« Le plus beau défi, c’est l’accompagnement d’une transformation culturelle des institutions publiques »

Longueuil se situe sur la rive sud du fleuve Saint-Laurent, face à Montréal au Québec. Il y a deux ans, la ville créait un office de la participation publique, organe indépendant qui peut être saisi par le conseil municipal pour mettre en œuvre des démarches de concertation. Nous avons rencontré sa présidente Julie Caron-Malenfant.

Missions Publiques. Votre « rencontre » avec la participation s’est faite au Mexique. Racontez-nous ce que vous faisiez à l’époque.

Julie Caron-Malenfant. A la fin de mes études, j’ai travaillé au Mexique pour un organisme qui faisait de « la planification participative ». Nous allions à la rencontre des populations locales pour que ces dernières s’expriment sur leur compréhension du territoire, leurs besoins et les risques. Comme nous rencontrions des personnes dont l’espagnol n’était parfois pas la langue maternelle, nous avions développé des approches de participation accessibles à tous faisant appel au récit oral et au dessin et mis en place des boucles de rétroaction – on retournait voir les populations locales pour valider notre compréhension de leurs besoins -. Partout dans le monde comme au Québec, les enjeux de littéracie sont importants.

Cette première incursion dans la participation m’a donné envie de poursuivre sur cette voie au Québec. Au début des années 2000, le marché de la consultation et de la participation publique n’existait pas vraiment. Les approches de concertation dans l’espace public étaient moins ouvertes. Des acteurs très qualifiés ou des élites représentaient différents groupes d’intérêt, mais la population n’en faisait pas partie. La société civile non organisée n’avait pas de voix. Les approches déployées étaient souvent orientées vers la relation publique, la communication, le discours « on vous informe pour vous convaincre » et il y avait peu de place à l’expression d’inquiétude mais aussi à la discussion. À l’époque il y avait plusieurs projets de développement urbain qui faisaient controverses (comme le développement du Casino de Montréal) ; il y avait une forte opposition, pas ou peu d’écoute et aucun véhicule pour que les gens partagent leur préoccupation parce que les équipes n’étaient pas préparées à ça. En bref, c’était moins bien structuré.

Après avoir travaillé à mon compte j’ai rencontré l’équipe de l’Institut du Nouveau Monde qui se faisait approcher par des pouvoirs publics, des municipalités et des ministères pour les accompagner dans l’organisation de dialogues avec la population. C’est à partir de cette époque que l’INM a choisi de s’orienter vers l’accompagnement des pouvoirs publics dans l’objectif de renforcer nos institutions démocratiques et de servir le bien commun et l’intérêt collectif.

Ce que j’ai réalisé, c’est que le travail de la consultation publique était la pointe de l’iceberg du travail à accomplir. Le plus gros du travail c’était, et c’est encore, l’accompagnement d’une transformation culturelle dans ces institutions publiques. Quand on m’a offert de « traverser le pont » pour piloter la création de l’Office de participation publique de Longueuil, je n’ai pas hésité car j’y ai vu l’opportunité de de créer une innovation dans le milieu municipal et d’avoir un impact systémique.

 

Missions Publiques. Comment analysez-vous la situation québécoise au regard d’un contexte ambigu, avec d’un côté une polarisation accrue des débats publics et d’un autre, une volonté des citoyennes et citoyens de participer à la décision publique.

Julie Caron-Malenfant. C’est une vaste question qui peut être prise sous plusieurs angles. Il y a en effet une demande citoyenne et de l’intérêt à participer à la chose publique, presque autant qu’on observe un cynisme de plus en plus présent par rapport à nos dirigeants et aux institutions publiques. Ces contradictions touchent aussi la participation publique.

Nous sommes dans une ère où l’accès à l’information se démocratise. En quelques clics, on peut s’exprimer sur n’importe quel forum et les outils technologiques facilitent cet accès. Dans le même temps, le tout est noyé dans une masse d’informations qui n’invitent pas à la discussion ou au débat. Au Canada, malgré ces interactions plus nombreuses en ligne, le sentiment d’isolement augmente.

En ce qui concerne la participation publique, on ressent ce besoin de dialogue mais il faut stimuler les citoyens, les rassurer et les persuader que leur participation exercera une réelle influence. A ce titre, l’instrumentalisation de la participation me semble être un réel danger pour son développement. La multiplication des dispositifs ne signifie pas qu’ils sont bien menés, que les résultants sont concluants ou qu’ils sont destinés à influencer les pouvoirs publics. Au Québec, ce sont en principe des décideurs qui lancent l’idée d’une consultation. Sans faire de procès d’intention, on retrouve aussi des contradictions chez les décideurs qui ne souhaitent pas toujours être « influencés ». Le risque d’instrumentalisation peut se traduire par des consultations bâclées, des rapports non publiés ou des consultations en marge des processus décisionnels. La consultation devient une case à cocher et ne devient pas un intrant dans la prise de décision. C’est pour cette raison que des outils comme les Offices forcent un peu la prise en compte des résultats.

"C’est au local que les élus municipaux se retrouvent confrontés au racisme, aux inégalités, à des problèmes de santé publique, mentale etc. Et sans le dialogue, nous aurons du mal à trouver des solutions à tout cela.

Julie Caron-Malenfant

Présidente de l’office de la participation publique de Longueuil

Missions Publiques. Les Offices au Québec sont des organes indépendants agissant sur le mandat d’élu, un peu comme la CNDP en France. Quelles sont vos marges de manœuvre ?

Julie Caron-Malenfant. La ville de Longueuil s’est inspirée du Bureau d’audience publiques sur l’environnement (BAPE) créé il y a 45 ans au niveau provincial et qui a inspiré l’Office de consultation publique de Montréal (OCPM) il y a 22 ans, et notre office il y a deux ans. C’est une innovation, mais pour être franche, il n’y a pas tant d’élus qui ont l’audace d’accepter de jouer le jeu de la participation jusqu’au bout. L’Office est constitué par la charte de la Ville et peut recevoir mandat du conseil municipal ou du comité exécutif. Il y a aussi une possibilité de saisine par des arrondissements de Longueuil qui en font la demande via le Conseil, et enfin il y a le Conseil d’agglomération. La marge de manœuvre que nous avons est dans la conception des démarches qu’on met en place pour répondre au mandat. Hormis le respect de la bonne gestion des fonds publics, on a la liberté de faire les choix méthodologiques qu’on estime appropriés pour aller chercher une participation publique la plus large possible.

Une des particularités de Montréal, que la population pourrait souhaiter voire exister à Longueuil, c’est le droit d’initiative citoyenne, qui sous certaines conditions, permet de mettre à l’agenda du Conseil municipal un enjeu, qui peut ensuite faire l’objet d’un mandat de l’OCPM. Une des particularités de Longueuil, c’est que nous sommes un office de participation publique et non pas de consultation. J’ai souhaité que l’éventail des possibilités de l’office soit élargi pour nous permettre d’explorer au-delà de la commission consultative qui peut être intimidante, avec un décorum, des commissaires, des citoyens qui défilent au micro.

Pour vous donner un exemple du potentiel qu’offre l’appellation participation publique : le premier mandat qu’on a reçu portait sur l’augmentation des vols de l’aéroport Montréal St Hubert, quelque chose de très particulier parce que la ville n’a pas de juridiction sur les questions aéroportuaires et la gestion de l’aéroport est déléguée par le gouvernement fédéral à une OBNL privé qui n’a pas, par exemple, d’obligation de reddition de compte publique. Nous arrivons dans un contexte tendu où un député avait déjà organisé une commission consultative. Au-delà de l’enjeu du développement d’un potentiel aérogare dont il était question dans l’espace public mais pour lequel aucune étude ni plan n’était disponible, c’est bien la nuisance que cause l’augmentation des vols qui vient alimenter le débat. Nous avons donc circonscrit l’objet du mandat à ce que nous pouvions documenter et mis en place plusieurs moyens de participation : commande d’un sondage, questionnaire en ligne (avec une analyse comparée) et constitution d’un jury citoyen avec une représentativité géographique.

 

Missions Publiques. Aborder des questions sociétales dans des espaces de concertation fait partie de vos objectifs. Comment appréhendez-vous l’évolution des sujets de la participation publique au Québec ?

Julie Caron-Malenfant. Tous les sujets sont dignes d’une discussion dans la mesure où ça intéresse les gens. Il y a évidemment des sujets qui sont toujours présents car ils font partis de pratiques établies et découlent d’obligations légales mais ça ne veut pas dire qu’on doit se limiter à ça. Au contraire ! Les sujets qui nous amènent à rêver à un monde meilleur et non pas à réagir à un projet qui va venir perturber notre quotidien sont très porteurs de sens.

Aujourd’hui, il y a un renouveau d’élus municipaux et un regain d’intérêt pour ouvrir la discussion davantage. La classe politique rajeunit et montre un appétit, une ouverture et une envie de mettre la population à profit pour aborder des enjeux complexes : intersectionnalité, justice climatique, inégalités… beaucoup se recoupent, les traiter de manière isolée n’est pas efficace. L’échelon municipal est pour moi crucial, c’est là où nous pouvons avoir le plus grand impact. C’est au local que les élus municipaux se retrouvent confrontés au racisme, aux inégalités, à des problèmes de santé publique, mentale etc. Et sans le dialogue, nous aurons du mal à trouver des solutions à tout cela. C’est pourquoi l’Office existe !

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