Les choix politiques que l’on prend aujourd’hui ont des conséquences sur les générations futures. Pas seulement à 30 ans mais à 200 voire 500 ans. Comment garantir que nos décisions pensent et anticipent les effets sur le long terme ? Et comment permettre aux générations qui nous suivront de s’exprimer ? A Missions Publiques, nous militons pour que cette parole fasse partie intégrante des assemblées citoyennes. Laissez-moi vous raconter ce qui a provoqué cette prise de conscience.
On a tous un moment charnière (ou plusieurs) dans nos carrières, un événement ou une rencontre qui a changé notre regard et fait évoluer notre posture professionnelle ou personnelle. Pour moi, c’était il y a 13 ans lors du Congrès de l’Institut des Sciences Noétiques(1) en Californie. Cet organisme a été fondé par Edgar Mitchell, le 6e homme à avoir marché sur la Lune. En 1971, c’est un homme transformé qui revient de sa mission lunaire (Apollo 14). Comme tous les astronautes, il est touché par ce qu’on appelle l’overview effect, c’est-à-dire par le choc cognitif qu’ils subissent en observant la Terre depuis l’orbite terrestre ou la Lune : une mise en perspective directe de la situation de la Terre dans l’espace qui fait prendre conscience de sa fragilité(2). En 1973, Edgar Mitchell créé donc l’IONS, un centre de recherche et un laboratoire d’expérience directe spécialisé dans l’intersection de la science et de l’expérience humaine profonde.
Lors de leur Congrès en 2010, une chamane iroquoise(3) clôture l’événement. Elle explique devant l’assemblée que, dans sa nation, aucune décision n’est prise sans consulter la 7e génération. Ce principe permet d’assurer ces décisions sont durables et ne mettent pas en danger le futur de la nation iroquoise. Son intervention est une sorte de révélation et résonne très fortement avec une problématique à laquelle j’étais souvent confronté : la référence aux générations futures dans les discours politiques et le fait que les décisions en cours avaient un impact massif et majeur sur les 200 prochaines années. Pourtant, cette consultation des générations futures se traduisait et se traduit toujours, par… des conseils de jeunes. Or, il s’agit d’un biais. Premièrement, les générations futures ne sont pas les jeunes d’aujourd’hui. Deuxièmement, les jeunes ne sont pas plus capables d’appréhender l’avenir que les autres. Symboliquement, ça s’entend mais les surreprésenter ne garantit pas de prendre de meilleures décisions. Enfin et surtout, c’est leur déléguer la responsabilité, une charge est à la fois culpabilisante et insupportable.
Construire un narratif en se connectant à la 7e génération
Pour intégrer la parole de cette 7e génération dans les démarches participatives, j’ai imaginé un protocole que j’ai expérimenté une première fois et avec succès en 2011 à Sao Paolo, au Brésil, dans le cadre des 25 ans de l’Université de la paix (4). Depuis, j’en ai animé une cinquantaine d’autres dans différentes cultures. Ce processus repose sur une conviction – confirmée depuis – que nous avons tous, en nous, une capacité à nous connecter au long terme. La visualisation guidée que j’ai mise au point permet d’activer cette possibilité
Il s’agit d’une démarche simple : nous commençons par définir une question, que nous aimerions poser à une personne de la 7ème génération. Puis, nous visualisons une rencontre avec deux personnes de cette génération. Nous entamons le dialogue avec la question, écoutons la réponse, relançons. L’entretien se termine par un échange de cadeaux. De retour au temps présent, les participants échangent sur la question, la conversation, les cadeaux échangés, et le sens que cela a pour le sujet discuté.
A Missions Publiques, nous intégrons progressivement cette innovation dans nos démarches Bas du formulaire: à la récente Convention citoyenne locale pour climat d’Est Ensemble par exemple, ou à un travail sur le plan climat d’une collectivité de l’Ile de la Réunion auquel participaient une centaine de jeunes de 12 à 18 ans Entre 80 et 90% des personnes parviennent à réaliser en une trentaine de minutes cette connexion entre eux et le long terme. Quels sont les effets induits ? Le premier c’est la prise de conscience de notre forte connexion avec les générations à venir, et l’importance de nos choix présents. Ensuite, c’est une invitation à aller à l’essentiel. La prise en compte des communs émergent : qu’est devenue l’eau ? Comment se nourrit-on ? Les enjeux technologiques n’apparaissent que très rarement dans les échanges qui restent centrés sur les dimensions humaines.
Et puis, cela permet d’aborder les conditions de vie dans 200 ans, alors que les récits dystopiques dominants nous envoient des images d’une humanité qui a rarement pu dépasser la fin du 21ème siècle.
"Sur les enjeux climatiques et de développement durable, penser le temps long est une nécessité absolue.
Yves Mathieu
Fondateur et co-directeur de Missions Publiques
Penser le long-terme face à la crise écologique
La projection à 200 ans n’est pas de la science-fiction ou un artifice de gentil animateur. Ce n’est pas de la science-fiction car aujourd’hui, 200 ans c’est le temps symboliquement couvert par deux humains : un vieillard de 100 ans qui tient la main d’un bébé qui vivra potentiellement 100 ans. Et ce n’est pas anecdotique car sur les enjeux climatiques et de développement durable, penser le temps long est une nécessité absolue. J’avais coanimé un atelier avec l’ancien ministre de la Culture d’Equateur, Ramiro Noriega en 2015 pour connecter projections sur le temps long et droit du vivant(5). Les participants avaient conclu que les lois fondamentales organisant la société humaine devraient toutes y faire explicitement référence.
La responsabilité des générations actuelles vis-à-vis des générations futures fait même l’objet d’une déclaration de l’Unesco qui date de… 1997(6) ! Ce texte comporte plusieurs articles parmi lesquels le « maintien et perpétuation de l’humanité », la « préservation de la vie sur terre » ou encore la « protection de l’environnement ». Il y est stipulé que les générations présentes ont la responsabilité de léguer aux générations futures une Terre qui ne soit pas un jour irrémédiablement endommagée par l’activité humaine. Chaque génération, recevant temporairement la Terre en héritage, doit veiller à utiliser raisonnablement les ressources naturelles et à faire en sorte que la vie ne soit pas compromise par des modifications nocives des écosystèmes. Les générations présentes doivent œuvrer pour un développement durable et préserver les conditions de la vie, et notamment la qualité et l’intégrité de l’environnement, pour que les générations futures ne soient pas exposées à des pollutions qui risqueraient de mettre leur santé, ou leur existence même, en péril. En dehors d’être déclaratif, ce texte fondamental ne produit malheureusement aucun effet. Les décisions continuent à être prises sans considérer la 7e génération.
C’est aussi ce que dit David Van Reybrouck dans son livre « Nous colonisons l’avenir(7) » : en confisquant les ressources naturelles disponibles, en contrant si peu la dégradation des conditions climatiques – en les aggravant même -, les générations actuelles hypothèquent la vie des générations futures. Elles « colonisent l’avenir » dans le pire sens du terme.
Nous vous invitons à intégrer avec nous ce dialogue avec la 7ème génération dans les dispositifs délibératifs à venir. Nous vous encourageons, en tant que décideurs politiques, à intégrer ce principe de responsabilité à long terme dans votre processus décisionnel. Pour une gouvernance véritablement durable, la parole des générations futures doit être entendue et prise en compte dès aujourd’hui.
Yves Mathieu