Marjan Horst Ehsassi est la directrice exécutive de la Fédération pour l’Innovation en Démocratie (FIDE) en Amérique du Nord. Spécialiste des innovations démocratiques, elle a étudié l’impact des assemblées citoyennes en France, en Belgique, au Canada et aux États-Unis.
Missions Publiques. Pouvez-vous nous parler de votre parcours et de ce qui vous a conduit au monde des assemblées citoyennes ?
Marjan Horst Ehsassi : Je suis arrivée dans le monde des assemblées citoyennes de manière assez indirecte. Pendant environ 15 ans, j’ai travaillé dans le développement international, en me concentrant sur les questions de gouvernance et d’État de droit, toujours à un niveau international. Après les élections de 2016, j’ai décidé de me recentrer sur les États-Unis et les déficits démocratiques persistants que nous rencontrons. Pour approfondir ces questions, je suis retournée à l’université pour entreprendre un doctorat.
Mon intérêt portait sur la raison pour laquelle les citoyens des démocraties occidentales, en particulier, sont si désengagés de leurs institutions politiques. La deuxième partie de mes recherches visait à découvrir si des plateformes existent qui, une fois investies par les citoyens, pourraient encourager une plus grande participation à la vie politique ou à la démocratie en général. Grâce à cette recherche, j’ai découvert la démocratie délibérative et les assemblées citoyennes, juste au moment où Emmanuel Macron lançait la première Convention Citoyenne pour le Climat en France. J’ai rejoint la recherche vers la fin de ce projet, menant des enquêtes et interviewant des participants, des facilitateurs, des défenseurs et des représentants du gouvernement.
Missions Publiques. Votre livre « Activated Citizenship: The Transformative Power of Citizens’ Assemblies(1) » explore les enseignements tirés de plusieurs études de cas sur les assemblées citoyennes dans le monde.
Mon livre examine quatre études de cas d’assemblées citoyennes, chacune avec une approche et un contexte uniques. Un de mes principaux objectifs était de comprendre les différents impacts de ces assemblées sur les expériences et l’engagement des citoyens. Pour cela, j’ai défini cinq variables :
- Croissance épistémique (ou apprentissage),
- Connexion (le sentiment d’appartenance à une communauté),
- Effervescence (l’enthousiasme pour la démocratie),
- Engagement politique,
- Voix conséquente (le sentiment d’avoir un impact).
Un concept central dans mon travail est l’“insécurité de la voix”. Cela reflète l’impuissance que ressentent de nombreux citoyens lorsqu’ils doutent que leur voix puisse faire une différence significative. Je considère cette insécurité comme une des principales raisons du désengagement et de la désillusion envers la démocratie. Les assemblées citoyennes peuvent remédier à ce problème en offrant aux citoyens une voix conséquente, en leur montrant que leurs contributions comptent et sont valorisées.
Ce qui m’a également frappée en comparant ces cas, c’est à quel point la conception et la mise en œuvre des assemblées influencent leurs résultats. De petites décisions – comme la façon dont les contenus éducatifs sont présentés, qu’ils soient délivrés par un seul intervenant ou par un panel diversifié – peuvent considérablement affecter le niveau d’engagement et de satisfaction des participants. La présence de représentants du gouvernement, par exemple, lorsqu’elle est équilibrée et mesurée, peut influencer la perception qu’ont les participants de la valeur de leur participation. Ces détails, apparemment mineurs, peuvent rendre l’expérience beaucoup plus marquante pour les participants et amplifier l’impact global de l’assemblée.
"Je pense que le défi des quatre prochaines années sera double : protéger les institutions démocratiques contre les tendances autoritaires tout en renouvelant notre vision de la démocratie.
Marjan Horst Ehsassi
Directrice exécutive de la Fédération pour l’Innovation en Démocratie en Amérique du Nord
Missions Publiques. Vous proposez un « plan pour un citoyen activé » afin de maximiser l’impact des assemblées citoyennes.
Marjan Horst Ehsassi : Je propose dix recommandations clés. La première est de mener des évaluations rigoureuses des assemblées citoyennes. Cela implique d’encourager une critique constructive, c’est-à-dire de reconnaître les imperfections des processus et de s’engager dans des discussions honnêtes sur ce qui a fonctionné et ce qui n’a pas fonctionné. Cette approche permet des évaluations approfondies et des améliorations continues.
Ensuite, je recommande d’établir des structures de gouvernance, de supervision et d’indépendance pour garantir la gestion des preuves et la transparence des processus. Améliorer la formation des facilitateurs est également essentiel, en fournissant des ressources et plus de rigueur pour former des modérateurs capables de gérer efficacement les discussions et de garantir une participation équitable. De plus, produire des rapports exploitables en limitant le nombre de propositions et en fournissant des justifications réfléchies pour chacune est crucial. Cela aide à traduire les résultats en actions concrètes.
D’autres mesures visent à informer le grand public, à encourager une coresponsabilité et à reconnaître le devoir des gouvernements de promouvoir une citoyenneté informée.
Missions Publiques. Quel est votre point de vue sur l’évolution de la participation publique aux États-Unis, en particulier à la lumière des récents événements politiques ?
Marjan Horst Ehsassi : Le concept de participation publique varie beaucoup entre les États-Unis et d’autres pays. Des termes comme “innovations démocratiques” ne résonnent pas ici comme en Europe. Aux États-Unis, on parle plutôt de “contact avec les électeurs” ou de “mobilisation citoyenne”.
Au départ, je souhaitais voir plus d’assemblées citoyennes à tous les niveaux – local, étatique et national. Mais j’ai vite réalisé qu’il y avait un besoin plus large en matière de communication. Ce n’est pas tant une question des assemblées elles-mêmes, mais plutôt d’un changement dans notre compréhension de la démocratie et du rôle du gouvernement entre les élections. Sans une conversation plus large sur la culture démocratique, il est difficile d’intégrer ces pratiques de manière significative.
Nous assistons à une évolution. Ce changement continuera probablement à se développer au niveau local, où il y a une plus grande ouverture à l’expérimentation de nouvelles formes démocratiques. Les dirigeants locaux – maires, gestionnaires de ville, membres du conseil – ressentent souvent que les méthodes traditionnelles de participation, comme les consultations publiques, ne fonctionnent plus. Ces méthodes impliquent généralement les mêmes “habitués”, ce qui conduit à des résultats répétitifs et polarisés. En conséquence, de plus en plus de villes souhaitent essayer quelque chose de nouveau, même si cela prend du temps pour cultiver ces concepts.
Mon espoir est que ces initiatives locales soutiennent également un mouvement national, peut-être quelque chose de semblable au mouvement G1000 en Belgique, où les efforts de base créent un élan collectif pour une démocratie plus inclusive.
Missions Publiques. Quels sont les défis à venir pour la démocratie aux États-Unis ?
Marjan Horst Ehsassi : Je pense que le défi des quatre prochaines années sera double : protéger les institutions démocratiques contre les tendances autoritaires tout en renouvelant notre vision de la démocratie.
Nous devons offrir aux Américains une vision de la réforme démocratique institutionnelle qui fonctionne pour eux. Parler de “sauver la démocratie” sans aborder la désillusion et les frustrations profondes des citoyens ne suffira pas. Tenir ces deux objectifs – protection et renouveau – simultanément sera essentiel pour l’avenir.
