En avril 2025, la Ville de Paris lançait une Convention citoyenne pour les droits de la Seine. Pendant trois week-ends, 50 Parisiennes et Parisiens se sont réunis pour réfléchir à des propositions visant à mieux protéger le fleuve et à en faire un usage plus raisonné. Lila Durix, cheffe de projet à la Direction de la Transition écologique et du Climat de la mairie de Paris, a coordonné ce projet. Elle revient sur le contexte et les enjeux de cette démarche. Rencontre.
Missions Publiques. Vous avez accompagné la Convention citoyenne pour les droits de la Seine. Pourquoi ce choix de sujet et quelle a été votre place au sein de ce processus ?
Lila Durix. Au sein de la Direction de la Transition écologique et du Climat de la maire de Paris, je suis cheffe de projet sur un sujet très spécifique : la réduction des plastiques à usage unique. J’ai notamment travaillé sur cette thématique dans le cadre des Jeux olympiques, avec pour objectif de limiter la consommation de bouteilles plastiques, notamment avec les partenaires comme Coca-Cola. On a eu de beaux résultats.
Et puis, après les Jeux, il y a toute la question de l’héritage. L’un des héritages majeurs, c’est justement la Seine. En 2024, pour la première fois depuis un siècle, des épreuves olympiques s’y sont déroulées. Et cet été, on vise la baignade pour toutes et tous à partir du 5 juillet. C’est un vrai changement de regard sur la Seine.
C’est dans ce contexte qu’on m’a confié cette mission : coordonner la Convention citoyenne pour les droits de la Seine. Elle s’inscrit dans cet héritage des Jeux et dans la volonté de mieux protéger le fleuve, de penser son avenir, dans un contexte où il est à la fois plus valorisé… et plus menacé. On parle aujourd’hui de ses usages multiples : logistique, économique, récréatif, touristique. Les berges sont devenues un lieu de vie : on s’y promène, on y fait du vélo, on s’y baignera bientôt. Ce sont aussi des enjeux d’adaptation au changement climatique.
Mais c’est un vrai travail d’équipe. On a mobilisé plusieurs directions de la Ville : communication, affaires juridiques, démocratie locale, éducation (avec l’Académie du Climat), etc. En tout, une vingtaine de personnes ont contribué. Mon rôle, c’était un peu celui de cheffe d’orchestre : faire dialoguer toutes ces expertises pour créer un cadre de travail solide. L’Académie du Climat, par exemple, a été précieuse pour construire des supports pédagogiques accessibles, car le sujet est complexe. Et on a aussi travaillé étroitement avec les élus, puisque pour la première fois nous avons un adjoint spécifiquement dédié à la Seine. Ce qui change tout. La Seine n’est plus seulement perçue comme une contrainte logistique, mais comme un écosystème à part entière.
Missions Publiques. Il existe de plus en plus de projets autour de ces questions comme l’appel du Rhône, le Parlement de la Loire, des initiatives sur la Garonne, etc. En quoi cette démarche est-elle complémentaire mais aussi différente des autres ?
Lila Durix. On ne part pas de zéro. On s’est inspiré de ce qui se fait ailleurs : le Parlement de la Loire, l’Appel du Rhône, le Tavignanu en Corse… Et on a même invité des personnes impliquées dans ces initiatives à venir témoigner.
Ce qui distingue la démarche parisienne, c’est sans doute l’engagement à aller jusqu’au bout, notamment via une proposition de loi. Et puis, à Paris, le sujet des droits de la Seine croise beaucoup d’enjeux : qualité de l’eau, biodiversité, transport, climat… La question, c’est : comment faire cohabiter des usages multiples, tous légitimes, tout en protégeant le vivant ? Et au-delà de notre ville, il y a cette volonté d’une approche globale avec d’autres territoires concernés par la Seine – de la source jusqu’à l’estuaire – avec l’Entente Axe-Seine qui regroupe Paris, la Métropole du Grand Paris, Rouen, Le Havre, etc.
La première étape a été de cartographier les initiatives existantes en France et à l’international sur les droits de la nature. Ensuite, on a réfléchi à la manière d’aborder le sujet avec les citoyens, sur un temps limité : trois week-ends. On a construit une “maquette pédagogique” avec l’Académie du Climat pour amener les connaissances de façon accessible. Et on a travaillé main dans la main avec Missions Publiques et Planète Citoyenne, qui ont une solide expérience des conventions citoyennes.
Un moment clé, ça a été de briefer les experts. Ce n’était pas évident : leur demander de ne pas tout dire, de ne pas monopoliser la parole, d’aller à l’essentiel, de vulgariser… Ce renversement de posture a été difficile pour certains. Il a fallu les accompagner. Et à l’inverse, les citoyens sont très vite rentrés dans la démarche, ont été très exigeants, très impliqués. C’était beau à voir.
Concernant la composition du panel, on a tiré au sort 50 citoyens à partir des listes électorales. Pour cela, on a envoyé 10 000 courriers, et environ 4 % des personnes contactées ont répondu, soit un peu plus de 400. Parmi elles, on a sélectionné 50 participants, en veillant à avoir une diversité de profils : âge, genre, niveau d’études, lieu de résidence. L’idée, c’était d’avoir un panel le plus représentatif possible de la population parisienne.
"Je crois qu’on ressort tous transformés d’une telle expérience, que ce soit les citoyens ou nous, les accompagnateurs.
Lila Durix
Cheffe de projet à la Direction de la Transition écologique et du Climat de la mairie de Paris
Missions Publiques. L’une des propositions des citoyens est de reconnaître une personnalité juridique à la Seine. En ce moment, on parle aussi beaucoup du « droit de la nature ». Concrètement, qu’est-ce que cela pourrait signifier pour la Seine et pourquoi est-ce important ? Quelle est la suite pour ces 9 propositions ?
Lila Durix. L’idée, c’est de reconnaître à la Seine des droits en tant qu’entité naturelle. Le droit d’être protégée, de se régénérer, de ne pas être polluée. Et aussi la possibilité d’être défendue en justice si ces droits sont bafoués. Ce n’est pas une idée simple. Même les experts ne sont pas d’accord entre eux, ça a généré beaucoup de débats riches entre citoyens et experts.
Et puis, il y a cette question de fond : quelle place voulons-nous accorder au vivant ? Comment sortir d’une vision du monde centrée uniquement sur les humains ? Respecter le vivant, c’est aussi se protéger soi-même.
La Ville de Paris s’est engagée à un droit de suite : les citoyens seront réunis à l’automne pour faire le point sur ce qui aura été retenu, mis en œuvre, ou non et pourquoi.
En parallèle, une proposition de loi est en cours de rédaction pour reconnaître les droits de la Seine. C’est un processus long, complexe, avec beaucoup d’arbitrages à faire : périmètre, gouvernance, droits reconnus, etc.
Missions Publiques. C’était votre première convention citoyenne. Qu’est-ce que vous en retenez personnellement ?
Lila Durix. Je crois qu’on ressort tous transformés d’une telle expérience, que ce soit les citoyens ou nous, les accompagnateurs.
Ce qui m’a marquée, c’est la qualité des échanges, l’écoute, le respect. À une époque où le dialogue est souvent difficile, c’était vraiment fort de voir 50 personnes, tirées au sort, se retrouver et construire ensemble. C’est là que l’on prend pleinement conscience du talent des équipes de Missions Publiques et de Planète Citoyenne.
Je ne conçois plus d’organiser une concertation comme avant. Ces démarches créent de la citoyenneté. Elles donnent envie aux gens de s’impliquer, de comprendre, d’agir. Et elles les rendent exigeants. Et c’est tant mieux.
Aujourd’hui, ces citoyens continuent à se voir, ils ont tissé des liens. Ils se retrouvent même pour des verres de l’amitié sur les bords de Seine. C’est une histoire qui continue.