La couverture médiatique du rapport de la Convention citoyenne sur les temps de l’enfant met essentiellement en lumière les propositions concernant les rythmes scolaires. Sans surprise, c’est l’école qui cristallise l’attention réduisant parfois la perception du public et l’ampleur réelle de la démarche. Certains médias rappellent à raison les conclusions similaires issues du rapport d’orientation sur les rythmes scolaires il y a…15 ans.
2011, 2025, même combat ? Oui et non.
Les préconisation et propositions des deux rapports s’appuient sur les constats portés depuis plusieurs décennies par la chronobiologie et les neurosciences : les enfants ont des journées trop denses à l’école qui ne respectent pas leurs rythmes biologiques. Résultat : une surcharge et des répercussions sur leur concentration et leur santé. En 2025, nos enfants sont toujours fatigués et la France est toujours un des pays d’Europe où les journées d’instruction obligatoire sont les plus longues (en volume d’heures) sur une des années scolaires les plus courtes.
Le rapport de 2011 posait les bases d’une prise de conscience : et si on adaptait l’école à l’enfant et non l’inverse ? Il a constitué un jalon important dans la réflexion sur les rythmes scolaires et proposait des principes d’organisation plus respectueux des rythmes biologiques des enfants. C’est portés par cette même ambition que les experts d’hier comme les citoyens d’aujourd’hui proposaient et proposent une répartition plus équilibrée de la semaine, une limitation de la durée quotidienne d’enseignement, une pause méridienne qualitative, une année scolaire mieux distribuée, des activités périscolaires diverses plus nombreuses, une meilleure coordination (et reconnaissance) des acteurs de l’enfance sur le terrain etc.
Alors qu’est-ce qui a changé ?
Le rapport de 2011 est issu d’un travail d’experts. Pour rappel, la Conférence nationale sur les rythmes scolaires était pilotée par un comité composé d’experts académiques (chronobiologie, psychologie, sociologie), d’institutionnels de l’Education nationale, d’acteurs socio-économiques, de représentants du sport, de la culture et du tourisme, d’associations d’éducation populaire, de parlementaires et d’élus territoriaux. Pendant quatre mois, elle a organisé des réunions-débats en académie et des contributions en ligne. C’est à partir d’un travail d’analyse de l’ensemble de ces contributions que le comité de pilotage a formulé des pistes d’amélioration.

© CESE
Le rapport de la Convention est issu d’un travail délibératif mené par 133 citoyens tirés au sort. Il a été nourri par des auditions d’experts scientifiques, d’acteurs de terrain mais aussi par la parole directe d’un Panel de 20 jeunes et par une trentaine d’ateliers territoriaux : des ateliers « voix de l’enfant » menés dans des écoles ou centres de loisirs, des ateliers « multipartites » avec les principaux acteurs de l’éducation et des ateliers d’élus qui se déroulés en ligne.
La Convention citoyenne sur les temps de l’enfant reprend l’intuition fondatrice de la Conférence nationale – celle d’une école trop dense et mal ajustée à la biologie des enfants – mais elle la replace dans un paysage transformé. Entre les deux rapports, on passe d’un sujet essentiellement scolaire à un enjeu de société global.
Là où le rapport de 2011 se concentrait surtout sur la fatigue liée aux journées scolaires, la Convention citoyenne de 2025 met en lumière une réalité plus vaste : celle d’un quotidien saturé et en tension permanente. Les familles vivent davantage « en flux tendu », avec des horaires irréguliers, des déplacements plus longs et une logistique quotidienne alourdie, comme en témoignent les ateliers territoriaux où parents et professionnels décrivent des journées « enchaînées sans répit » et un rythme qui « ne laisse plus de place à la respiration». Aux contraintes matérielles s’ajoute l’hyperconnexion : les enfants naviguent entre devoirs en ligne, réseaux sociaux, notifications et sollicitations numériques constantes, un phénomène que le rapport citoyen identifie comme un facteur de surcharge (et propice au cyberharcèlement) et de perte de temps libre.
Dans ce contexte, la pression scolaire, la peur du décrochage, l’anxiété et la raréfaction des moments de jeu ou d’ennui s’intensifient. Autrement dit, si les rythmes scolaires étaient déjà inadaptés en 2011, ils le sont d’autant plus aujourd’hui que l’ensemble de la société semble se perdre dans ce rythme effréné, entraînant les enfants dans une cadence qui n’est décidemment plus la leur.
Les enfants eux-mêmes ont exprimé leurs besoins et leurs vulnérabilités. La santé mentale est une de leurs préoccupations majeures. Le harcèlement à l’école et l’inclusion aussi.
Le rapport de 2011 reconnaît l’existence d’inégalités sociales et territoriales et évoque le rôle compensateur de l’école dans l’accès aux activités sportives et culturelles pour les enfants défavorisés, ou vivant loin des centres urbains. La Convention citoyenne de 2025 place les inégalités au cœur de son diagnostic : elles sont décrites comme un déterminant majeur des temps de l’enfant -qu’il s’agisse des ressources culturelles, de la mobilité, de la santé ou de l’accès aux activités périscolaires et extrascolaires. Le rapport citoyen documente précisément les écarts entre enfants, l’impact du contexte familial, les fractures territoriales, et les effets cumulatifs sur la réussite (apprentissages à l’école) et le bien-être.

Un prolongement des recommandations des experts
L’enfant ne se réduit pas à son statut d’élève : il est un être social, un membre d’une famille, un habitant d’un territoire, un usager des transports, un individu exposé au numérique, un être en construction émotionnelle. Ce qui s’ajoute ici, c’est la prise en compte de l’enfant dans l’ensemble de ses environnements, non plus seulement dans la salle de classe.
Les recommandations de la Convention citoyenne ne contredisent pas celles de 2011 : elles les prolongent. Elles confirment par exemple l’importance des matinées concentrées, des pauses longues, du respect des cycles attentionnels – tous éléments déjà présents dans les travaux de 2011 – mais elles élargissent ce socle à d’autres dimensions :
- La suppression des devoirs à la maison au profit d’un travail intégré au temps scolaire et de « revoirs » plus légers à la maison.
- Des apprentissages pratiques l’après-midi pour diversifier les approches pédagogiques.
- Un plan bâtimentaire sur 20 à 30 ans pour adapter les espaces scolaires aux besoins contemporains.
- Un service public de la parentalité.
- Un plan de mobilité des jeunes pour réduire les inégalités territoriales.
- Une régulation des écrans et du numérique…
Il serait tentant de lire les deux rapports comme deux visions : d’un côté l’analyse experte, rigoureuse, institutionnelle ; de l’autre la parole citoyenne, sensible et ancrée dans le vécu. Mais ce serait passer à côté de l’essentiel : le vécu donne de l’épaisseur à l’analyse. Ce travail citoyen vient aussi soutenir, avec force, les combats menés depuis des décennies par les mouvements d’éducation populaire, souvent en première ligne pour porter l’idée que l’enfant ne peut pas être réduit à son statut d’élève, que ses temps éducatifs doivent être pensés dans leur continuité et leur globalité.
Au fond, les rapports de 2011 et de 2025 ne racontent pas deux histoires différentes. Ils racontent la même histoire à deux moments du temps. En 2011, il fallait réformer l’école pour mieux respecter l’enfant. En 2025, il faut transformer la société pour prendre soin de tous les enfants.
Article publié par Ariane IOANNIDES
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