtiments vacants, va devenir la dynamique normale d’un bâti en France. Le sujet numéro 1 de la revitalisation des territoires, pour les petites et moyennes villes, pour les centres anciens, est donc un sujet écologique : celui du traitement de ces friches et de sa vacance. On parle publiquement de ce phénomène de vacance commerciale depuis 8/10 ans, celui de la vacance de logements depuis une dizaine d’année également. Le traiter va demander des moyens financiers considérables. Selon les premières estimations réalisées en interne côté Etat, ce sont des montants de l’ordre des grandes politiques urbaines françaises.

Ma conviction est qu’à l’avenir, il va falloir organiser un équipement, un aménagement du territoire et des services publics qui tienne davantage compte des limites de la mobilité.

 

Ma deuxième conviction est un pari. Entre les années 1980 et 2010, vous avez 30 ans d’augmentation de la mobilité. C’est aussi 30 ans d’injonction à la mobilité : la question n’était pas tant d’équiper le territoire en services mais plutôt de rendre accessibles ces services et des emplois à la population pour que les citoyen-ne-s ne soient pas enfermé-e-s dans leur bassin d’emploi. Je pense qu’on va revenir de cette croyance, pourtant encore largement partagée. Cette ode au nomadisme se heurte à plusieurs réalités : le coût de la mobilité (comme l’ont montré les Gilets Jaunes) ; au fait que les mobilités sont aujourd’hui très largement subies (prenons par exemple la règle de Pole Emploi et la perte d’allocation après refus d’une offre répondant à ses qualifications dans un rayon de 30 km de son domicile ou bien accessible en moins d’une heure.). Il existe des gens qui veulent réussir ici et maintenant, là où ils sont. Enfin les mobilités résidentielles, qui sont encore majoritairement intra départementales, commencent à se tasser et se font de plus en plus proches (6). Il y a peut-être une prise de conscience de ce nouveau paradigme : nous devons aussi nous adapter à cette sédentarité. La DGFiP (Direction générale des finances publiques) a récemment lancé un plan de démétropolisation des services publics en relocalisant 66 antennes de la direction des finances publics, là où la dynamique était de les fermer depuis des années. 56 d’entre elles sont dans des villes Action cœur de ville ! Tout cela va avoir un impact fort sur les villes moyennes. Ma conviction est qu’à l’avenir, il va falloir organiser un équipement, un aménagement du territoire et des services publics qui tienne davantage compte des limites de la mobilité.

Pour aller plus loin :

(1) Le programme Action Cœur de Ville a été lancé en décembre 2017. Il est porté par l’ANCT, Agence nationale de la cohésion des territoires (qui a remplacé le CGET, le Commissariat général à l’égalité des territoires).
(2) Référence aux « shrinking cities », villes rétrécissantes en français, qui désigne des villes en déclin (pertes de population et d’activités et développement de la pauvreté urbaine).
(3) La loi Elan de 2018 porte évolution du logement, de l’aménagement et du numérique.
(4) Edition 2020 du Baromètre des territoires, enquête Ifop réalisée l’ANCT, Villes de France et la Banque des territoires.
(5) Le programme Action cœur de ville est construit autour de 5 axes : réhabilitation-restructuration de l’habitat en centre-ville ; développement économique et commercial équilibré ; accessibilité, mobilité et connexions ; mise en valeur de l’espace public et du patrimoine ; accès aux équipements et aux services publics.
(6) Les mobilités résidentielles en France, tendances et impacts territoriaux, rapport de l’Observatoire des territoires, 2018.

Crédit photo : ANCT

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