« Les citoyens savent gérer la complexité »

Hendrik Van de Velde est un diplomate de carrière. Dans le cadre de la présidence belge du conseil de l’Union européenne, il s’est fortement impliqué dans l’organisation d’un panel citoyen sur l’intelligence artificielle. Marqué par l’expérience de la Conférence sur l’avenir de l’Europe, il partage sa vision de la démocratie participative.

Missions Publiques. Vous avez été ambassadeur en Jordanie et en Irak, et avez travaillé comme diplomate à Jérusalem et à l’OSCE (l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe). Vous venez d’être nommé ambassadeur en Turquie… Quel a été votre rôle pendant la présidence belge du Conseil de l’Union européenne ?

Hendrik Van de Velde. J’ai en effet 26 ans d’expérience au sein du ministère belge des Affaires étrangères et du service européen pour l’action extérieure. J’ai particulièrement travaillé les questions des droits de l’Homme, de la démocratie et de la géopolitique. Il y a 3 ans, j’ai été rappelé pour coordonner les préparatifs de la présidence belge du Conseil de l’Union européenne. En tant que représentant belge, j’ai participé à la Conférence sur le futur de l’Europe (CoFoE) entre mai 2021 et mai 2022. A l’époque, le principal défi était de susciter l’intérêt et la confiance des États membres et des citoyens dans un contexte politique complexe et très peu porteur. Même si la structure générale, les relations interinstitutionnelles et la gouvernance de la Conférence étaient assez lourdes (la déclaration commune a également généré quelques frustrations), nous décidons de lancer une Conférence nationale sur l’avenir de l’Europe, comme chaque Etat membre était encouragé à le faire. Voilà comment j’ai découvert le processus du tirage au sort, la délibération citoyenne etc.

 

Missions Publiques. L’expérience de la Conférence belge sur le futur de l’Europe vous a donc suffisamment convaincu pour organiser un panel citoyen cette année.

Hendrik Van de Velde. Oui tout à fait. Par ailleurs, la Belgique est un des pays les plus actifs en matière de démarches participatives et de panels citoyens, ce qui a facilité la proposition de cette initiative. J’ai, également, été agréablement surpris par l’innovation et l’engagement des Panels citoyens organisés par la Commission européenne depuis la Conférence(1). Pendant notre conférence nationale, j’ai été surpris par des citoyens qui ont eu le temps de dialoguer, d’écouter des positions opposées, de changer d’avis, de progresser dans la connaissance d’un sujet et de développer des points de vue complexes. C’est avec tous ces ingrédients nous souhaitions mettre en place un panel citoyen dans le cadre de la présidence belge du Conseil. Enfin et de manière pragmatique, nous avions un budget dédié à la communication. Or le coût d’une campagne de communication est équivalent à celui d’un panel ; il est souvent même plus cher et on est plus au moins satisfaits des retours. Impliquer les citoyens me semblait être une dimension plus intéressante à creuser qu’une énième campagne de communication sur l’Europe.

"Débattre, ce n’est pas répondre oui ou non à une question simple en mode référendum.

Hendrik Van de Velde

Diplomate

Missions publiques. Autre pari : organiser un panel sur le sujet de l’intelligence artificielle. Pourquoi ce choix ?

Hendrik Van de Velde. Aucun sujet n’est simple. Si je résume, nous avions le choix entre un sujet législatif majeur (ce que fait l’Union européenne, les politiques publiques) ou un sujet international (qui concerne les Etats ou la diplomatie), plutôt dans mon domaine. Nous avons hésité. Doit-on débattre de la question de l’élargissement ? De l’Ukraine ? Quelles sont les conséquences pour l’Europe ? Dans le cas d’une présidence, on aurait pu imaginer un processus dans les Balkans avec des citoyens ukrainiens. C’est passionnant mais le chantier paraissait trop grand pour le faire porter par la Belgique seule. Nous nous sommes donc entendus sur l’autre volet et avons choisi à l’automne le sujet de l’intelligence artificielle en raison de son importance pour l’Europe, et de l’intérêt croissant des citoyens à son égard. Un Panel européen sur les mondes virtuels a été organisé par la Commission européenne et le sujet est arrivé sur le devant de la scène politique. Récemment, les 27 pays de l’Union européenne ont trouvé un accord au sein du Conseil de l’UE sur le texte final de l’AI Act, qui vise à réglementer les utilisations risquées de l’intelligence artificielle. Quelle est la vision d’un panel citoyen belge diversifié sur l’évolution et le développement de l’intelligence artificielle en Europe ? Quels sont les risques et opportunités de ces technologies dans notre société ? Qu’est-ce que les acteurs européens (politiques et privés) devraient privilégier au cours des cinq prochaines années pour répondre aux enjeux actuels et futurs ? Voilà les questions que nous souhaitions mettre en discussion avec les citoyens belges.

 

Missions Publiques. Comment s’est déroulé ce Panel citoyen et que retenez-vous de cette démarche qui s’achève ?

Hendrik Van de Velde. 60 citoyens ont été tirés au sort et se sont réunis pendant 3 week-ends. Une douzaine d’experts sont intervenus au fil des sessions (universitaires, acteurs du numérique, scientifiques…) pour accompagner le Panel. La démarche s’est bien déroulée, avec une participation active des citoyens qui ont livré des recommandations mais surtout une vision globale de l’intelligence artificielle et des messages clés à destination de l’Union européenne. Ils ont décrit leur crainte légitime (données, monopole etc.) et les potentialités de l’IA dans le domaine du travail ou de la santé. Ils ont aussi décelé dans l’IA un levier potentiel pour le développement de nouvelles compétences et dans la lutte contre le réchauffement climatique. C’est un avis solide avec des pistes de travail pour les responsables politiques. C’est la preuve que les citoyens savent gérer la complexité et la contradiction. Débattre, ce n’est pas répondre oui ou non à une question simple en mode référendum. Délibérer permet la nuance, et ce, en partie grâce à la modération du processus. La démocratie participative a un fort potentiel en Belgique, mais sa pérennité dépendra de la manière dont les recommandations des panels seront prises en compte dans le processus politique et législatif.

Lire le rapport citoyen sur l’IA.


(1)Depuis la fin de la Conférence sur l’avenir de l’Europe, la Commission européenne a organisé plusieurs Panels citoyens (150 citoyens des 27 pays de l’UE tirés au sort, réunis pendant 3 week-ends) sur des sujets divers : mondes virtuels, gaspillage alimentaire, efficacité énergétique, lutte contre la haine…
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