Avec leur nouveau projet documentaire Démocratie Maintenant ! les journalistes-réalisateurs Paloma Moritz et Cyril Dion tirent la sonnette d’alarme : si nos sociétés peinent à répondre à l’urgence climatique, c’est d’abord parce que nos démocraties s’essoufflent. Face à la montée des autocraties, à la défiance citoyenne et à la diffusion massive de « vérités alternatives », ils défendent des formes démocratiques plus ouvertes, plus délibératives et plus efficaces. Leur ambition : montrer qu’une autre manière de décider est possible – et qu’elle pourrait bien changer la donne. Rencontre.
Missions Publiques. Quel est le point de départ, l’urgence ou l’intuition qui a déclenché ce projet de film « Démocratie Maintenant! *» ? Quel diagnostic posez-vous sur l’état de la démocratie en France et dans le monde ? Quelles tendances vous paraissent les plus préoccupantes ?
Paloma Moritz et Cyril Dion. Nous sommes tous les deux passionnés de questions démocratiques et écologiques depuis longtemps. Or il nous semble de plus en plus évident que les deux sujets vont de pair. Que si nos gouvernements n’ont pas apporté de réponses à la hauteur des enjeux face au dérèglement climatique par exemple, c’est avant tout pour des questions de faiblesse (ou de défaillance) de nos démocraties représentatives. En 2014, une étude de Gilens et Page s’intéressait à « qui a vraiment le pouvoir ? » aux Etats-Unis. Après avoir passé en revue des milliers de décisions politiques pendant une décennie, leur réponse était sans appel : les citoyen.nes moyen.nes ont très peu d’impact sur les politiques publiques. L’essentiel de cet impact vient des 10% les plus riches de l’élite économique. Face à un enjeu tel que le climat, une partie de cette élite économique a pesé de tout son poids pour retarder l’action des gouvernements. Notamment en semant le doute sur la réalité du phénomène, sa gravité, ou la responsabilité des humains. Cette stratégie qui consiste à organiser la confusion continue à s’exercer aujourd’hui et est même amplifiée par une capacité démultipliée à propager des « vérités alternatives » avec l’IA, les réseaux sociaux et plus généralement tous les espaces numériques algorithmés. Or, dans une démocratie, si on ne peut pas se mettre d’accord sur le problème, on ne peut pas s’accorder sur les solutions.
L’autre point de départ de ce documentaire, c’est que la démocratie recule dans le monde et nous avons envie de croire que ce n’est pas une fatalité. D’après le rapport Freedom in the World 2025, la liberté dans le monde (les libertés civiles et droits politiques) a reculé pour la dix-neuvième année consécutive en 2024. Le rapport annuel 2025 publié par l’institut V-Dem révèle que, pour la première fois depuis plus de deux décennies, il y a plus de régimes autocratiques que de démocraties dans le monde ! Il y a 20 ans, plus de la moitié des habitants de la planète (51%) vivait dans un régime démocratique. Aujourd’hui, ils ne sont plus que 28%, contre 72% de la population qui vit désormais dans des autocraties…
Missions Publiques. Que souhaitez-vous montrer ou révéler que l’on ne verrait pas assez aujourd’hui dans les récits médiatiques sur la démocratie ? Quelles formes démocratiques émergentes sont à vos yeux particulièrement porteuses ?
Paloma Moritz et Cyril Dion. Nous voulons montrer ce dont nous avons été témoins, notamment pendant la Convention Citoyenne pour le Climat : d’autres façons de pratiquer la démocratie existent et sont souvent plus efficaces pour faire face à des problèmes complexes. Limiter la démocratie à la représentation par le vote n’est pas sérieux au XXIème siècle. Notre façon de pratiquer la démocratie est en décalage total avec l’évolution de nos sociétés. C’est une peu comme si nous nous éclairions à la bougie alors qu’il suffirait d’appuyer sur un interrupteur pour allumer la lumière. Nous avons besoin d’innovations. À ce titre, le tirage au sort, la délibération, la démocratie directe, les modes de scrutins alternatifs comme le jugement majoritaire, sont autant d’outils dont nous pouvons nous saisir pour permettre à une majorité de citoyen.nes de contribuer concrètement aux décisions qui auront un impact sur leur vie.
Missions Publiques. Comment la participation citoyenne peut-elle, selon vous, retrouver une légitimité et un impact réels sur les décisions publiques ? (Et est-ce qu’elle le peut…)
Paloma Moritz et Cyril Dion. Oui elle le peut, mais pour cela, il est indispensable que la participation citoyenne ne soit plus seulement consultative, comme cela est encore trop souvent le cas. On s’est gargarisé de « démocratie participative » pendant des années en demandant leur « avis » aux gens sans en tenir compte ensuite. L’exemple du Grand débat, des cahiers de doléances en est une illustration récente et criante. Au lieu de renforcer la confiance et la volonté de participer cela a bien souvent aggravé le sentiment de défiance à l’égard des élus. Nous pensons que des processus, comme les assemblées citoyennes tirées au sort par exemple, doivent participer à construire de la décision publique. Soit en étant suivie par des référendums comme cela a été fait en Irlande pour changer la constitution, soit en mettant en place des assemblées de co-décision entre citoyen.nes et élus comme à Rennes, Clermont-Ferrand, l’Ile Saint-Denis. Ce qui demande aux élus de partager un peu de leurs prérogatives et de faire confiance aux citoyen.nes.
Missions Publiques. Quel rôle peuvent jouer les médias – dont vous faites partie – dans le renouvellement démocratique ?
Paloma Moritz et Cyril Dion. Les médias ont un d’abord rôle central pour faire savoir que ces innovations démocratiques existent ! Pour ouvrir de nouveaux imaginaires. Très peu de personnes ont même l’idée que d’autres façons de voter, de prendre des décisions collectivement peuvent exister.
Ils sont ensuite cruciaux (et là nous pensons à la presse) pour permettre d’élargir les processus à l’ensemble de la population. Par exemple, dans le cas d’assemblée citoyenne tirées au sort, il est fondamental que les personnes concernées par les délibérations puissent les suivre soit en direct sur YouTube (ce qui était le cas des conventions irlandaises ou françaises), soit dans la presse, pour que le débat ait lieu aussi dans l’ensemble de la société. Et que cela prépare chacun.e à participer ensuite à la décision dans le cas de référendum.
De façon plus générale, les médias doivent nous aider à nous mettre d’accord sur les faits, à les objectiver, pour nous permettre un avis éclairé sur les grands enjeux que nous traversons. Ce n’est pas vraiment le cas aujourd’hui…
"On aimerait qu’un maximum de personnes réalisent que nous sommes une immense majorité à avoir tout à gagner à vivre dans de véritables démocraties, où l’urgence écologique est enfin prise au sérieux et les immenses inégalités combattues
© Crédit photo : Romuald Augé pour Sud-Ouest.
Paloma Moritz et Cyril Dion
Journalistes et réalisateurs
Missions Publiques. Pourquoi est-il indispensable, selon vous, d’articuler démocratie et transition écologique ?
Paloma Moritz et Cyril Dion. Il y a un lien extrêmement étroit entre démocratie et écologie. Des études montrent que plus la qualité démocratique est forte dans un pays, plus la question écologique est traitée sérieusement. C’est le cas notamment dans les pays scandinaves. Et inversement, moins la qualité démocratique est importante et plus le traitement des enjeux écologiques est déplorable : on peut le voir aux États-Unis et en Argentine aujourd’hui. On a pu le voir au Brésil pendant le mandat de Jair Bolsonaro. Et ces politiques anti-écologiques et anti-démocratiques ont des impacts très concrets sur les vies humaines. Une analyse récente du Guardian, a montré par exemple, que les gaz à effet de serre supplémentaires émis au cours des 10 prochaines années en raison des politiques anti-climatiques menée par Trump devraient entraîner jusqu’à 1,3 million de décès supplémentaires, liés à la chaleur, dans le monde…
Nous sommes convaincus que nous ne parviendrons pas à sauver les conditions d’habitabilité de cette planète sans sauver la démocratie et la réinventer, pour toutes les raisons évoquées précédemment.
Missions Publiques. L’écologie impose des transformations parfois perçues comme contraignantes. Comment concilier ces contraintes avec un processus démocratique inclusif et légitime ?
Paloma Moritz et Cyril Dion. Les processus délibératifs où toutes les parties prenantes de la société sont représentées, sont justement les plus adaptés pour faire dialoguer des intérêts contradictoires ! Nous l’avons vu avec la Convention Citoyenne pour le Climat. Personne n’a envie qu’on lui impose des contraintes de force. En revanche, l’immense majorité des gens est prête à réfléchir pour trouver des solutions acceptables par tou.stes. Et puis réfléchir à des réponses adaptées à un problème avec les premiers concernés, en repartant du concret, de la vie de tous les jours, c’est souvent plus efficace. Entrer dans cette complexité, mettre en mouvement cette intelligence collective, est impossible avec la démocratie représentative telle que nous la pratiquons aujourd’hui.
Ce sont ces processus de démocratie délibérative qui permettent justement de penser des solutions écologiques qui sont justes socialement et bien plus acceptables puisqu’elles garantissent un mieux-être (réduction de la pollution de l’air, chèque alimentation, alternatives à la voiture pour se déplacer).
Il est important de rappeler que les mesures écologiques ont par principe vocation à protéger la population, à lui permettre de vivre dans un environnement plus sain, d’être en bonne santé, de mieux se nourrir, se loger… Mais aussi se préparer aux chocs présents et à venir.
Missions Publiques. On observe une montée simultanée de l’ecology bashing et du democracy bashing : d’un côté, la contestation ou la caricature des enjeux écologiques ; de l’autre, la remise en cause de la légitimité des processus démocratiques (démocratie représentative). Comment analysez-vous ce double rejet est ce que vous pensez que ces formes de discrédit se renforcent mutuellement ?
Paloma Moritz et Cyril Dion. Le lien entre les deux phénomènes est réel. C’est parce que de plus en plus de personnes se sentent ignorées, délaissées, méprisées, brutalisées par le pouvoir politique, qu’elles se tournent aujourd’hui vers l’extrême-droite, comme une façon de renverser la table et d’essayer la seule formation politique d’envergure qui n’a jamais été au pouvoir. Or l’extrême-droite instrumentalise l’écologie pour des raisons électoraliste et alimente l’écologie bashing. Les difficultés des agriculteurs, des francais.es seraient toutes liées à la folie doctrinaire des écolos. Mais ce qu’ont montré les recherches en sciences sociales, c’est que le backlash écologique est surtout politique et non citoyen. En Europe et en France, une majorité des citoyens sont toujours inquiets de la situation climatique et en faveur d’une politique plus ambitieuse à condition qu’elle ne mette pas en danger leur sécurité économique. De plus en plus d’études scientifiques montre qu’une majorité écrasante de personnes dans le monde, entre 80 et 89%, veulent que leurs gouvernements prennent des mesures plus fortes en matière de climat. La plupart de ces personnes ne savent pas qu’elles sont majoritaires.
Avec ce film, nous voulons ouvrir de nouvelles perspectives : plutôt que de se tourner vers l’extrême droite pour être entendus, il est possible de changer les règles du jeu démocratique…
Missions Publiques. Quels imaginaires souhaitez-vous contribuer à nourrir avec ce documentaire ?
Paloma Moritz et Cyril Dion. Nous adorerions que les spectatrices et spectateurs sortent en se disant qu’une autre démocratie est possible, un monde dans lequel le peuple a réellement du pouvoir, comme le chante Patti Smith dans le teaser du film (et nous l’espérons dans le film lui-même). Que chacun.e se dise qu’il a le pouvoir à son échelle, de résister, de recréer du lien dans son quartier, son immeuble, de faire entendre sa voix, de s’opposer à des projets destructeurs… De faire valoir chaque jour ses droits et ses libertés ! On aimerait qu’un maximum de personnes réalisent que nous sommes une immense majorité à avoir tout à gagner à vivre dans de véritables démocraties, où l’urgence écologique est enfin prise au sérieux et les immenses inégalités combattues. Où chacun.e de nous est consulté.e, respecté.e et où nous pouvons vivre dignement.
| *** Soutenir le film « Démocratie maintenant ! »
Paloma et Cyril ont initié une campagne de financement participatif pour le film. L’objectif est de lancer le documentaire pendant la campagne présidentielle de 2027, pour peser sur les débats, les programmes des candidates et candidats, et lancer un vaste mouvement pour plus de démocratie. Pour soutenir le projet, vous avez jusqu’à fin décembre et c’est ici : https://fr.ulule.com/democratie-maintenant/ |






